Russie politics
Le Conseil de l'Europe aura-t-il
la force de
"digérer" son conflit avec
la Russie ?
Karine Bechet-Golovko
Mercredi 24 janvier 2018
La crise
ukrainienne a montré les faiblesses du
Conseil de l'Europe, organe
international essentiellement orienté
vers l'idéologisation des pays de
l'espace post-soviétique, pudiquement
appelée "démocratisation".
Indépendamment de la CEDH, dont le cas
est spécifique, l'Assemblée
parlementaire s'est radicalisée avec le
temps au point de devenir
contre-productive avec la mise à l'écart
de la Russie. Aujourd'hui, c'est non
seulement la légitimité de cette
institution qui se pose, mais aussi ses
capacités de fonctionnement, si elle ne
trouve pas la force de dépasser sa
politisation pour revenir à une
politique plus rationnelle. L'Assemblée
parlementaire (APCE) adopte un certain
nombre de résolutions, dont la nature
politico-juridique fait largement penser
aux actes du PCUS, à mi-chemin entre la
forme juridique et le fond idéologique.
Le summum est atteint dans les
résolutions touchant la crise
ukrainienne. "L'annexion" de la Crimée,
"l'agression" de la Russie, tout est mis
en oeuvre pour satisfaire la crise
existentielle de ce nouveau pouvoir
fantoche issu du Maïdan et donner bonne
conscience à ces pays européens qui
doivent forcément être du côté du Bien,
puisqu'ils sont a priori et pour
toujours le Bien. Ce qui se passe bien
évidemment de démonstration tout autant
que d'argumentation. Aucun mot sur les
exactions de l'armée ukrainienne et des
bataillons punitifs dans le Donbass
contre les populations civiles.
Défendant ainsi le
Bien contre le Mal, autrement dit
l'Europe, revue et corrigée des données
saisonnières, contre la Russie,
incarnation de l'ennemi s'il en faut.
Hystérie contre bon sens politique, le
Conseil de l'Europe, porté par le feu
des croisades, a alors retiré à la
Russie son droit de vote et de parole au
sein de l'APCE et des organes de
direction. En réponse à ces mesures
discriminatoires, la
Russie a refusé de payer sa
contribution et ne le fera pas non plus
pour 2018. Les pertes sèches pour le
Conseil de l'Europe sont de 22,3
millions d'euros pour 2017 et 32,8
millions pour 2018.
L'inconséquence de
cette structure laisse pantois. Il s'en
dégage un sentiment d'éternité. Comme si
les Etats ne pouvaient faire autrement
que d'y adhérer. Comme si les Etats
n'avaient jamais existé avant et ne
pourront jamais exister en dehors. Une
sorte d'enfant-roi qui ne comprend pas
pourquoi il devrait expliquer ses
caprices et au nom de quels principes
ceux-ci pourraient ne pas être exécutés.
Donc les éruptions
continuent, mais passent de plus en plus
mal. La dernière poussée est une
nouvelle
résolution sur l'Ukraine, adoptée
sur la base du rapport du représentant
lituanien, les pays de l'Est étant
lancés en tête de pont dans la politique
russophobe européenne, résolution
adoptée par 56 voix pour, aucune voix
contre, sur 318 membres ... L'on y
retrouve évidemment tout l'arsenal
habituel.
Le vice-président
de la Douma, Tolstoï, a rappelé aux
journalistes sur place que de toute
manière, cette résolution sur l'Ukraine,
comme ce qui concerne la Crimée, ne sera
jamais appliquée. Les auteurs de la
résolution le savent par ailleurs
parfaitement, elle n'a pas été adoptée
dans l'espoir d'être appliquée mais pour
servir d'instrument et de justification
primaire à la politique russophobe de
l'institution. La Crimée est russe,
c'est un fait qui ne se discute pas pour
la Russie. Ne pouvant influer sur cet
état de fait, le Conseil de l'Europe va
bien devoir en tirer les conclusions.
Enfin, s'il veut sortir de l'impasse.
Car ce combat est perdu.
