RussEurope
Président à mi-chemin
Jacques Sapir
Photo:
D.R.
Mercredi 5 novembre 2014
Ainsi donc, François Hollande va nous
donner un bel exemple de communication
avec sa « performance », qu’il faut donc
comprendre au sens anglais du terme, de
mi-mandat du jeudi 6 novembre à TF-1.
Quel en sera le succès est déjà une
question qui agite beaucoup les
états-majors politiques mais qui n’a
guère d’intérêt. François Hollande
avait été élu sur un programme, certes
peu précis, mais néanmoins clair sur un
point : il devait lutter contre le
développement du chômage et redonner à
la France une économie industrielle. Tel
était le sens de la nomination d’Arnaud
Montebourg comme Ministre du
« Redressement Productif », autrement
dit de l’industrie. Il s’était aussi
engagé à réduire les déficits. En deux
ans et demi une certaine trajectoire
s’est dessinée, et elle nous a conduit
là où nous en sommes. C’est cette
trajectoire qu’il faut donc analyser.
L’échec dans la
lutte contre le chômage
La question des chiffres du chômage
est aujourd’hui, à l’évidence, une
question centrale, et pas seulement en
raison de l’imprudente affirmation faite
en décembre 2012 par le Président
François Hollande sur une « inversion »
de la courbe du chômage. On constate
d’ailleurs que les données officielles
sont contestées aux États-Unis, et dans
un certain nombre de pays européens. Aux
États-Unis en particulier, c’est la
baisse du taux de participation au
travail, alors que le taux de chômage
diminue, qui suscite controverse[1].
En France, c’est l’ampleur du chômage
qui prête à polémique. Pourtant, il faut
constater que les divers organismes de
recueil et d’exploitation des données
font un travail honorable. Ce qui pose
problème, en particulier dans notre
pays, est plus la présentation de ces
données. Il faut ici rappeler que la
DARES, qui collecte les données, recense
non des chômeurs mais des demandeurs
d’emplois. Elle classe alors ces
derniers en plusieurs catégories.
La catégorie « A » est constamment
citée comme chiffre de référence. Elle
correspond aux demandeurs d’emploi tenus
de faire des actes positifs de recherche
d’emploi, sans emploi. Mais, on constate
que la catégorie « D », soit les
demandeurs d’emploi non tenus de faire
des actes positifs de recherche d’emploi
(en raison d’un stage, d’une formation,
d’une maladie…), sans emploi, en est en
réalité très proche. Une personne
déchargée de l’obligation de faire un «
acte positif de recherche d’emploi »
dans le mois courant, quel qu’en soit la
cause, mais sans emploi, correspond bien
à la conception normale d’un
« chômeur ». Les personnes qui sont en
catégorie « B » ont un emploi à temps
très partiel qui leur a été imposé (- de
78h par mois) et souhaitent travailler.
Cela correspond aux chômeurs qui
retrouvent un emploi pour quelques jours
par mois, mais qui ne cessent pas d’être
des chômeurs pour autant. Ainsi, le
chômage réel couvre en réalité les
catégories A + B + D, et l’on peut
considérer que la catégorie B+D
correspond à un chômage masqué par des
artifices statistiques.
Les catégories « C » et « E » posent
d’autres problèmes. La catégorie « C »
correspond à des travailleurs ayant dû
accepter un emploi de + de 78 h mais de
– de 156 h par mois. Ceci est très
fréquemment la situation des femmes
travaillant dans la grande distribution.
On ne peut certes pas dire que ces
personnes sont au chômage, mais elles
n’ont pas non plus un emploi leur
permettant de vivre. Elles représentent
une nouvelle catégorie, que l’on
appellera le « quasi-chômage », de
personnes contraintes d’accepter un
emploi dont la durée est inférieure au
niveau légal. Enfin, nous avons la
catégorie « E » qui comprend des
personnes qui sont en emploi, mais dont
celui-ci est très souvent lié à
l’existence d’une aide publique
particulière, qui est la condition même
de cet emploi (emplois aidés). Ces
personnes ne sont pas au chômage, mais
se trouvent dans une situation
particulièrement précaire. On peut
considérer aussi que ces personnes sont
des « quasi-chômeurs ». Cette nouvelle
catégorie inclut donc les catégories C+E
de la DARES. On constate dans le
graphique 1 que le chômage, quel qu’en
soit la définition, n’a cessé
d’augmenter depuis l’élection de
François Hollande.
