La guerre en Ukraine vient encore une
fois d'arriver dans une nouvelle phase,
qui cette fois risque de durer
longtemps. Ce n'est pas la fin de la
guerre, mais c'est la fin d'une guerre.
Chaque partie vient de reconnaître
l'existence d'une frontière posée par
les armes, qu'il devient très difficile
de déplacer. Les conséquences
économiques et politiques sont en train
d'être tirées de part et d'autre, le
divorce russo-ukrainien est consommé.
Depuis le début du
conflit, les relations économiques entre
le Donbass et le reste de l'Ukraine ont
permis de remplir le budget ukrainien et
de faire travailler les habitants des
jeunes républiques populaires. Les
relations entre la Russie et l'Ukraine,
si elles se réduisaient, continuaient
quand même. Certes, les films russes
étaient interdits, la littérature
disparaissait des étales, la population
devait être "dérussifiée". Mais les
relations entre les oligarques de part
et d'autre et le pays "ennemi" n'étaient
pas rompues, simplement tues. Les
banques russes fonctionnaient en Ukraine
(et représentent environ 30% du marché
bancaire), les oligarques ukrainiens
gardaient des contacts avec la Russie,
Akhmetov a, dit-on permis de fixer la
ligne des accords de Minsk aux portes
de Mariupole. L'économie devait être,
dans l'idée de ces pays nouvellement
convertis au dogme libérale, le lien
indestructible supérieur à la politique,
même à la géopolitique. Les hommes
d'affaires ayant besoin d'argent et de
faire de l'argent, quoi qu'il se passe.
Ils découvrent qu'il existe une force
supérieure. La crise ukrainienne pourra
servir, pour ceux qui ouvriront les
yeux, à relativiser le poids de la toute
liberté du business par rapport à la
politique dans la logique occidentale.
Comme nous l'avions
écrit à l'époque (voir
ici), la fin de la phase offensive a
commencé avec le départ de I. Strelkov
et un jeu trouble est mis en place avec
les hommes de R. Akhmetov. Depuis un
pseudo cessez-le-feu meurtrier est mis
en place et des accords de paix sont
deux fois négociés, permettant
principalement de justifier l'adoption
de sanctions contre la Russie. Le
dernier moment militairement fort est,
en janvier 2015, la bataille de Debaltsevo
extrêmement symbolique, qui a
montré la faiblesse de l'armée
ukrainienne, mais également ici débute
la période de l'équilbre des forces.
Avec le temps, le Donbass a développé
une stratégie défensive, les frontières
n'ont pas beaucoup bougées, même si
l'Ukraine a fait plusieurs tentatives.
C'est ce que l'on a appelé "la
guerre molle".
Cette stratégie a
ses limites, des deux côtés. Elle coûte
cher en hommes (surtout côté ukrainien),
elle joue sur le morale et coûte cher
tout simplement pour des résultats
difficilement convertibles en capital
politique. En revanche elle a permis à
l'Ukraine, ou à ses tuteurs, de gagner
le temps nécessaire pour tirer les
conséquences militaires et politiques
qui s'imposent.
Les conséquences
militaires
Militairement,
l'équilibre des forces est tel
aujourd'hui, que lancer une offensive
réelle obligerait de recourir à une
véritable opération militaire, ce dont
l'armée ukrainienne n'est pas capable.
Ce qui donc, nécessiterait une
implication trop franche des "tuteurs".
Or, la communauté internationale ne peut
aujourd'hui se le permettre, surtout
lorsque l'image du pouvoir ukrainien
commence à se détériorer dans l'opinion
publique occidentale, malgré le
renforcement de la rhétorique de la
menace russe(voir
notre texte ici).
