RussEurope
Quand l'OTAN parle...
Jacques Sapir
Le général américain Philip BREEDLOVE
Photo:
D.R.
Vendredi 28 novembre 2014
Le général américain Philip BREEDLOVE,
Commandant en Chef des forces de l’OTAN,
parlant à Kiev mercredi 26 novembre a
fait une déclaration importante, qui
bien entendu a été passée sous silence
dans une grande part de la presse
française. Parlant de la présence
possible de troupes russes dans la
partie de l’Ukraine qui est sous le
contrôle des forces insurgés il a
précisément dit : "The numbers that we
have been using for some weeks haven't
really changed much – between eight to
ten battalion task groups on the border,
but that's not the important part," [Les
nombres dont nous disposons depuis
plusieurs semaines n’ont pas réellement
beaucoup changé – entre 8 et 10
bataillons « task groups » sur la
frontière, mais ce n’est pas la partie
importante]. Les mots ont un sens. Cela
signifie donc que (a) il n’y a pas eu «
d’invasion » de l’Ukraine comme l’ont
abondamment proclamé les journaux
français et (b) si ces troupes sont «
sur la frontière » elle ne sont pas à
l’intérieur de l’Ukraine. Que l’on
sache, la Russie est un pays souverain,
et elle a parfaitement le droit de faire
stationner des troupes à ses frontières.
Cette déclaration détruit donc les
différentes allégations sur la présence
de troupes de combat russes se battant
avec les insurgés. Toujours dans cette
déclaration, BREDDLOVE ajoute : [Russians
inside Ukraine are] "involved primarily
in training, advising, assisting and
helping". Autrement dit, il n’y a pas de
troupes de combats (soit des unités
régulières) mais l’OTAN prétend avoir la
preuve que « des russes sont impliqués
en premier dans l’entraînement,
l’assistance et l’aide ». Le général
BREEDLOVE ajoute enfin : "It's less
about the exact number, it's more about
the fact that there is a great force
there that can be exerted if it's
required," soit « le problème est moins
le nombre et plus le fait qu’il s’agit
d’une grande force qui peut être exercée
si elle est requise ». Autrement dit
nous en sommes à juger des intentions et
non des faits. Or, un commandement
permanent dans TOUTES les écoles de
guerre (et il se fait que j’en connais,
pour y avoir enseigné, quelques unes)
est qu’il faut juger des capacités d’un
adversaire et non de ses intentions
probables. En réalité, le Comandant en
Chef de l’OTAN admet qu’il n’y a pas de
forces russes déployées dans la partie
contrôlée par l’insurrection. Il admet
aussi que les précédentes déclarations
sur les dizaines de chars russes en zone
insurgée étaient fausses. Dont acte. Il
y a certes des forces à la frontière, et
l’on peut de demander en effet ce qui se
produirait SI ces forces étaient
employées. Mais, pour l’instant, ce
n’est nullement le cas. C’est un point
essentiel, qui, il faut le souligner,
détruit complètement la thèse du
gouvernement français quant à l’attitude
de la Russie et qui rend nulle et non
avenue notre décision concernant la
livraison des BPC de type « Mistral » à
la marine russe. La décision de notre
gouvernement de suspendre cette
livraison nous discrédite profondément,
à la fois face aux russes, mais aussi
face au reste du monde.
Que des russes soient présents aux côtés
des insurgés du Donbass est une évidence
que nul n’a jamais niée. Ces russes sont
pour certains des volontaires issus de
la société civile (et la mobilisation de
cette dernière aux côtés des insurgés a
été et reste impressionnante
aujourd’hui) et pour d’autres des
militaires qui ont demandé une
permission de 3 à 6 mois. Il est aussi
clair que ces volontaires n’ont pu se
rendre en Ukraine qu’avec l’accord
tacite, et parfois explicite, des
autorités locales, et même fédérales.
Dans certaines provinces (comme à
Smolensk ou à Rostov), le mouvement en
faveur des insurgés d’Ukraine a été
massif, et il a été freiné par les
autorités locales. Mais, ces dernières
ne s’y sont pas opposé, et la raison est
que la Russie est une démocratie, certes
imparfaite, certes avec de nombreux
défauts, mais néanmoins un démocratie.
Les autorités de Smolensk et de Rostov
n’ont pas voulu aller contre le
sentiment de leurs électeurs. Au niveau
fédéral, il est clair que le Ministre de
la défense a donné son autorisation pour
que les chefs de corps accordent des
permissions de longue durée aux soldats
et officiers souhaitant rejoindre les
insurgés. Mais, le gouvernement n’a pas
envoyé son armée à l’aide des insurgés
et ceci est un point capital.
La présence de ces volontaires russes,
mais aussi de volontaires venant d’une
dizaine de pays d’Europe, de Serbie, de
Slovaquie, de Roumanie, de France,
d’Italie, et d’Espagne en particulier,
doit se comprendre comme une réaction au
sort qui a été fait aux populations des
zones insurgées. Ces populations ont eu
à subir ce que l’on appelle en langage
diplomatique « un usage abusif et non
légitime de la force militaire » par le
gouvernement de Kiev. Ce dernier a eu
recours à des raids aériens contre les
zones insurgées, soit exactement ce qui
fut reproché au gouvernement syrien par
notre gouvernement et ce qui a motivé
les reproches et la condamnation
frappant le gouvernement de Damas. Les
bombardements des forces de Kiev ont
ciblé des hôpitaux et des écoles. Le
silence des « grandes âmes » des
intellectuels français fut alors
assourdissant, et il faudra nous en
souvenir. On peut parfaitement
comprendre ce qui a motivé des russes,
mais aussi des européens, pour se rendre
aux côtés des insurgés. C’est un
phénomène similaire à celui des «
brigades internationales » dans la
Guerre d’Espagne. Il faut alors
comprendre ce profond mouvement de
solidarité qui s’est exprimée en Russie
envers les insurgés. Il ne s’agit pas
seulement d’une réaction au sort qui
leur était fait (ou qui leur était
réservé) par les autorités de Kiev.
Cette réaction de solidarité puise ses
racines dans une réaction nationale
contre les abus multiples et multiformes
des puissances occidentales. Quand vous
méprisez une grande nation et que
celle-ci se réveille, il faut s’attendre
à des moments déplaisants. Encore
faut-il pouvoir comprendre ce que
signifie le mot Nation, et très
clairement ce n’est plus le cas pour
certains dirigeants occidentaux. La
société russe, et cela va bien au-delà
de la propagande du gouvernement qui
existe aussi, bien entendu, s’est
soulevée contre les prétentions
occidentales à détenir une fois pour
toute la « vérité » en tout et sur tout.
Si l’on ne comprend pas cela, on ne
comprend rien à ce qui se passe, à la
fois dans l’est de l’Ukraine et en
Russie. En fait, aujourd’hui, c’est le
comportement arrogant et agressif des
dirigeants de l’OTAN qui est le meilleur
propagandiste de Vladimir Poutine en
Russie. C’est la prétention des
dirigeants européens, du moins de
certains d’entre eux, à représenter une
« exception » en matière de valeurs et
de pratiques qui est en train de souder
la société russe autour de ses
dirigeants.
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