L’article de Karadjis tourne
autour de l’idée que la haine
sectaire endémique qui règne
chez la plupart des factions
rebelles, si ce n’est la
totalité d’entre elles, est
essentiellement la conséquence
prévisible de la
surreprésentation des alaouites
au gouvernement syrien. Il
qualifie l’Etat syrien de "régime
alaouite" "géré par une
famille", ce qui n’est rien
de moins qu’un cliché paresseux
qui sert à transformer
l’histoire d’un pays complexe et
de son passé politique en une
caricature générique qui, au
bout du compte, sert les
intérêts impériaux.
Un grand nombre de ceux qui
soutiennent la prétendue
révolution ne s’avanceraient pas
autant, ou, du moins,
pondéreraient cette position en
soulignant l’énorme financement
dont bénéficient les rebelles de
la part des régimes saoudien et
qatari, ou la propagande
acharnée des religieux
salafistes financés avec
l’argent du pétrole qui
réclament que
Bilad el-Sham [la "grande
Syrie" ] soit purgée des
minorités religieuses.
D’après Karadjis, ces
explications sont marginales
dans la mesure où c’est le
régime "dominé par les
alaouites" qui constituerait la
source initiale du sectarisme.
Karadjis commence son article en
citant Gilbert Achcar, qui
prétend que si les coptes
détenaient le pouvoir en Egypte,
il serait logique que
l’extrémisme musulman prospère [voir
citation complète en fr ].
Cette hypothèse est
totalement irréaliste car, non
seulement la communauté copte
n’est PAS au pouvoir en Egypte,
mais elle subit depuis des
dizaines d’années le terrorisme
islamiste, sous la forme, entre
autres, de pogroms,
d’enlèvements, et de
destructions d’églises.
Une erreur d’analyse aussi
énorme de la part d’Achcar n’est
pas étonnante étant donné ses
opinions politiques
réactionnaires, comme l’illustre
son soutien en 2011 aux
bombardements de l’OTAN en Libye
et aux racistes escadrons de la
mort anti-Kadhafi.
Karadjis explique que la
campagne de haine et de violence
menée par les rebelles contre
les alaouites est la faute du
gouvernement parce qu’il est
dominé par des alaouites
sectaires, même si les preuves
qu’il donne de ses affirmations
sont pathétiquement
immatérielles.
D’abord, il affirme que les
alaouites sont surreprésentés au
gouvernement. Et il appuie son
propos sur un
tableau publié par le Washington
Institute for Near East policy
– un "laboratoire d’idées" US
dont le Comité Consultatif
regroupe, entre autres, le
sioniste notoire Joseph
Lieberman, et des criminels de
guerre comme Richard Perle,
Condoleeza Rice, et Henry
Kissinger.
Ce tableau, dans l’esprit de
Karadjis, est une "carte du
régime", bien que celle-ci ne
spécifie pas vraiment ce qu’elle
veut montrer exactement. Est-ce
la composition sectaire du
cabinet syrien, ou de l’armée,
ou des grands entrepreneurs, ou
de toute autre institution ?
Non, elle ne fournit aucun
renseignement sur une catégorie
particulière, elle ne fait qu’y
faire figurer un certain nombre,
mais pas tous, de militaires de
haut rang, de membres du cabinet
ministériel et d’industriels.
En se fondant sur ce document
incomplet, Karadjis parvient à
la conclusion grotesque que les
alaouites, qui "représentent
quelque 10 à 15% de la
population, constituent 72% du
régime”, tandis que les
sunnites, "qui représentent
quelque 75-80 % de la
population, constituent moins de
16% du régime" (voir note en
bas de page, NDT).
C’est probablement l’analyse
de statistiques sur la Syrie la
plus incompétente et la plus
paresseuse qui ait jamais été
faite, et on peut simplement en
contester le sérieux en disant
que ce tableau, fourni par ce
groupe de réflexion US (contrôlé
par des criminels de guerre), ne
précise pas ce qu’il veut
établir.
Il est toutefois possible
d’aller un peu plus loin dans la
réflexion et de fournir des
données concernant la
composition du cabinet
ministériel selon sa secte
religieuse.
D’abord, en précisant ce
qu’on veut établir – en
l’occurrence, la composition du
cabinet ministériel.