Sur ce point, et
Kiev et le Donbass sont arrivés à la
même conclusion, même si par des voies
différentes. En laissant le blocus du
Donbass se développer, avec tout son
attirail idéologique (on ne commerce
pas avec l'ennemi), Poroshenko a
voulu donner l'impression d'avoir laissé
s'exprimer "la voix populaire" et c'est
pourquoi après avoir soi-disant débloqué
le Donbass, le SBU a annoncé hier la
fermeture des routes et des voies
ferrées. L'Ukraine a pris acte de son
impossibilité militaire de reprendre le
Donbass, de l'interdiction politique de
noyer le Donbass dans le sang, elle le
raye donc de la carte. Ce que, à sa
manière,
Poroshenko, déclare aujourd'hui:
Le blocus a détruit
l'Ukraine dans le Donbass
La formulation est
particulièrement forte, singulièrement
violente. A la mesure de le situation.
Acte a été pris. La réaction côté
Donbass est également très forte.
L'adoption de
l'oukase par Zakharchenko fixant la
frontière a lancé le mouvement de
stabilisation, ou bien l'a entériné.
Il est vrai que la
frontière renvoie à la ligne de front,
ce qui peut laisser une ouverture, ce
que revendique Zakharchenko: le combat
n'est pas terminé, la frontière se
déplacera avec la ligne de front de 10
ou 50 km s'il le faut, le Donbass n'a
pas conclu d'armistice.
Ce qui n' a pas été
fait avec Slaviansk en 2014, ne le sera
pas maintenant, alors que les armées ont
été "renforcées" de l'extérieur. Pas
plus que l'Ukraine, le Donbass ne peut
se permettre une boucherie à l'issue
incertaine. La ligne est donc fixée pour
un certain temps, même de part et
d'autre les dirigeants peuvent le
regretter.
Les conséquences
politiques
C'est pourquoi, les
conséquences ont également été tirées,
de part et d'autre, sur le plan
politique. Poroshenko a raison, les
effets du blocus sont particulièrement
dangereux pour l'Ukraine. Si ... si elle
avait réellement l'intention de
récupérer le Donbass. Or, il est
maintenant évident qu'elle n'a pas
besoin de ce Donbass. Et la
bienveillance des autorités
ukrainiennes, au-delà des déclarations,
envers le blocus du Donbass est
évidente. Lorsque cela est nécessaire,
les forces de l'ordre ouvrent le feu,
comme le 14 mars contre le député A.
Parasiuk qui vient avec une colonne
de fanatique remettre de l'huile sur le
feu ... à un moment où le pouvoir a
besoin de faire baisser un peu la
pression, pour reprendre officiellement
la main. Ces hommes armés sont arrêtés
après le poste de contrôle de Slaviansk
et la question est réglée très
efficacement:
Donc Poroshenko et
ses tuteurs ont laissé le blocus prendre
de l'ampleur, pour permettre la rupture
totale des liens politiques et
économiques avec le Donbass ... et avec
la Russie. Des signes avant-coureurs
furent visibles, lorsque le pouvoir a
commencé à lacher les oligarques, qui
n'étaient plus aussi utiles.
Kolomoïsky qui s'est rapidement
enfui et dont la banque Privatbank a été
nationalisée le 18 décembre 2016,
Firtash soudainement arrêté à Vienne
en février 2017, quant à Akhmetov, le
blocus l'a obligé à faire un choix et
mettre un terme à son double jeu.
Il a donc été
important de gagner du temps, pour
prendre le temps de faire le ménage
parmi les oligarques qui ne sont plus
nécessaires et pour donner aux autres le
temps de s'adapter. Par ailleurs, le
blocus économique ne touche pas que les
oligarques, mais aussi la population. Il
était politiquement impossible de
prendre cette décision immédiatement à
la sortie du Maîdan - sans compter
l'espoir de récupérer par une guerre
éclaire le Donbass - car la chute du
niveau de vie aurait été trop importante
et visible, ce qui aurait discrédité la
glorieuse "voie européenne". Il a été
préférable de laisser pourir la
situation.
Maintenant, le
secteur bancaire russe en Ukraine est
sous le feu et l'expropriation se
profile. La Sberbank Ukraine a été
attaquée, formellement, après que la
Sberbank Russie, la maison mère, ait
finalement accepté de servir les clients
en possession d'un passeport de DNR ou
LNR, conformément à l'oukase
présidentiel à ce sujet. Si ce
n'avait pour cela, un autre prétexte
aurait été trouvé, le moment de
l'officialisation du divorce est arrivé.
