Opinion
Pressions occidentales sur la Cour
pénale internationale pour ne pas ouvrir
d’enquête sur les crimes de guerre à
Gaza
Julian Borger
Photo:
D.R.
Samedi 23 août 2014
Par Julian
Borger (Revue de presse: The Guardian
– 18/8/14)*
L’éventualité
d’une enquête de la CPI sur les actions
tant des
FDI (Forces de défense d’Israël)
que du Hamas à Gaza est devenue le champ
d’une bataille politique à hauts
risques.
La Cour pénale
internationale a constamment évité
d’ouvrir une enquête sur les présumés
crimes de guerre à Gaza suite aux
pressions occidentales, américaines et
autres, affirment d’anciens
fonctionnaires de justice et des
avocats.
Ces derniers jours,
l’éventualité d’une enquête de la CPI
sur les actions tant des Forces de
défense israéliennes que du Hamas à Gaza
est devenue le champ d’une bataille
politique à hauts risques et une
question clé dans la négociation pour un
cessez-le-feu lors des entretiens au
Caire. Mais la question de savoir si la
CPI pouvait, ou devait, ouvrir une
enquête a aussi divisé la Cour de La
Haye elle-même.
Une enquête de la
CPI pourrait avoir un impact
considérable. Il ne s’agirait pas
seulement d’examiner les présumés crimes
de guerre commis par l’armée
israélienne, le Hamas et d’autres
militants islamistes au cours des
récents combats à Gaza qui ont fait
environ 2000 morts, dont des femmes et
des enfants. Il s’agirait aussi
d’aborder la question des colonies
israéliennes dans les territoires
palestiniens, et pour lesquelles la
direction israélienne serait tenue
responsable.
La charte
fondatrice de la CPI, le Statut de Rome
de 1998 (http://www.icc-cpi.int/nr/rdonlyres/6a7e88c1-8a44-42f2-896f-d68bb3b2d54f/0/rome_statute_french.pdf),
définit comme crime de guerre « le
transfert, direct ou indirect, par une
puissance occupante d’une partie de sa
population civile, dans le territoire
qu’elle occupe » (article 8.2.a.viii).
Est également en
jeu l’avenir de la CPI elle-même, une
expérience de justice internationale qui
occupe une position fragile, sans aucune
superpuissance pour la soutenir. La
Russie, la Chine et l’Inde ont refusé
d’y adhérer. Les États-Unis et Israël
ont signé le Statut en 2000 mais ont
retiré leur signature par la suite.
Certains avocats
internationaux affirment qu’en essayant
de se dérober à une enquête, la CPI ne
se porte pas à la hauteur des idéaux
exprimés dans le Statut de Rome, selon
lesquels « les crimes les plus graves
qui touchent la communauté
internationale ne sauraient rester
impunis. » (préambule)
John Dugard,
professeur de droit international à
l’université de Leiden, aux Pays-Bas, et
depuis longtemps critique du bilan
d’Israël en matière de droits de
l’homme, a dit : « Je pense que la
procureure pourrait facilement faire
valoir son autorité. La loi est un
choix. Il y a confrontation d’arguments
juridiques, mais elle devrait se pencher
sur le préambule du statut de la CPI qui
stipule que l’objet de la Cour est de
lutter contre l’impunité ».
Dans un échange de
lettres au cours des derniers jours, les
avocats assistant les Palestiniens ont
insisté sur le fait que la procureure de
la CPI, Fatou Bensouda, a toute
l’autorité judiciaire dont elle a besoin
pour lancer une enquête, sur la base de
la requête palestinienne en 2009.
Cependant, Bensouda insiste pour qu’il y
ait une nouvelle déclaration
palestinienne, ce qui requerrait de
parvenir à un consensus, insaisissable,
au sein des factions politiques comme le
Hamas, qui seraient elles-mêmes soumises
à l’enquête aux côtés du gouvernement
israélien. Il existe une forte pression
américaine et israélienne sur le
dirigeant palestinien, Mahmoud Abbas,
pour ne pas poursuivre pour une enquête
de la CPI.
La pression
occidentale sur la CPI pour qu’elle
reste à l’écart du problème a provoqué
de profondes divisions au sein même du
bureau de la procureure. Selon certains
anciens fonctionnaires, les Palestiniens
ont été induits en erreur en 2009 en
croyant que la requête pour une enquête
pour crimes de guerre – à la suite de
l’offensive israélienne contre Gaza,
baptisée Plomb durci – resterait
recevable dans l’attente de la
confirmation de l’État en devenir. Cette
confirmation est venue en novembre 2012
quand l’Assemblée générale des
Nations-Unies a décerné à la Palestine
le statut d’État observateur non membre,
mais l’enquête n’a pas été lancée.
Bensouda, au
départ, semblait ouverte à l’examen de
la requête palestinienne en instance,
mais l’année suivante, elle publiait une
déclaration controversée disant que le
vote de l’AG de l’ONU ne changeait en
rien l’ « invalidité juridique »
de la requête de 2009.
Luis Moreno Ocampo,
procureur à l’époque de la déclaration
palestinienne de 2009, a soutenu
Bensouda, écrivant dans un courriel au
Guardian : « Si la Palestine
veut accepter l’autorité de la Cour,
elle doit présenter une nouvelle
déclaration. »
Mais un autre
fonctionnaire du bureau de la procureure
de la CPI, qui a traité la déclaration
palestinienne, est fortement en
désaccord. « Ils essaient de se
cacher derrière un jargon juridique pour
dissimuler ce qui est une décision
politique, pour échapper à la compétence
et ne pas être impliqués, » dit ce
fonctionnaire.
