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Président en décomposition
Jacques Sapir
© Jacques
Sapir
Mardi 9 septembre 2014
Nous sommes désormais non plus dans
une crise politique, mais dans une crise
de légitimité du Président de la
République, et probablement dans une
crise de régime. Jamais, même dans les
années qui suivirent Mai 1968, nous
n’avions connu une telle situation. Sous
nos yeux, la présidence de François
Hollande se décompose. Au delà de la
dimension personnelle de cet échec,
c’est bien la question des institutions,
et de l’Etat, qui est posée.
Précis de
décomposition.
Elle se décompose économiquement. La
politique menée par les gouvernements
Ayrault et Valls est un échec cuisant.
Ceci avait été dit dès l’automne 2012.
Il n’y a pas eu d’inversion de la courbe
du chômage, car la politique suivie, et
qui est en continuité avec celle du
gouvernement de François Fillon sous la
présidence de Nicolas Sarkozy, a
durablement cassée les dynamiques de
croissance. La répression budgétaire
couplée à une inflation très basse
enfonce le pays dans des difficultés
dont il ne sortira pas. Tout le monde
sent qu’il faut un changement radical,
et non de simple ajustement, voire ce
que propose une partie de la droite
parlementaire, un surcroît de répression
budgétaire. La désindustrialisation
continue de progresser et le
gouvernement se réjouit de la baisse de
l’Euro, mais sans rappeler que pour être
utile à la France, il faudrait que l’on
atteigne un taux de change de 1,05 à
1,10 Dollar pour un Euro. Nous en sommes
encore très loin. Elle se décompose
politiquement. La chute de la confiance
des Français dans leur Président atteint
des niveaux inégalés. La France est
désormais sans voix, que ce soit au sein
de l’Union européenne ou de manière plus
générale dans les relations
internationales ; les dernières
palinodies sur le contrat des BPC de la
classe « Mistral » en témoignent. Et
c’est cette France sans voix qui
pourrait parler haut et fort tant à nos
partenaires, et en particulier à
l’Allemagne, qu’à nos alliés ? On croit
rêver. La vérité, cruelle mais limpide,
est que nous sommes arrimés au char de
l’Allemagne et soumis à la domination de
Washington. Mais, cette décomposition
politique atteint désormais le cœur de
l’appareil d’Etat. Qui peut croire que
le Premier Ministre, homme ambitieux et
de peu de principes, restera fidèle au
Président alors que la chute de
popularité de celui-ci l’entraîne vers
l’abime ? Manuel Valls cherche désormais
fébrilement comment il pourra rompre
avec François Hollande pour préserver
son capital politique et ne pas couler
avec lui. Au sein de la majorité, c’est
la débandade. Les socialistes que l’on
dit « frondeurs » ou « affligés » sont
aujourd’hui devant leurs contradictions.
Tout soutien à ce gouvernement est un
soutien à une politique qui est, chaque
jour, plus antisociale et plus
destructrice économiquement. Ils sentent
bien que ce ne sont pas des mesurettes
tant fiscales que budgétaires qui
peuvent inverser la tendance dramatique
de l’économie française. Mais, ils
renâclent devant la seule solution qui
reste aujourd’hui. Seule, une sortie de
l’Euro et une dépréciation des monnaies
de la France mais aussi des pays
d’Europe du Sud permettrait d’inverser
la situation, de retrouver la croissance
et donc les grands équilibres, qu’il
s’agisse du budget, des comptes sociaux
ou de la balance commerciale. Ils sont
nombreux à le savoir, mais ils restent
fascinés par ce totem appelé « Union
européenne ». Ce qui reste de
l’opposition de gauche est, quant à
elle, tétanisée par la perspective de la
rupture avec le Parti « socialiste » et
prisonnière des alliances électorales
qu’impose notre système politique. Cette
situation conduit un nombre toujours
plus grand de Français à se tourner vers
le Front national. Ceci était
parfaitement prévisible. Mais, au lieu
de réfléchir sur la rupture qui s’impose
dans la politique économique du pays, on
préfère chercher à se servir de la
montée électorale du Front National pour
trouver de nouveaux arguments et de
nouvelles justifications à un
immobilisme tant économique que
politique. C’est une stratégie perdante,
à l’évidence.
