France
«Passeport» : LE RETOUR
Jean-Claude Paye
Lundi 16 novembre 2015
Dans le cadre de
l’enquête sur les massacres à Paris,
un passeport syrien a été
retrouvé près de l’un des kamikazes du
Stade de France. Après
avoir été désigné comme responsable des
attentats par le président Hollande, «l’Etat
Islamique",
a reconnu être à la base de ces actions.
Pour l’exécutif français qui avait
déclaré vouloir intervenir en Syrie
contre l’EI, en réalité contre Bachar El
Assad qui «doit partir», il
s’agit là d’un indice important devant
conforter une opération militaire. La
procédure du double discours, soutenir
une organisation que l’on désigne comme
ennemi et nommer comme terroristes des
personnes que l’on a préalablement
appelés «combattants de la liberté»,
n’est pas l’apanage du gouvernement
français. Produire son ennemi est devenu
un axe de la stratégie occidentale, nous
confirmant que dans la structure
impériale, il n'y a pas de séparation
entre intérieur et extérieur, entre le
droit et la violence pure, entre le le
citoyen et l'ennemi. En Belgique, le
prédicateur musulman Jean-Louis Denis
est poursuivi
«pour avoir
incité de jeunes gens à partir faire le
djihad armé en Syrie»,
car il est soupçonné d’avoir eu des
contacts avec
Sharia4Belgium, un
groupement qualifié terroriste, ce que
le prévenu nie. Son avocat a fait
ressortir la double pensée de
l’accusation dans cette affaire, en
lançant devant le tribunal correctionnel
de Bruxelles : «On
a envoyé des gamins dans les bras de
l’Etat islamique en Syrie et ce sont vos
services qui l’ont fait[1]».
Il a appuyé ses accusations en faisant
ressortir le rôle dans cette affaire
d’un agent infiltrant de la police
fédérale.
Le retour du signifiant.
Concernant les
massacres parisiens, il semblerait
qu’une des premières
préoccupations des terroristes soit
d'être identifiés le plus rapidement
possible. Cependant ce paradoxe nous
étonne à peine. Un papier d'identité,
trouvé miraculeusement et désignant
l'auteur des attentats venant d'être
commis, est devenu un classique. Il
s'agit d'un évènement qui se répète, une
compulsion de répétition désignant à
chaque fois un coupable appartenant à
une « mouvance jihadiste ».
Dans la version officielle du 11
septembre, le FBI affirmait avoir
retrouvé le passeport intact de l'un des
kamikazes à proximité d'une des deux
tours complètement pulvérisées par des
explosions, dégageant une température
capable de faire fondre l'acier des
structures métalliques d'un building,
mais laissant intact un document en
papier. Le crash du quatrième avion,
s'écrasant en rase campagne à
Shanksville, a également permis à la
police fédérale de retrouver le
passeport de l'un des terroristes
présumés. Ce document partiellement
brûlé permet quand même d'identifier la
personne, grâce à la présence de son
nom, de son prénom et de sa photo. Cette
possibilité est d'autant plus troublante
que du crash de l'avion ne subsistait
qu'un cratère d'impact, point de morceau
de fuselage ou de moteur, seul restait
ce passeport partiellement brûlé.
L’invraisemblable comme mesure du vrai.
Dans l’affaire
Charlie Hebdo, les enquêteurs ont
retrouvé la carte d’identité de l’aîné
des frères Kouachi dans la voiture
abandonnée dans le
nord-est de Paris. A partir de ce
document, la police s’aperçoit qu’il
s’agit d'individus connus des services
antiterroristes, des
« pionniers du djihadisme français. »
La « traque » peut alors
commencer. Comment des tueurs,
commettant un attentat avec un sang
froid et une maîtrise qualifiés de
professionnels, peuvent-ils commettre
une telle erreur. Ne pas s'encombrer de
ses papiers fait pourtant partie de
l'abc du simple cambrioleur.
Depuis le 11/9, l'invraisemblable fait
partie de notre quotidienneté. Il est
devenu le fondement de la vérité. La
Raison est bannie. Il ne s'agit pas de
croire ce qui est dit, mais bien la voix
qui parle, quelque soit le non sens de
l'énonciation. Plus celui-ci est patent,
plus la croyance en ce qui est affirmé
doit être indéflectible.
