RussEurope
François Hollande à nu?
Jacques Sapir
© Jacques
Sapir
Mardi 13 octobre 2015
François Hollande a donc prononcé,
ces jours derniers, un discours devant
le Parlement européen. De ce
non-événement, il y aurait peu à dire,
si ce discours n’était pas en réalité
révélateur du personnage. Car, si notre
Président à cru que la commémoration de
l’historique duo Mitterrand-Kohl pouvait
passer pour un discours politique, il
s’est en réalité, et comme l’on dit « à
l’insu de son plein gré », déshabillé
dans ce discours. Ce dernier met à nu le
vide de sa pensée. Ce discours nous en
apprend bien plus sur l’homme que sur
l’Europe. Et c’est en cela qu’il est
sans doute, si ce n’est important, du
moins révélateur.
La crise
comme catastrophe naturelle
Le premier point qui frappe l’esprit
du lecteur, ou de l’auditeur, outre les
répétitions appuyées des références
faites aux discours, eux historiques, de
Mitterrand et Kohl, c’est la sombre
énumération des crises. Car, ces crises
apparaissent dans le langage utilisé par
François Hollande comme autant de
catastrophes naturelles, comme une
tornade ou de la grêle, contre
lesquelles seule l’Europe permettrait de
se protéger. Que l’on en juge : « A
dire vrai, voilà des années que l’Europe
affronte une série de crises : la crise
financière, née en dehors de notre
continent mais qui s’est propagée et qui
a provoqué une crise économique dont
nous sortons à peine, et une crise
sociale avec des millions de jeunes sans
travail. Et maintenant c’est une crise
humanitaire à laquelle nous faisons face
avec un afflux de réfugiés provoqué par
la déstabilisation de régions entières,
au Moyen-Orient, en Afrique, issus des
conflits armés, et avec la résurgence
des haines religieuses. Et je n’oublie
pas la crise sécuritaire avec une guerre
qui n’est pas si lointaine, aux
frontières de l’Europe, en Ukraine. Et
puis aussi des attaques terroristes qui
ont concerné plusieurs pays de notre
continent, dont le mien ».
Cette naturalisation de
l’environnement politique traduit
l’impuissance politique auquel notre
Président est réduit. Bien sur, il y a
des crises, des conflits internationaux.
Mais, ces crises sont toutes le produits
de forces sociales et politiques qu’il
faut nommer si l’on veut agir. Ces
crises doivent être analysées. Ici,
elles ne donnent lieu qu’à une longue
énumération de misères et de
catastrophes. Prenons le cas de la « déstabilisation
de régions entières, (…), en Afrique,
issus des conflits armés… ».
Peut-être serait-il bon de préciser que
cette déstabilisation est le produit de
la destruction du régime, certes
tyrannique, de Khaddafi par les
puissances occidentales, dont la France,
et de leur incapacité à trouver une
solution pérenne de remplacement. Les
crises et les conflits ne sont pas des
phénomènes naturels. Ils ont des causes,
ils mettent en œuvre des intérêts
politiques divergents. Mais, de cela
nulle mention. Au contraire, ce que
François Hollande tente de faire passer
comme idée à son auditoire c’est que ces
crises sont des événements hors de notre
contrôle, comme des catastrophes
naturelles. Les Nations européennes,
telles des poussins sous l’orage,
doivent aller au plus vite chercher
refuge sous l’aile de la mère-poule OTAN
ou UE. Cette vision, c’est le niveau
zéro de la politique internationale.
Quand
François Hollande parle du souverainisme
et se décrit lui même
Mais, il y eut dans ce discours un
passage encore plus révélateur sur le
caractère de notre Président. Vers la
fin de sa péroraison, il a ce passage
étonnant : « Et je vais ajouter, si
je puis dire, un codicille ou un
complément : le souverainisme, c’est le
déclinisme. Et c’est aussi dangereux de
ne pas donner d’espoir à une population,
de ne rien construire ensemble au nom
d’un repli national sans avenir. Face
aux épreuves, je suis convaincu que si
nous n’allons pas plus loin, alors non
seulement nous nous arrêterons, mais
nous reculerons. Et ce sera la fin du
projet européen ».
Quand on n’a rien à dire, mais que
l’on veut tout de même parler, il arrive
parfois que l’on dise des choses
stupides et parfois aussi que l’on en
dise plus que ce que l’on voulait. C’est
ce qui s’est passé avec ce discours de
François Hollande. Le terme de « déclinisme »
est certes à la mode mais que décrit-il
si ce n’est une forme de pessimisme ? La
réalité de la situation de la France est
marquée par un déclin incontestable
depuis plus de vingt ans, et de manière
accélérée dans les dernières années du
quinquennat de Nicolas Sarkozy et dans
celui de François Hollande. C’est un
fait. Mais ce déclin n’est pas
inéluctable, et quand on connait les
forces immenses des français et les
capacités des producteurs en France, on
peut légitimement penser qu’avec une
autre politique il en irait tout
autrement.