Et il en va de la
légitimité de cette institution. La
Russie est le plus grand pays du Conseil
de l'Europe, mais surtout je dirais, le
plus gros poisson. Quel intérêt de
s'occuper de l'Ukraine si la Russie est
absente? La plupart de ces pays
européens de l'Est ne présentent ici un
intérêt qu'indirect. L'on ne s'est
occupé d'eux non pas pour eux-mêmes,
mais dans la vision du rapport de forces
avec la Russie et de la prise de
contrôle politique du continent. L'on
voit alors apparaître un conflit entre
deux positions: celle de ceux qui se
font manipuler depuis des années et
celle de ceux qui manipulent. La
première est évidemment plus rigide,
quand la seconde est plus souple.
D'une part la
position des radicaux, évidemment autour
de
l'Ukraine, qui tentent de jouer la
carte de la légitimité autour des
violations à leurs yeux inacceptables
des droits faites par la Russie. Dans
cette optique, même le paiement des
cotisations n'y changerait rien: le but
est l'exclusion de la Russie. Leur
vision n'est pas stratégique, elle est
affective. Le représentant ukrainien
comprenant par ailleurs parfaitement que
ce n'est qu'une question de temps pour
qu'un dialogue complet ne soit restauré
avec la Russie.
D'autre part, l'on
trouve les partisans d'une vision plus
lucide des choses, notamment T.
Jagland déclarant qu'un départ de la
Russie du Conseil de l'Europe serait une
défaite énorme qui renverrait
l'institution des années en arrière.
Comme l'écrit la
presse ukrainienne elle-même:
"I did not say that
we will be able to solve problems
between Ukraine and the Russian
Federation, but I believe, and it is my
position, that the way out is a peaceful
settlement. Countries must adhere to the
rule of law, principles of the
protection of human rights and freedoms,
and prevent war. That is why all actions
of member states have such importance to
us," Jagland said.
Si l'on traduit ces
paroles en langage courant, le jeu a
assez duré, on a perdu, il faut faire
avec et sortir de la situation sans y
laisser trop de plumes. Un Conseil de
l'Europe sans Russie n'a aucun sens,
alors que la Russie peut vivre sans
difficultés en dehors de ce résidu
idéologique du 20e. A trop longtemps
jouer avec le feu, ça va devenir
dangereux. Le plus difficile pour eux va
être de calmer les hystériques qui ne
voient un sens à leur vie que dans le
combat russophobe. Il faut dire qu'ils
ont été bien poussés en ce sens. Mais, à
chacun ses problèmes.
Pour autant, il ne
sera pas si facile de sortir de la crise
en faisant semblant que tout va pour le
mieux - en tout cas, pour le Conseil de
l'Europe. Il demande le paiement des
arriérés de cotisation, à savoir environ
50 millions d'euros. Pour des raisons
très simples, sans cet argent il ne peut
plus fonctionner normalement. C'est en
tout cas ce que déclare le représentant
danois: il manque 32 millions pour
fonctionner.
Pour sa part, la
Russie ne voit pas sur quel
fondement elle devrait payer pour une
institution à laquelle elle est
interdite de participer. Sa position est
claire: tant que non seulement elle
n'aura pas été restaurée dans ses
droits, mais que le Règlement intérieur
de l'APCE n'aura pas été modifié pour
éviter à l'avenir toute possibilité de
prendre des mesures discriminatoires,
elle ne reviendra pas et donc n'aura
rien à payer.
Le conflit ici est
presque habituel. D'un côté le
formalisme des positions sans fondement:
il faut payer, car il faut payer. Ce
sont vos obligations, quelle que soit la
situation, quelle que soit la réalité
des choses. De l'autre, le réalisme:
privée de participation, la Russie n'est
plus contrainte au paiement.
Il est plus
qu'urgent pour le Conseil de l'Europe de
sortir de cet infantilisme bon ton en
Europe, enfin s'il estime vouloir avoir
un avenir. Car il a plus besoin de la
Russie, que celle-ci n'a besoin de lui.
C'est la loi du marché ...
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