Pour Dugard,
Bensouda a été sous une forte pression
des États-Unis et de leurs alliés
européens. « Pour elle, c’est un
choix difficile et elle n’est pas prête
à le faire, » a-t-il soutenu. « Mais
cela affecte la crédibilité de la CPI.
Les Africains se plaignent qu’elle
n’hésite pas à ouvrir une enquête sur
leur continent ».
Il a fallu trois
ans à Moreno Ocampo pour prendre une
décision sur le statut de la requête
palestinienne de 2009, durant lesquels
il a subi les pressions des USA et
d’Israël pour qu’il se tienne à l’écart.
Selon un livre sur la CPI, publié cette
année, les dirigeants américains ont
prévenu la procureure que l’avenir de la
Cour était en jeu.
Selon le livre,
Justice sommaire : la Cour pénale
internationale dans un monde de
politiques de pouvoir, de David Bosco,
les Américains ont suggéré qu’une
enquête de la Palestine « pourrait avoir
un poids politique trop lourd pour
l’institution. Ils ont clairement
indiqué que donner suite à un tel
dossier serait un rude coup pour
l’institution ».
Même si les USA ne
participent pas au financement de la
CPI, « la prodigieuse puissance
diplomatique, économique et militaire de
Washington peut être une aide énorme à
la Cour si elle est déployée
périodiquement pour soutenir la tâche de
la Cour » écrit Bosco, maître
assistant en politique internationale à
l’université américaine.
Dans son livre,
Bosco rapporte que les dirigeants
israéliens ont eu plusieurs réunions,
non rendues publiques, avec Moreno
Ocampo à La Haye, notamment dans un
dîner à la résidence de l’ambassadeur
israélien, pour faire pression contre
une enquête.
Un ancien
fonctionnaire de la CPI qui s’est occupé
du dossier palestinien a dit : « Il a
été clair dès le début que Moreno Ocampo
ne voulait pas être impliqué. Il a dit
que les Palestiniens n’étaient pas
vraiment prêts à lancer une enquête,
mais qu’il était clair qu’ils étaient
sérieux. Ils ont envoyé une délégation
avec deux ministres, assistés d’avocats,
en août 2010 et qui sont restés deux
jours pour débattre de leur requête.
Mais Moreno Ocampo était conscient que
toute implication contrarierait ses
efforts pour se rapprocher des
États-Unis ».
Moreno Ocamp a nié
avoir été influencé par des pressions
américaines. « Je suis resté très
ferme sur le traitement de cette
question, impartial, mais tout en
respectant les limites légales »,
écrit-il dans un courriel de dimanche. «
J’ai entendu tous les arguments. J’ai
reçu plusieurs professeurs d’Oxford qui
ont développé des arguments différents
et très souvent contradictoires, et j’ai
conclu que le processus devait… d’abord
aller devant les Nations-Unies.
Lesquelles doivent décider quelle entité
doit être considérée comme un État ».
Et d’ajouter : «
La Palestine a utilisé la menace
d’accepter l’autorité de la Cour pour
négocier avec Israël. Quelqu’un a dit
que si vous avez neuf ennemis autour de
vous, et une seule balle, vous ne tirez
pas, vous essayez d’utiliser votre balle
pour créer un effet de levier ».
Une porte-parole de
son successeur Fatou Bensouda, a rejeté
les allégations de partialité dans le
choix des enquêtes par la procureure.
« La CPI est guidée par le Statut de
Rome et rien d’autre », a-t-elle
affirmé. « Les règles strictes qui
concernent son autorité, le lieu et le
moment où la CPI peut intervenir, ne
doivent pas être délibérément
dénaturées… Les considérations
géographiques et politiques n’entreront
jamais dans toute prise de décision par
le bureau. »
L’avocat français
représentant les Palestiniens, Gilles
Devers, fait valoir qu’il appartient à
la Chambre préliminaire de la Cour, et
non à son procureur, de se prononcer sur
la question de l’autorité de la Cour
dans les territoires palestiniens.
Devers indique que les négociations se
poursuivent au sein des parties
palestiniennes sur l’opportunité de
déposer une nouvelle requête pour une
enquête, même si lui pense que sur le
plan juridique ce n’est pas nécessaire.
Finalement, dit-il, le résultat sera
déterminé politiquement.
« Il y a une
pression énorme pour ne pas procéder à
une enquête. Cette pression s’est
exercée sur le Fatah et sur le Hamas,
mais aussi sur le bureau de la
procureure, » dit Devers. « Dans
les deux cas, elle prend la forme de
menaces aux aides financières, pour la
Palestine et pour la Cour pénale
internationale ».
Parmi les plus
grands contributeurs au budget de la
CPI, on trouve le Royaume-Uni et la
France, l’un et l’autre ont cherché à
persuader les Palestiniens de renoncer à
une enquête pour crimes de guerre.
Photo :
Fatou Bensouda, procureure de la Cour
pénale internationale (CPI)
*Source:
Agence Médias Palestine (19/8/14)
Version
originale:
http://www.theguardian.com/law/2014/aug/18/hague-court-western-pressure-gaza-inquiry
Traduction :
JPP pour l’Agence Média Palestine
© G. Munier/X.
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Publié le 23 août 2014 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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