Selon les données publiées
dans le livre de Nikolaos Van
Dam, The Struggle for Power
in Syria (1995), la
composition totale en
pourcentage des différentes
sectes des cabinets successifs
entre 1970 (année où Hafez Al
Assad accédait au pouvoir) et
1995 (année où était écrit le
livre) est :
Sunnites : 68.37 %
Chrétiens : 7.14 %
Alaouites : 20.41 %
Druzes : 4.08 %
Alors, certes, les alaouites
semblent surreprésentés jusqu’à
8 points de plus que leur
pourcentage par rapport à
l’ensemble de la population
(12%), mais il y a une énorme
différence entre le fait que les
alaouites constituent 20,41 %
des cabinets ministériels (sur
une période de 25 ans) et celui
de dire, comme l’affirme
Karadjis, que les alaouites
occupent 72% des postes du
régime en se référant à des
données complètement faussées.
En outre, si on ne prend que
les chiffres pour la période de
1970-1976, on constate que les
Sunnites ont constitué 81.18% de
l’ensemble des membres des
cabinets ministériels, ce qui
implique qu’il y a eu
d’importantes fluctuations pour
des raisons qui pourraient être
complètement aléatoires.
En effet, il ne serait pas
raisonnable de penser qu’un
parlement serait représentatif
de la proportion des communautés
confessionnelles de façon
constante, surtout quand les
sièges à l’Assemblée ne sont pas
répartis selon l’étiquette
confessionnelle, comme c’est le
cas au Liban.
Malheureusement, il n’existe
plus de statistiques après 1995,
mais il n’y a pas de raison de
penser que la situation serait
différente sous le gouvernement
du président Bachar Al-Assad.
En tout cas, si les
statistiques sont difficiles à
obtenir, c’est parce qu’en
Syrie, la religion étant
considérée comme une affaire
privée, il est, par conséquent,
peu probable que des
responsables politiques se
réclament de la religion à
laquelle ils appartiennent.
Cette règle culturelle avait
d’ailleurs été un obstacle
qu’avait rencontré Van Dam quand
il réunissait des données sur la
composition confessionnelle du
cabinet ministériel syrien (il
me l’a dit lors d’une
conversation en privé).
Les affirmations absurdes de
Karadjis sur la
surreprésentation alaouite ayant
été démontées, il ne lui reste
plus que ce qu’il veut bien
concéder, à savoir qu’"un
certain nombre de postes à
responsabilité sont occupés par
des sunnites".
C’est exact : le premier
ministre Wael Al Halqi, le
ministre des Affaires
étrangères, Walid Muallem, le
ministre de la Défense, Fahad
Jasem Al Freij, et le ministre
de l’Intérieur, Ibrahim Al
Shaar, sont tous sunnites.
Ensuite, Karadjis affirme que
"les éléments alaouites sont
absolument dominants au sein de
l’armée et des services de
sécurité du régime”, et à
partir de cette affirmation, il
conclut que "la nomination de
quelques sunnites loyaux à des
postes de haut rang – les
ministres de la Défense et de
l’Intérieur– est de nature
largement ornementale et
d’apparat ".
Comment Karadjis sait-il que
les postes des ministres de la
Défense et de l’Intérieur sont
"ornementaux" et d’"apparat" ?
Insinue-t-il, en fait, que
l’armée prime sur les autorités
civiles, et si c’est le cas, sur
quoi se base-t-il pour en
arriver à cette conclusion ?
Très franchement, ce qui peut
être affirmé sans preuves peut
être rejeté sans preuves.
C’est à partir des
affirmations de Karadjis sur la
surreprésentation des alaouites
(qui sont exagérées au point
d’en être fausses sur le plan
qualitatif) qu’il en conclut que
le "régime" est "sectaire".
Or, ce n’est pas simplement
parce qu’une confession
spécifique est surreprésentée
dans les institutions d’un pays
que l’état pratique la
discrimination confessionnelle,
ce que le qualificatif de
"sectaire" insinuerait au
minimum.
La vérité c’est que, même si
les alaouites sont
surreprésentés au gouvernement,
leur pouvoir ne résulte pas de
leur origine alaouite - leur
courant religieux ne bénéficie
d’aucun privilège officiel et
ils ne s’en sortent pas mieux
sur le plan économique que les
autres Syriens.