Graphique
1
Source:
DARES
Il faut ici remarquer que les
personnes de la catégorie « C » sont en
réalité les victimes de la
flexibilisation du marché du travail, et
ce sont elles qui sont les premières
licenciées dès qu’il y a des difficultés
économiques soit générales soit locales.
On peut aussi constater que la baisse du
nombre des salariés contraints
d’accepter un temps partiel imposé chute
quand la catégorie A augmente très
brutalement, d’août 2008 à l’été 2009.
Les mécanismes de lien entre ces
catégories ne sont donc pas les mêmes en
période de crise aiguë et en période de
crise longue. C’est l’une des
caractéristiques de la « flexibilisation
de l’emploi » telle qu’elle a été
imposée aux salariés français. De ce
point de vue, il est intéressant et
instructif de constater que ce phénomène
existe aussi en Allemagne, avec une
multiplication des temps partiels
imposés.
L’échec sur la
question de la consommation
Cette hausse continue du chômage
traduit en fait la stagnation de la
consommation et de l’investissement. La
baisse relative de la consommation a été
aggravée par les mesures contenues dans
les réformes dites Fillon, qui ont été
prises en 2011. Bien sur, la
consommation des entreprises et celle de
l’État, et en particulier des
collectivités territoriales[2],
masque en partie ce processus. Il faut
ajouter le poids des consommations
« contraintes », comme celles de
carburant. Néanmoins, ce processus
devient chaque jour plus évident. En
fait, la consommation des ménages, après
le fléchissement dû à la crise
financière, s’était redressée jusqu’en
janvier 2011. Depuis cette date, sous
les coups de la politique d’austérité
imposée pour « sauver la zone Euro », la
consommation a fléchi. Cela ne doit pas
nous surprendre quand on a à l’esprit
les chiffres de la production par
habitant que l’on a cités plus haut. Ce
qui est néanmoins significatif est que
ce fléchissement se produit alors que
l’épargne est nettement inférieure à ce
qu’elle était – à prix constants – en
2000.
Graphique 2
Source:
INSEE
En fait, cette baisse de la
consommation vérifie l’appauvrissement
général de la population. Il faudrait,
bien entendu, y ajouter la baisse des
services publics à la population, que ce
soit en qualité (dans les transports) ou
en qualité et en quantité comme
dans la santé et l’enseignement. La
politique budgétaire des gouvernements
depuis 2010, on l’oublie trop souvent, a
abouti à une stabilisation des dépenses
publiques au sens strict. Ce sont les
dépenses sociales, et en particulier les
dépenses de l’assurance chômage, qui
sont aujourd’hui les principales
responsables de l’accroissement des
déficits. Or, couper dans les dépenses
sociales, cela revient à provoquer une
nouvelle baisse de la consommation, qui
engendrera à son tour une baisse du PIB.
La boucle est bouclée, et le piège se
referme sur notre pays.
L’échec dans la
réduction des déficits
François Hollande avait fait de la
« réduction des déficits » l’un des
objectifs de sa politique. Il avait
repris à son compte la dramatisation
artificielle de ce problème qui
caractérisait le discours des
politiciens de l’UMP, et de M. Fillon en
particulier. On constate, alors, que le
gouvernement se débat dans une nasse où
il s’est lui-même mis. Il a construit de
toutes pièces la représentation
dramatique de la dette et du déficit.
Non que ces éléments ne soient
préoccupants ; mais, ils doivent être
ramenés au taux de croissance, et au
taux d’inflation, et d’une manière
générale, ils doivent être
contextualisés. N’oublions pas qu’en
1945 la dette publique était d’environ
150% du PIB, et qu’elle était revenu
autour de 30% dès le début des années
1960. Cette dramatisation artificielle
de la question de la dette conduit bien
entendu le gouvernement à vouloir
réduire au plus vite le déficit du
budget.
