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Déchéances ?
Jacques Sapir
© Jacques
Sapir
Vendredi 25 décembre 2015
La proposition d’inscrire la déchéance
de nationalité pour les binationaux qui
ont été condamnés pour des faits de
terrorisme dans la constitution, projet
qui avait été annoncé par le Président
de la République après les attentats du
13 novembre, suscite le débat. Mais, si
débat il doit y avoir il doit porter sur
la nécessité – ou non – d’inscrire ceci
dans la constitution, nécessité qui
n’est en rien évidente, ainsi que sur le
fait de limiter cette peine aux seuls
binationaux.
Les
principes
Rappelons que le principe de
déchéance de nationalité existe déjà
dans le droit français[1].
Ce principe existe aussi dans l’ensemble
des pays européens. La seule limite,
depuis la « loi Guigou » de 1998 est que
cette disposition ne peut s’appliquer
qu’à des binationaux. Ceci est la
conséquence de l’article 15 de la
déclaration universelle des Droits de
l’Homme. Notons, aussi, que le Conseil
Constitutionnel a validé les articles 25
et 25-1 du code civil sur la déchéance
de nationalité et considéré que « les
mots « ou pour un crime ou pour un délit
constituant un acte de terrorisme »
figurant au 1° de l’article 25 et de
l’article 25-1 du code civil sont
conformes à la constitution »[2].
Il n’y a donc rien de juridiquement
scandaleux dans cette mesure. La
comparaison entre les déchéances
administratives prononcées par le
gouvernement de fait de Vichy et ces
mesures est particulièrement
inappropriée. Elle montre
l’incompréhension des questions
juridiques et politiques de ceux qui ont
formulé cette comparaison, une
comparaison qui pose problème quand on
sait que certaines de ces personnes sont
des élus de la République.
Les
contradictions des opposants
Les oppositions à cette mesure
montrent aussi une incompréhension de la
nature politique de la
nationalité et de la citoyenneté. Dire
que l’on ne pourrait retirer sa
nationalité à un individu pour des faits
condamnés qui l’ont mis hors de
communauté politique française
reviendrait en réalité à soutenir que
l’appartenance au peuple français ne se
fonde pas sur une base politique mais
sur une base ethnique. Seule une
appartenance « fondamentale » au peuple
français justifierait que l’on s’oppose
au principe de déchéance. Mais, l’idée
d’un « fondamentalisme » en la matière
est contradictoire avec la conception
politique du peuple et de la nation.
C’est cette conception politique qui
permet, d’ailleurs, de « faire des
français » par naturalisation, c’est à
dire de reconnaître que des personnes,
nées étrangères, puissent s’agglomérer
au peuple français, conçu comme un
ensemble politique. Les opposants au
principe de la déchéance se retrouvent
donc sur les positions des
« identitaires » les plus extrémistes,
et l’on attend, non sans une certaine
impatience (sic) qu’ils nous fournissent
leur définition « fondamentale » du
peuple français.
De même, disons tout net que
l’argument selon lequel cette mesure
ayant été proposée (entre autres) par le
Front National ne serait de ce fait pas
acceptable est d’une profonde stupidité.
Une proposition doit être jugée sur ses
mérites et sur rien d’autre. Nous sommes
ici en présence d’une déchéance de la
raison.
Une gestion
calamiteuse
Il n’en reste pas moins que ce
dossier a été très mal géré et par le
Président de la République et par le
gouvernement. On ne voit pas la
nécessité de passer par une modification
de la constitution pour inscrire le
nouveau motif de déchéance dans la loi.
Un vote devant le Parlement (Assemblée
Nationale et Sénat) suffirait amplement.
Des voix se sont d’ailleurs élevées dans
ce sens.
On comprend bien que François
Hollande veuille capitaliser
politiquement sur l’émotion provoquée
par les attentats du 13 novembre. En
cela il a tort. Le pays attend une
réaction de fermeté et de clarté, et non
des manipulations politiciennes.
François Hollande aura ainsi largement
contribué à briser le sentiment d’union
nationale qui s’était exprimé après ces
attentats.
De même, il y a aujourd’hui très
clairement un « problème Taubira » au
gouvernement. Ce problème ne provient
pas des convictions exprimées par Mme le
Garde des Sceaux. Au contraire, elle est
probablement une des seules personnes
ayant des convictions – même si on peut
les contester – au sein de ce
gouvernement. Mais, en prenant position
sur ce projet depuis un pays étranger
(l’Algérie en l’occurrence), elle a
commis une faute grave. Rappelons donc
la « jurisprudence Chevènement » : un
ministre, ça ferme sa gueule ou ça
démissionne. Mme Taubira, si réellement
elle est en désaccord avec cette mesure,
se doit d’en tirer les conséquences
quant à son maintien au gouvernement.
[1] Code Civil, section 1, art. 23
et art. 25,
http://www.legifrance.gouv.fr/affichCode.do?idArticle=LEGIARTI0TA000006149955&cidTexte=
LEGITEXT000006070721&dateTexte=19960722
[2] Décision n° 2014-439 QPC du 23
janvier 2015 du Conseil Constitutionnel,
http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/root/bank/download/cc2014439qpc.pdf
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