Si quelqu’un affirmait que
c’est parce que les Juifs sont
surreprésentés au gouvernement
américain qu’ils contrôlent le
gouvernement, je ferais à
Karadjis l’honneur de penser
qu’il jugerait (à juste titre)
que ce sont des propos
antisémites.
Pour autant, il semble qu’il
soit prêt à débiter les mêmes
inepties pour légitimer ce qui
est essentiellement une guerre
impérialiste par procuration
contre un pays post-colonial
indépendant.
Karadjis semble complètement
ignorer l’ensemble de facteurs
historiques qui expliquent
pourquoi les alaouites sont
surreprésentés à l’armée.
Avant que la Syrie n’obtienne
son indépendance en 1946, les
familles qui souhaitaient que
leurs fils soient exemptés de
conscription (sous mandat
français) devaient verser une
certaine somme d’argent que
beaucoup d’alaouites, qui
faisaient souvent partie des
catégories les plus pauvres,
n’avaient pas les moyens de
payer.
En outre, beaucoup d’entre
eux considéraient que c’était un
choix de carrière rémunérateur
parce que l’armée était, à leurs
yeux, une des rares institutions
fondées sur le mérite auxquelles
ils pouvaient avoir accès pour
monter en grade, et une
institution où ils ne subiraient
pas de discrimination à cause de
leurs croyances.
Selon Patrick Seale (Asad :
The Struggle for the Middle East,
1995), le biographe de l’ancien
président Hafez Al Assad, "les
jeunes gens issus de minorités
étaient nombreux à choisir
l’armée plutôt que d’autres
carrières parce que leurs
familles n’avaient pas les
moyens de les envoyer à
l’université".
Ce qui frappe le plus en ce
qui concerne les origines des
soldats de l’armée syrienne
après l’indépendance, ce n’est
pas la surreprésentation d’un
quelconque courant religieux,
mais leur appartenance à une
même classe sociale. Après
l’indépendance, les jeunes gens
pauvres issus de milieux ruraux
ont commencé à gonfler les rangs
de l’armée alors que ceux des
villes étaient davantage
susceptibles d’accomplir leur
service militaire de deux ans
pour ensuite se tourner vers des
carrières plus lucratives en
ville.
Cela, selon Seale, a été
"l’erreur historique des
familles dirigeantes et de la
classe des marchands et des
propriétaires terriens à
laquelle elles appartenaient : à
mépriser l’armée en tant que
métier, elles s’étaient laissé
capturer par leurs ennemis de
classe qui avait fini par
conquérir le pouvoir-même".
Pour quelqu’un qui se
complait à parler de classes,
Karadjis est incapable de
reconnaitre, ou refuse de le
faire, les origines élitistes du
sectarisme anti-alaouite.
Karadjis, avec ses tentatives
pathétiques d’accuser le "régime
alaouite" de sectarisme ignore
l’énorme éléphant wahhabite dans
la salle, qui fait que pendant
près d’un siècle, les formes les
plus sectaires et puritaines de
l’islam politique ont servi
d’instrument de la politique
étrangère américaine et
britannique.
Ces forces avaient été à
l’origine mobilisées pour
neutraliser les forces du
nationalisme arabe laïque de
gauche, qui étaient dans l’air
du temps et dominaient à
l’époque postcoloniale, frappant
l’imagination des populations
arabes, plus attirées par le
nassérisme, le baassisme, et le
communisme que par les
métarécits religieux.
En 1921, Winston Churchill,
dans un discours à la Chambre
des Communes avait décrit ainsi
les Wahhabites du Golfe : "ils
considèrent que c’est un devoir,
de même qu’un acte de foi, de
tuer tous ceux qui ne partagent
pas leurs opinions et de faire
des esclaves de leurs femmes et
de leurs enfants".
Mais, tout en s’indignant de
leurs pratiques culturelles,
Churchill reconnaissait la
nécessité de cultiver des liens
étroits avec la Maison des
Saoud, écrivant en 1953, "j’avais
une profonde admiration pour
[Ibn Saoud], à cause de sa
loyauté sans faille à notre
égard".
De la même façon,
l’Association des Frères
Musulmans, est apparue en Egypte
en 1928, avec le slogan : "le
coran est notre Constitution” et
pour objectif le retour à la
prétendue pureté des origines
historiques de l’islam.