Le véritable « déclinisme », sous la
forme d’un pessimisme profond qu’exprime
justement François Hollande ou Nicolas
Sarkozy, c’est celui qui pense que sans
l’Union européenne il n’y aurait plus de
France, et que la France ne peut faire
face au monde qu’en disparaissant dans
une entité plus vaste. Ce discours, nous
l’avons déjà entendu dans notre
histoire, et en particulier de 1940 à
1944. Ce fut le discours du régime de
Vichy, et en particulier ceux de
Philippe Pétain, théorisant la défaite
de juin 1940 défaite dans laquelle sa
propre responsabilité était pourtant
lourdement engagée. Ce fut aussi le
discours de Pierre Laval, ancien
socialiste et partisan de la déflation
quand il fut Président du Conseil en
1935, deux points qui le rapprochent de
François Hollande. En fait c’est bien la
politique européenne menée par nos deux
derniers présidents, que ce soit Nicolas
Sarkozy ou François Hollande, qui
s’inscrit dans la filiation de la
politique de renoncement de Vichy.
Il est frappant que François Hollande
ait eu ces mots devant le Parlement
européen, lui qui vient, en partie,
d’une famille marquée par
l’extrême-droite.
Le
souverainisme et l’espoir dans la
société française
Mais, il faut aussi noter l’attaque
haineuse contre le souverainisme à
l’occasion de ce discours. Or, qu’est-ce
que le souverainisme ?
Le souverainisme se définit
étymologiquement comme l’attachement de
quelqu’un à la souveraineté de son pays.
Cela pourrait en faire un équivalent de
patriotisme. Mais, dans sa signification
actuelle, il définit un attachement et
une défense de la souveraineté du
peuple, qui est le fondement principal
de la démocratie. Le souverainisme est
donc l’expression de la volonté d’une
communauté politique (le peuple) à
pouvoir décider de lui même, par
lui-même et pour lui-même sur les
questions importantes. C’est donc une
notion qui s’enracine profondément dans
une vision de gauche de la société.
Le souverainisme, et plus encore la
notion de souveraineté, sont devenus
aujourd’hui des thèmes centraux de la
vie politique française. Il en est ainsi
car, après des années de petits
empiètement et de gros dénis de
démocratie (comme le fait d’avoir fait
adopter par le Traité de Lisbonne ce que
les français avaient rejeté lors du
référendum de 2005), la crise grecque a
montré que les institutions européennes
piétinaient ouvertement la souveraineté
d’un peuple. La crise grecque de l’été
2015, avec comme double point d’orgue le
référendum du 5 juillet et la
capitulation d’Alexis Tsipras le 13
juillet sous la contrainte financière
exercée par la BCE, a mis la question de
la souveraineté sur le devant de la
scène. La crise grecque a donc fait
office de révélateur et des français, de
plus en plus nombreux, comprennent que
la somme des petits empiètements du
passé a donné naissance à une rupture
qualitative en matière de souveraineté.
Le souverainisme c’est reconnaître la
vertu des frontières. Car, la frontière
est en réalité la condition nécessaire à
la démocratie. C’est elle qui met
l’étranger voulant vivre dans un autre
pays devant le choix de s’intégrer ou
d’être privé de droits politiques. Elle
est une séparation entre l’intérieur et
l’extérieur, séparation sans laquelle
aucune organisation, et je rappelle
qu’un Etat est une organisation, ne
saurait – tout comme tout être vivant –
exister. Même les protozoaires ont une
membrane qui les isole de leur
environnement. Elle est, comme l’a si
bien dit Régis Debray, une condition et
un produit, de la civilisation. Nier les
frontières, et donc nier la
souveraineté, c’est vouloir nous ramener
à l’état de tribu et d’ethnies.
Une frontière doit donc jouer le rôle
d’un filtre laissant passer certaines
choses, et bloquant certaines autres. La
question des frontières pose alors très
directement celle du protectionnisme.
Mais, quand François Hollande, Président
de la République, appelle à « manger
français », ne fait-il pas, lui aussi du
protectionnisme ? Sa formule relève même
d’une étape supérieure, qui s’appelle
l’autarcie et qu’aucun économiste ne
peut recommander. En réalité, des formes
de protectionnisme, égalisant les
conditions tant sociales qu’écologiques
dans lesquelles les biens sont produits,
sont absolument nécessaire. Ces formes
de protectionnisme seraient plus
efficaces si nous pouvions arriver à un
accord commun avec certains de nos
partenaires. Mais, même sans cet accord,
elles seraient incontestablement
efficaces.
Le souverainisme, dans les deux
définitions qui ont été données plus
haut, que ce soit celle – ancienne – de
patriotisme ou celle, plus actuelle,
d’attachement à la souveraineté du
peuple, s’oppose donc radicalement à
cette forme de pessimisme qu’est le
déclinisme.
Le souverainisme, c’est l’espoir,
c’est la volonté consciente d’une
communauté politique de créer un monde
meilleur et de faire face aux crises
diverses qu’elle peut rencontrer. Et
c’est peut-être pour cela que les
français, de plus en plus nombreux,
reconnaissent comme leur la notion de
souveraineté populaire et se disent
souverainistes.
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