Russie politics
Petit billet de rigueur sur le Brexit,
what else?
Karine Bechet-Golovko
Samedi 25 juin 2016
Le oui l'a
remporté, mais l'on nous explique que
les anglais sont désespérés, que c'est
tragique pour le pays, qu'ils ne
savaient pas ce qu'ils faisaient. Père,
pardonnes leur! En effet, comment oser
dire non à l'UE, à son avenir glorieux,
à ses routes pavées d'euros, à sa City
fleurissante, à ses horaires dérégulés
et à son SMIC remis au placard avec les
fichus de mémé. Comment lui dire non?
Im-pen-sable. Alors imaginez un instant
que les anglais aient réellement
voulu sortir de l'UE? Bouhhh, j'en ai
des frissons dans le dos, comme toute la
presse française.
Les titres de notre bonne presse
nationale sont d'une originalité digne
des grandes heures du bolchévisme. "Le
jour d'après ..." lit-on ici et là. Sans
oublier le "choc historique", car
évidemment l'UE est une très vielle
institution européenne qui était vouée à
l'éternité, qui en doutait?
Entre les "ils
vont tomber de hauts", les "on
nous a volé notre pays",
l'objectivité de la presse est, comme à
son habitude, infallible. Prenons
un article du journal Le Monde, en
grande forme:
« C’est un spectacle merdique. Nous
sommes tous devenus un peu plus pauvres
ce matin », résume
Peter, 45 ans, un banquier de la City, où
l’on craint de voir partir des milliers
de banquiers pour d’autres places
européennes.
Vendredi matin, Peter criait « vendez
! » (de la
livre sterling) à ses collègues, en
constatant que David Cameron, qui a
voulu ce référendum et échoué dans sa
campagne en faveur du « Remain », s’apprêtait
a annoncer sa démission,
devant le 10 Downing Street, la
résidence du premier ministre. « Sa
femme [Samantha
Cameron] se
tenait à ses côtés. Ce n’était pas bon
signe »,
dit-il.
Bref, la City est
en crise et il se trouve que la Grande
Bretagne dépasse les frontières de la
City, ce que le référendum vient de
rappeler. Mais qui sont ces "autres",
ceux qui ont osé voter contre l'ordre,
somme toute nouvellement, établi? Ceux
qui justement ont "volé" le pays (à qui,
ce n'est pas précisé).
Et là c'est
L'Express qui prend le relai, en
nous expliquant que ce sont les vieux
(donc ceux qui sont rétrogrades,
dépassés, ne comprennent rien - je
traduis) et les ratés (ceux qui ne sont
pas matériellement les mieux garantis,
justement les "dérégulés" et les "desmicarisés")
qui ont voté, mais ils se sont trompés.
Si, si, je vous assure!
Les plus fervents partisans du Brexit
sont souvent âgés et d'un milieu plus
modeste que la moyenne. A l'occasion du
référendum sur l'UE, ils ont cru
sanctionner
l'establishment.
Mais leurs ennuis, et ceux du pays tout
entier, ne font que commencer.
Car évidemment, la
City et l'UE, qui développaient la main
dans la main une politique sociale
incontestable et incontestée (voyons ce
qui se passe en France avec la réforme
du travail initiée selon les
orientations données par l'UE), donc la
City et l'UE ne pourront plus maintenant
défendre la veuve et l'orphelin, ce qui
les rend tristes.
Ils nous prennent
vraiment pour des imbéciles. Car,
peut-être, ô sacrilège, justement les
anglais ne voulaient plus de ce système
qui les privaient de plus en plus de
leurs prérogatives démocratiques, à
savoir de pouvoir faire les choix
politiques pour leur pays,
indépendamment des intérêts de la City
et de l'Union européenne?
Ce mouvement
populaire de mécontentement n'est pas
nouveau et n'est pas restreint à la
Grande Bretagne. En France déjà, en
2013, les
sondages étaient éloquents:
58 % estiment que l'Union européenne a
un impact négatif sur la France.
Elles ne sont que
19 % à estimer que l'UE a un effet
positif et
9 % qu'elle n'a pas d'impact.
(...) Selon ce sondage, 52 % des
Français souhaitent moins d'Europe à
l'avenir, contre 17 % d'un avis
contraire et 18 % qui préfèrent que rien
ne change.
Autrement dit, non
seulement l'image est très négative,
mais la volonté des gens de voir moins
d'ingérance de l'UE n'a pas été
respectée, la machine est lancée et
s'est emballée. Pour autant, en France,
nous n'avons pas lancé de référendum, le
dernier de 2005 sur la soi-disant
"constitution" européenne a servi de
leçon au pouvoir. L'opinion du peuple
est connue, ce n'est pas la peine
d'insister, il faut passer outre.
En Grande Bretagne,
manifestement, il reste des forces
politiques capables de mettre un grain
de sable dans l'engrenage. Pour autant,
il y a peu de chances que cela fasse
boule neige, dans un avenir proche. Tout
d'abord, la Grande Bretagne a eu la
sagesse de ne pas abandonner sa monnaie
nationale, ensuite elle a bénéficié de
toute une série d'exception lui donnant
un statut particulier. Et cela a été
possible justement en raison de forces
politiques nationales non marginales
également orientées vers la défense de
l'intérêt nationale.
Mais, tout n'est
pas gagné. L'UE enjoint le pays à lancer
rapidement la procédure de sortie, même
si cette procédure est particulièrement
floue. Face à cela, les partisans de
l'Union européenne se radicalisent,
mettent la pression sur l'ancien maire
de Londres et lancent une
pétition pour faire annuler le
référendum. Il y aurait déjà 850 000
signatures. Cela rappelle beaucoup le "troisième
tour démocratique", non prévu par la
Constitution, des élections
présidentielles ukrainiennes de 2004,
celles qui ont lancé le coup d'envoi à
l'instabilité politique chronique du
pays. Car il suffit de bafouer une
seule fois les règles démocratiques,
pour que la machine s'enraille. En
d'autres termes, combien faudra-t-il de
référendum pour obtenir le "bon"
résultat?
Côté Union
européenne, certes, la situation est
compliquée. Nous sommes, avec le
départ de l'Angleterre, à la veille de
l'avènement du 4e Reich. Mais
l'Allemagne d'aujourd'hui a-t-elle les
reins assez solides pour entraîner
autant de boulets? Il s'agit non
seulement de ses capacités financières,
mais aussi de sa force politique. Et
l'on peut en douter.
Par ailleurs, l'UE
ne peut pas se permettre que la sortie
de l'Angleterre ne se passe trop bien,
ça pourrait lancer des vocations, déjà
bien présentes, même si, pour l'instant,
elles manquent d'artisans pour le
réaliser. Pour autant, il va être
difficile de "sanctionner" la Grande
Bretagne, sans risquer des revers
financiers et politiques sérieux.
Nous sommes
encore bien loin d'un Armageddon
politique européen, mais des fissures
importantes apparaissent sur un édifice
dont le déficit démocratique est
flagrant. Aurons-nous le courage de nous
poser cette question: avons-nous
réellement besoin de cette Europe-là?
Le sommaire de Karine Bechet-Golovko
Le
dossier Monde
Les dernières mises à jour
|