Son fondateur, Hassan Al
Banna, collaborait étroitement
avec le roi Farouk qui utilisait
souvent la branche paramilitaire
des Frères Musulmans pour
terroriser les ennemis
politiques de la monarchie
égyptienne, avant tout la gauche
laïque, les nationalistes, les
communistes, mais aussi la
bourgeoisie libérale du parti
Wafd.
D’ailleurs, pourquoi ne
l’auraient-ils pas fait ? Les
Frères Musulmans représentaient
finalement les intérêts des
classes marchandes et des riches
propriétaires terriens, et, pour
autant qu’ils prêchaient pour la
justice sociale, leur politique
n’allait pas plus loin que de
demander aux riches de subvenir
aux besoins des pauvres, une
position très éloignée de celle
de leurs opposants de la gauche
laïque qui luttaient pour la
démocratie, la redistribution
des richesses et le socialisme.
Parallèlement, les homologues
des Frères Musulmans en Syrie
étaient constamment en conflit
avec le gouvernement
post-baasiste pour des motifs
totalement réactionnaires.
En 1964, un an après la prise
de pouvoir du parti Baass, et
six ans avant qu’arrive au
pouvoir le premier président
alaouite syrien, Hafez Al Assad
(certes, c’est Salah Jedid, un
alaouite, qui était devenu, de
facto le dirigeant en 1966), les
Frères Musulmans déclenchaient
leur première insurrection, et
pour quelle raison ?
D’après Seale, elle avait
commencé dans les souks (les
bazars ou les marchés) où "les
imams prononçaient des sermons
incendiaires contre le parti
Baas socialiste et laïque",
que "c’étaient les marchands
qui exprimaient leur colère car
ils craignaient l’expansion du
radicalisme baasiste" et que
"les notables ne supportaient
pas l’ascension d’arrivistes
issus de minorités et de leurs
modestes alliés sunnites".
La bourgeoisie de Hama, qui
soutenait les Frères Musulmans,
rendait les baasistes
responsables des révoltes des
paysans, surtout qu’avant les
réformes agraires qui ont suivi
le coup d’état de 1963, quatre
familles (sunnites) immensément
riches possédaient 91 des 113
villages de la région de Hama.
Pour les nouveaux dirigeants
baasistes, toujours d’après
Seale, "la ville [de Hama]
avait depuis très longtemps été
un symbole d’oppression pour la
population rurale pauvre – dont
beaucoup étaient issus – et le
bastion du conservatisme
sunnite, mais maintenant, ils en
étaient venus à la détester pour
ce qu’elle représentait : le
centre de réactions
malveillantes, un ennemi
impardonnable de tout ce qu’ils
défendaient".
En 1973, quand la
constitution syrienne avait été
modifiée pour supprimer une
clause qui exigeait que la
fonction de président devait
être exercée par un musulman,
les Frères Musulmans avaient
réagi par de violentes
manifestations.
Le complot anti-alaouite de
Karadjis comprend également
l’affirmation selon laquelle les
Makhlouf (qui sont les cousins
du président Assad) "contrôlent
entre 40 et 60% de l’économie
syrienne".
Cette affirmation était parue
à l’origine dans le Telegraph de
mai 2011, "le cousin germain
du président [Rami Makhlouf]
aurait le contrôle de plus de
60% de l’économie syrienne".
Cependant, l’absurdité de
cette affirmation est démontrée
par son ambigüité même. Qu’est
ce que cela signifie "contrôler"
un certain pourcentage d’une
économie ? Comment
quantifie-t-on cela ? Cela
veut-il dire que Rami Makhlouf
(ou la famille Makhlouf, comme
le prétend Karadjis) a un
patrimoine net qui s’élèverait à
une somme entre 40 et 60% du PIB
de la Syrie ?
Eh bien, non, cela ne tient
pas debout mathématiquement,
parce que la fortune de Makhlouf
serait de 5 milliards de
dollars, ce qui correspond à,
grosso modo, 6 % du PIB de la
Syrie.
Cela veut-il dire que
Makhlouf possède des actions
dans un grand nombre
d’entreprises ? Et si c’est le
cas, comment peut-on quantifier
ces 40 à 60% ?
L’idée ici, n’est pas de
défendre Makhlouf, qui, est
probablement coupable de
corruption et de népotisme, mais
plutôt de montrer comment des
affirmations peu convaincantes
comme celles-ci sont utilisées
par des gens comme Karadjis et
le reste de la gauche
pro-impériale pour faire des
généralisations abusives et
simplistes sur l’économie de la
Syrie.