Mais la présidence Hollande se
décompose aussi symboliquement. Une
affaire anecdotique prend sous nos yeux
la dimension d’une affaire d’Etat. Rien
n’est plus symbolique que l’émotion et
le tohu-bohu qui ont été provoqués par
le livre de Valérie Trierweiler dont
chacun soupçonne qu’a défaut d’être
exact il pourrait être vrai. L’image
d’un Président réduit à la posture d’un
adolescent incapable d’assumer la
conséquence de ses actes est
dévastatrice. Mais, ce livre en dit
aussi long sur l’envahissement de la
sphère publique par les émotions
privées. Avec la fin actée de la
séparation entre les deux sphères, nous
comprenons tous que la démocratie est en
danger. C’est pour cela, sans doute, que
l’anecdote d’un livre devient un fait de
société. Cette décomposition symbolique
scelle alors le caractère irrémédiable
de la décomposition économique et
politique.
Cette triple décomposition signe non
seulement une dramatique perte de
crédibilité du président de la
République, mais aussi une perte de sa
légitimité. Ce n’est pas seulement la
légitimité de l’homme qui est atteinte,
et durablement ; c’est la légitimité du
système politique. L’échec de François
Hollande n’est pas une page blanche sur
laquelle un impatient aurait griffonné
et raturé. Survenant après la Présidence
de Nicolas Sarkozy, qui déjà avait
dramatiquement affaibli les
institutions, elle signe la crise de
l’Etat, et sans doute sa propre
décomposition.
La catastrophe
prévisible.
Cette situation était, hélas,
prévisible. Elle était inscrite dans le
tour pris par la politique dès l’automne
2012. Elle devenait inévitable avec le
choix par le Président de Manuel Valls
comme Premier Ministre au printemps
2014, dont on a dit et écrit qu’il
constituait une faute grave. Le
président pourra toujours invoquer les
campagnes menées pas ses ennemis
politiques, mais elles ne sont que
normales dans une démocratie. De ses
adversaires, il ne devait rien attendre,
comme il était futile d’espérer en une
modification du contexte économique
international pour sauver une politique
aux effets désastreux. Louis XIV
écrivait déjà « toujours, faire fond du
pire ; l’espérance est mauvais guide »[1].
Plutôt que de se chercher des excuses,
de partir en quête de quelques boucs
émissaires, le Président ferait mieux de
s’interroger sur lui-même, de se
demander pourquoi il a été incapable
d’élargir réellement la palette des avis
qu’il recevait, ce qui se cache dans le
choix de ses amis les plus proches pour
l’entourer. Eut-il voulu délibérément se
couper du monde et de la réalité qu’il
n’y serait pas mieux parvenu. Cette
construction autistique traduit un refus
de la réalité. Non qu’il faille
abandonner ses convictions face au réel.
Jamais nous n’avons demandé quelque
chose de tel. Mais, l’homme (ou la
femme) de caractère se voit en ce qu’il
(ou elle) part du réel et se donne les
moyens pour le transformer. Ceci, jamais
François Hollande ne le fit, et pour
cela il va tout perdre, le pouvoir bien
sur, mais aussi la réputation et son
parti politique, qui risque fort de ne
pas se remettre de l’impasse dans lequel
il l’a conduit. Il va perdre enfin
l’Europe, qui risque fort de ne pas
survivre à la crise qui vient et dont on
pressent qu’elle sera cataclysmique. Il
n’a pas compris qu’en sacrifiant l’Euro,
il conservait une chance de sauver
l’Union européenne.
Ce n’est pas un problème
d’intelligence, car de cela il apparaît
raisonnablement doté. Mais, il combine
une vision étriquée des choses, et pour
tout dire fort idéologique, avec un
manque de courage auquel s’ajoute un
manque d’empathie. On n’est pas obligé
d’être un parangon de vertu, de
ce courage moral prisé par les Anciens.