L'invraisemblable devient ainsi la
mesure et la garantie du vrai.
Le discours portant sur les affaires
Merah ou Nemouche en atteste. Merah,
encerclé par des dizaines de policiers,
serait parvenu, en trompant la
surveillance des forces spéciales, à
sortir de son domicile et ensuite à y
retourner, afin de se faire tuer par un
« sniper » qui aurait tiré en « légitime
défense » avec des « armes non
létales ». Il serait sorti de chez
lui pour téléphoner d’une cabine
publique, afin de “dissimuler son
identité", lors de sa reconnaissance
de culpabilité à une journaliste de
France 24[2].
Quant à
Nemmouche, l'auteur de la tuerie au
Musée juif de Bruxelles, il ne se serait
pas débarrassé
de ses armes, car ce qui comptait pour
lui était de les revendre. Pour ce
faire, il aurait fait le choix du mode
de transport international le plus
surveillé, en les transportant dans un
bus assurant la liaison Amsterdam,
Bruxelles, Marseille. Un « contrôle
de douane inopiné » aurait permis de
le confondre et de l'arrêter.
La sidération de
“l’unité
nationale”.
Dans tous les cas,
le caractère déréalisant de ce qui est
présenté nous installe dans la
sidération. Tel le regard de la Gorgone,
il nous pétrifie. Il nous montre que
quelque chose ne va pas dans le
discours. Il exhibe une faille qui n'a
pas pour effet de nous
tromper, mais de nous
morceler.
Le compte-rendu du déroulement des
attentats est une exhibition qui
s'impose au spectateur. Elle échappe à
toute représentation et a un effet de
sidération. Celle-ci ne résulte pas tant
du caractère dramatique des faits que de
l'impossibilité de déchiffrer le réel.
Le spectateur ne peut alors
retrouver un semblant d'unité que par un
surcroît d'adhésion à ce qui est énoncé.
Une fusion s’opère avec celui qui nomme.
Il convient de renoncer à se distancier
avec le dit et le montré, en posant des
questions ou en rétablissant une parole.
“L’unité nationale, la
fusion entre les surveillants et les
surveillés, peut alors se mettre en
place.
En effet, l’exhibition
des failles dans le discours du pouvoir
concernant tous ces attentats a pour
effet d'installer une psychose et de
supprimer tout mécanisme de défense, non
pas seulement face à des propos ou des
actes déterminés, mais vis à vis de
n'importe quelle action ou déclaration
du pouvoir, par exemple face à des lois
comme celle sur le renseignement qui
rejette la vie privée hors des libertés
fondamentales.
Un acte de guerre contre les populations
Votée en juin 2015, la loi sur le
renseignement, ce projet vieux de plus
d’une année, nous a été présenté comme
une réponse aux attentats de Charlie
Hebdo. La loi autorise notamment
l’installation de «boites noires» chez
les fournisseurs d’accès Internet
permettant de capturer en temps réel les
métadonnées des utilisateurs. Elle
permet également la pose de micros, de
balises de localisation, l’installation
de caméras et de logiciels espions. Sont
soumis à ces techniques spéciales de
recherche, non les agents d’une
puissance étrangère, mais les
populations françaises. Ces dernières
sont ainsi traitées comme ennemis d’un
pouvoir exécutif, auquel il revient la
décision et le «contrôle» de ces
dispositifs secrets. Sous le couvert de
la lutte contre le terrorisme, cette loi
légalise des mesures déjà en place,
mettant à la disposition de l’exécutif
un dispositif permanent, clandestin et
quasiment illimité de surveillance des
citoyens. L’absence de toute efficacité
dans la prévention d’attentats nous
montre que c’est bien les ressortissants
de l’Hexagone qui étaient l’objet de la
loi et non les terroristes. En changeant
la nature des services de renseignement,
du contre espionnage à la surveillance
des citoyens, cette loi est un acte de
guerre idéelle contre ceux-ci. Les
massacres qui viennent d’avoir lieu à
Paris en sont le réel.
Jean-Claude Paye
sociologue, auteur de L'Emprise de
l'image. De Guantanamo à
Tarnac. Editions Yves Michel 2012.
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