Par souci d’exactitude,
précisons que si la Syrie a le
quatrième plus faible PIB par
habitant par rapport aux autres
pays arabes, elle se place au
troisième rang pour l’espérance
de vie (autour de 74 ans),
seulement dépassée par les
émirats producteurs de pétrole,
le Qatar et les Émirats arabes
unis (chiffres provenant des
banques de données publiques de
Google, et dont la source est la
BM).
Un exploit plutôt
impressionnant pour un pays sous
le coup de sanctions qui possède
peu de pétrole, un pays qui,
malgré un niveau de revenus
faible parvient à se placer dans
les premiers selon les
évaluations objectives de
l’indice de développement
humain, comme les soins de santé
et l’éducation.
Il suffit de lire le rapport
du Département d’état US sur les
investissements qu’a engagés la
Syrie en 2011, et qui n’est
qu’un chapelet de récriminations
contre l’économie en Syrie, qui
ne serait pas assez conciliante
envers les intérêts
capitalistes, pour se rendre
compte que le portrait simpliste
que font Karadjis et ses
semblables de l’économie
syrienne, qui la décrivent comme
étant une sorte de terrain en
friche néolibéral, est largement
mensonger.
Ce rapport indique que "malgré
des tentatives législatives
récentes de procéder à des
réformes, l’économie reste
largement centralisée", que
"le code du travail en Syrie
est en général considéré comme
un obstacle aux investissements
étrangers", et que "les
hauts responsables du
gouvernement rejettent
publiquement, par idéologie,
l’idée de privatiser des
entreprises publiques".
Sur ce dernier point, selon
un
rapport de Bassam Haddad
publié en 2011, et intitulé : ‘The
Political Economy Of Syria :
Realities And Challenges"
("l’économie politique de la
Syrie ; réalités et défis"), le
secteur public contribue encore
à environ 40% du PIB de la
Syrie.
Karadjis prétend que "le
régime avait créé des milices
alaouites sectaires (les
Shabiha) pour terroriser les
populations sunnites,
précisément". Cela, malgré
le fait que les trois exemples
de massacres qu’il cite pour
étayer son raisonnement, c.à.d.
Houla, Baïda et Banias, se sont
TOUS avérés être des attaques
sous fausse bannière qui
avaient, en fait, été menées par
les pseudo-"révolutionnaires”
que la gauche pro-impériale aime
tant.
L’histoire initiale du
massacre de Houla qui accusait
le gouvernement a été démontée
par le quotidien allemand
Frankfurter Allgemeine Zeitung.
La version initiale des
massacres de Baïda et de Banias,
qui avaient d’abord été mis sur
le compte du gouvernement
syrien, a également été
démentie.
Pour résumer brièvement : la
victime du massacre de Baïda la
plus connue, le cheikh Omar
Biassi, était un membre du
Comité de Réconciliation
Nationale, et un défenseur du
dialogue entre les diverses
religions et de l’unité
nationale. Il soutenait le
gouvernement et avait déclaré
publiquement : "nous pensons
que la résolution du conflit en
Syrie, qui était un pays sûr et
stable, se fera par le dialogue,
pour que le bateau et son
capitaine Bachar al-Assad
puissent se mettre à l’abri".
Un mois avant le massacre où
il perdait la vie, il qualifiait
les rebelles de "traitres" et
disait que la "seule solution",
"c’était de les tuer".
Le 2 mai, lui-même et 35
autres membres (36 au total,
donc) de sa famille élargie
étaient massacrés. Le
gouvernement n’avait aucune
raison de le tuer,
mais les rebelles très
certainement.
Quant au "massacre de
Tremseh" qu’évoque Karadjis, des
"militants" (c.à.d. des
partisans de l’ASL - l’Armée
Syrienne Libre) de Hama avaient
prétendu que les forces
syriennes avaient massacré 200
personnes, des civils pour la
plupart, bien qu’après une
enquête plus approfondie, il se
soit avéré qu’il s’agissait de
rebelles, pas de civils.
Selon les observateurs de
l’ONU, "l’attaque de Tremseh
semblait viser des groupes et
des maisons spécifiques,
principalement de déserteurs de
l’armée et de militants".
Le chroniqueur du Guardian,
Martin Chulov,
explique que "parmi les
103 morts signalés par
l’opposition, il n’y avait que
des hommes".