Donc, sans aucune intervention de la
police, les bureaux de la Sberbank sont
attaqués et murés à Kiev par le
bataillon Azov, les distributeurs sont
rendus inopérationnels. Voir dans la
vidéo:
Les locaux d'une
autre banque russe, Alfabank, beaucoup
plus importante sur le marché ukrainien,
sont également attaqués:
Ainsi, les groupes
extrémistes, en l'occurence Azov, sont
utilisés par le pouvoir pour justifier
la politique de séparation totale d'avec
la Russie. Ils mettent une ambiance
devant justifier la réaction de l'Etat,
réaction qui n'est pas de rétablir
l'ordre public, puisque la police
regarde passivement. Ce jeu est
particulièrement dangereux, car Kiev
peut perdre le contrôle, mais tant que
ses tuteurs jouent le jeu, il y a peu de
risques. Aucun nouveau Maïdan ne se
profile tant que dure le "Projet
Ukraine".
En revanche, la
limitation des retraits en liquide dans
les banques russes est fondée et la
Banque centrale demande l'interdiction
pour les filiales ukrainiennes de sortir
l'argent du pays et de le rapatrier vers
la maison mère en Russie. Ainsi, lorsque
ces banques seront nationalisées, il n'y
aura pas de problèmes particuliers pour
le système bancaire ukrainien: les fonds
auront été bloqués à l'intérieur du pays
et le pouvoir et les oligarques
récupèreront les locaux et les parts de
marché.
Cette constatation
de la nécessité de récupérer le contrôle
sur le business a été également faite
par le Donbass, ce que l'on a pu voir
avec la
mise sous administration provisoire
des entreprises ukrainiennes, qui
doivent désormais reverser leurs impôts
dans le budget local.
Sur le plan de
la politique économique, le blocus a
pleinement joué son rôle de détonnateur.
Par ailleurs, la
population a été préparée à la rupture
totale avec la Russie par la mise en
place de la politique de décommunisation
qui est en fait une politique de
dérussification. Il faut maintenant
totalement bloquer les populations et
les liens entre elles, en attendant la
prochaine génération. Celle qui est
actuellement à l'école et subie un
reformatage total. De cette manière, un
processus irréversible pourra être
lancé, s'il n'est pas interrompu
rapidement: même si l'Ukraine ne
considèrera plus la Russie, dans 20 ou
30 ans, comme un pays ennemi, parce que
le temps aura passé, ce ne sera non plus
un pays frère, mais un voisin, un
étranger. Peut être sympathique, peut
être antipathique, mais dans tous les
cas autre. La rupture de deux
peuples qui proviennent de la même
source, de deux pays à l'histoire
imbriquée aura été consommée dans cette
guerre.
Quid du Donbass?
Et reste ouverte la
question de savoir ce qu'il adviendra du
Donbass. Les accords de Minsk ont bloqué
l'avancée des combattants et finalement
seulement un petit bout de territoire a
pu être préservé du coup d'état du
Maîdan, qui est bien loin de Novorossia,
dont il l'idée a été effleurée, bien
loin même des frontières des régions
ukrainiennes de Donetsk et Lugansk. Ce
territoire est incapable de vivre de
manière autonome. Soit il constitue une
partie, plus ou moins autonome, de
l'Ukraine, soit la Russie doit le
prendre sous tutelle. Or, le retour dans
l'Ukraine est aujourd'hui devenu
quasiment impossible. La Russie devra
prendre une décision, dont
géopolitiquement elle se serait bien
passée, peut être, et qu'elle a tenté de
ne pas avoir à prendre grâce aux accords
de Minsk. Ces accords morts nés sont
définitivement enterrés et maintenant il
faudra assumer leurs conséquences.
PS: Pour les
russophones, regardez cette émission, 60
minutes, passée hier soir sur Rossya 1
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