On ne peut s’abonner au courage comme
l’on s’abonne à la Revue des Deux
Mondes. Mais alors, il convient
d’avoir de l’empathie pour ses
concitoyens. Or, François Hollande se
révèle froid, dur aux faibles
accommodant aux puissants. On n’est pas
obligé d’être en permanence dans
l’empathie, mais alors il faut compenser
cette froideur par du courage moral. Ce
qui n’est pas acceptable chez un homme
politique de cette ambition c’est la
froideur pour autrui qui s’accompagne de
l’apitoiement sur soi. On ne se fait pas
élire pour flatter son égo mais pour
servir.
Refuser le
désastre
De ce désastre qui s’annonce, quels
seront donc les formes ? Le pouvoir
présidentiel va continuer à de déliter à
une vitesse accélérée. Les mois qui
viennent verront François Hollande
abandonné par ses alliés, que ce soit en
Europe ou en France. D’ores et déjà, il
est tenu pour quantité négligeable par
l’Allemagne, méprisé à Londres et
considéré comme un valet à Washington.
Mais, c’est en France même que les coups
les plus durs se préparent. Il verra
dans les six mois qui viennent le Parti
« socialiste » passer sous la coupe de
ses adversaires, Martine Aubry en tête
et surtout il verra Manuel Valls le
trahir. Rien de personnel dans l’éclat
qui se prépare. Mais, la logique de nos
institutions veut que le Premier
Ministre, s’il entend préserver ses
chances futures, s’oppose à un Président
à l’agonie et construise son image
contre l’homme qui l’a nommé. Manuel
Valls va ainsi chercher progressivement
la rupture.
Si François Hollande peut,
théoriquement, rester en fonction
jusqu’en 2017, il sera probablement
contraint de dissoudre ce printemps, si
ce n’est avant. Il pourrait choisir de
précipiter l’épreuve. Une dissolution
dans les semaines qui viennent serait
douloureuse incontestablement pour le
Parti « socialiste », mais elle
prendrait de court l’UMP, qui n’est pas
remise de la guerre fratricide en Fillon
et Copé, et elle confronterait le Front
National à une échéance à laquelle il
n’est sans doute pas prêt. Une
dissolution rapide serait sans doute une
solution moins douloureuse qu’une
dissolution contrainte par le délitement
des soutiens parlementaire au printemps
prochain. Une dissolution rapide serait
aussi moins catastrophique pour
l’élection présidentielle de 2017.
Une autre solution est cependant
possible, qui au lieu de chercher à
limiter le désastre se donne pour
objectif d’inverser la tendance. C’est
la rupture symbolique avec l’Allemagne
pour tenter de retrouver des marges de
manœuvres économiques. Cette rupture
aurait l’avantage de permettre au
Président de se présenter comme celui
qui a tout tenté et qui, devant
l’obstination allemande, en prend acte
et provoque une crise. Renverser la
table peut être une méthode pour
retrouver du crédit quand on est dans
une position de faiblesse. Le Général de
Gaulle en usa ainsi en des moments
terribles. Cela implique alors de se
séparer rapidement de Manuel Valls,
prenant ainsi de court ses velléités
d’indépendance, et de choisir un homme
qui incarne, depuis maintenant des
années, « l’autre politique ». Cette
politique passe par la sortie de l’Euro,
faite de manière décidée et
irrémédiable. Car, une sortie de l’Euro
redonnerait immédiatement un dynamisme
économique à la France qui changerait du
tout au tout la situation. L’Euro est
une vache sacrée, mais c’est dans le
cuir des vaches sacrées que l’on taille
les chaussures pour qui veut avancer.
Quand tout semble perdu, c’est le
moment de passer à l’attaque. Tel
devrait être le raisonnement tenu par
François Hollande. La logique de la
situation devrait le conduire à cette
conclusion. Sinon, il sera comme la bête
de boucherie que l’on conduit à
l’abattoir. Mais peut-être est-ce cela
sa vérité profonde. Qu’il ne nous
demande pas, alors, de nous apitoyer sur
son sort.
[1] Instruction à
l’attention du Grand Dauphin.
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