Et selon le
New York Times , "bien
que ce qui s’est passé à Tremseh
reste trouble, les preuves à
disposition indiquent que les
incidents qui se sont produits
jeudi dernier sont plus proches
du compte-rendu du gouvernement".
Loin d’être un massacre
sectaire contre les sunnites,
comme l’insinue Karadjis, la
Bataille de Tremseh était
essentiellement "un
combat bancal entre l’armée à la
poursuite des forces
d’opposition et des militants,
et des villageois qui tentaient
de défendre le village”
.
Le compte-rendu de Karadjis
sur ces massacres (sauf pour
Tremseh) visait à étayer son
argument selon lequel les pires
atrocités ont été commises par
le gouvernement, même si les
massacres de Houla, Baïda et
Banis, dont Karadjis accuse le
gouvernement, ont été,
effectivement, perpétrés par les
rebelles-mêmes qu’il gratifie du
nom de "révolutionnaires”.
Si on y ajoute le massacre de
Latakia de deux cents civils
commis par l’EIIL (État
islamique en Irak et au Levant),
ce que reconnait Karadjis, cela
implique que les pires atrocités
évoquées dans son article ont
été commises par les rebelles,
pas par le gouvernement.
Voici une différence
essentielle entre les deux camps
que Karadjis occulte
volontairement :
Même dans des cas de crimes
présumés, commis par les forces
du gouvernement, tout est fait
par l’état pour les minimiser ou
les nier parce que ces actes
sont considérés comme honteux,
alors que les
"révolutionnaires", non
seulement commettent des
atrocités sectaires, mais ils
s’en vantent ouvertement.
En résumé, quand il s’agit de
sectarisme, il n’y a pas
d’équivalence morale entre
l’état syrien et les rebelles
financés par l’OTAN, le Qatar et
l’Arabie Saoudite.
Les dirigeants des deux
fronts de la rébellion les plus
importants, à savoir l’EIIL et
Jabhat al-Nosra, sont
ouvertement sectaires, alors que
le front présenté par l’occident
comme étant "modéré" est dirigé
par Zahran Alloush
qui appelle publiquement à
l’épuration ethnique de
"Rafida” (à savoir les chiites,
et par extension les alaouites).
Selon les propres termes d’Alloush :
Les moudjahidines de Sham
[Al-Cham : la Syrie ou sa
capitale Damas, NDT]
chasseront la crasse des
Rafida et les Rafida de
Sham, ils les élimineront
pour toujours, si Allah le
veut, avant de purger Bilad
el-Sham des Majous [en
gros : les païens ou les
non-musulmans, NDT] qui
ont combattu la religion
d’Allah.
Dire qu’on peut trouver des
analogies du côté de l’Etat
syrien, a fortiori prétendre que
c’est l’Etat qui est à l’origine
du sectarisme, c’est d’une
absurdité phénoménale, mais
Karadjis, en fidèle laquais de
l’impérialisme US, parvient,
grâce à des exercices
incroyables de gymnastique
mentale, à inventer ce genre de
fiction.
Jay Tharappel est étudiant
en Master d’économie politique à
l’Université de Sydney,
Australie
Traduction pour le Grand
Soir : RR, traducteur non
rémunéré
Cet article complémente
celui-ci, récemment publié par
le Grand Soir :
http://www.legrandsoir.info/obama-erdogan-les-rebelles-syriens-et-la-l...
Note complémentaire
Lecture de Karadjis
du tableau du Washington
Institute for Near East policy :
"Si on compte uniquement ceux
qui font partie du régime, on
trouve : 23 alaouites, 5
sunnites et 5 "autres". Ce qui
veut dire que les alaouites, qui
représentent environ 10-15 % de
la population, occupent environ
72 % des postes à
responsabilité. Les Sunnites,
qui constituent environ 75-80 %
de la population, en occupent
moins de 16%. Les "autres" ["des
chrétiens, des druzes ou des
chiites ?" Se demande-t-il],
environ 12 %, seraient
légèrement, mais pas énormément,
surreprésentés (en fait, sachant
que le discours du régime est
qu’il est le protecteur des
"minorités", on peut donc en
conclure que les "minorités"
constituent 20-25 % de la
population, mais 84% du régime,
et que l’immense majorité
sunnite seulement 16 % du
régime).