En effet le ratio (discutable par
ailleurs) DETTE/PIB est une
donnée statique. En dynamique, cette
donnée correspond au ration DEFICIT
BUDGETAIRE/Accroissement du PIB nominal.
Or l’accroissement du PIB nominal est
égal à : Inflation annuelle x
Accroissement du PIB en volume.
On constate que pour un pays qui
aurait un taux d’inflation annuel de 3%
et une hausse en volume du PIB de 1%, on
aboutit à une hausse du PIB nominal de
4,03%, ce qui implique qu’un déficit
budgétaire du même ordre ne provoque
aucune aggravation du ratio DETTE/PIB.
Cela revient à dire qu’une inflation
modérée est un facteur de réduction
potentielle de la dette publique, du
moment qu’elle peut être compensée par
une dépréciation de la monnaie afin de
garantir la compétitivité des
productions nationales. Mais, nous
sommes aujourd’hui avec une inflation
très faible.
Dès lors, le dilemme est très clair.
Toute réduction des budgets sociaux
risque de provoquer des troubles sociaux
de grande ampleur. C’est pourquoi, le
gouvernement issu des élections de 2012
avait commencé par faire le choix des
hausses d’impôts. Mais, pour que ces
dernières soient réellement efficaces,
il faudrait d’une part que le PIB
nominal (avec le taux d’inflation)
s’accroisse et que l’assiette fiscale
soit bien contrôlée.
Hors, la France étant depuis deux
décennies dans une situation de complète
ouverture financière, les possibilités
d’évasions fiscales offertes aux plus
aisés se sont démultipliées de manière
impressionnante. La hausse de la
pression fiscale s’est accompagnée
d’injustices fiscales importantes. Par
ailleurs, la faible croissance (et la
faible inflation) ont largement annulé
les effets de la hausse de la pression
fiscales. Il en résulte que
l’aggravation de la situation du plus
grand nombre se traduit directement,
mais aussi indirectement en raison de
l’impact de ces mesures sur les
anticipations des ménages, par une
baisse, d’abord relative puis bientôt
absolue, de la consommation. Cette
baisse de la consommation engendre un
ralentissement de la croissance, qui se
traduit par la disparition de nouvelles
ressources fiscales.
Au cœur de ceci se trouve un
mécanisme au nom barbare : le
multiplicateur des dépenses publiques.
Ce multiplicateur se calcule en
rapportant l’évolution du PIB à
l’augmentation (ou à la diminution) de
la dépense publique, que celle-ci
provienne des dépenses stricto-sensu ou
d’une modification (à la hausse ou à la
baisse) des recettes. Les économistes
hétérodoxes soutenaient, depuis près de
20 ans, que la valeur de ce
multiplicateur n’était pas fixe et
pouvait, selon les situations
économiques, connaître de fortes
variations. Les experts du gouvernement
en ont pensé autrement, et ils ont
décidé que la valeur du multiplicateur
devait se trouver autour de 0,5. Or, des
travaux du Fonds Monétaire International
ont montré qu’il n’en était rien[3].
On a pu calculer que cette valeur était
en réalité de l’ordre de 1,5 à 1,7 dans
de nombreux pays. En France, la valeur
de ce multiplicateur est d’environ 1,4.
En quoi est-ce important ? En fait cela
signifie que si vous diminuez la dépense
publique (ou si vous augmentez les
impôts) de 1% du PIB, cette diminution
entraînera une baisse du même PIB de
1,4% (et non de 0,5%). Or, une baisse de
1,4% du PIB, compte tenu de la pression
fiscale, se traduit par une baisse des
recettes de l’État de 0,8%. Le résultat
est que la réduction du déficit n’est
plus de 1%, mais de 0,2%. Par ailleurs,
cela se produit dans une économie qui
est ralentie justement par l’effet
direct (et indirect) de cette réduction
des dépenses publiques (ou de cet
accroissement des impôts). C’est ce
mécanisme qui explique pourquoi, alors
que les impôts ont fortement augmenté
depuis 2011 (car les hausses ont
commencé sous le gouvernement Fillon),
le déficit budgétaire ne s’est pas
réduit et la dette, exprimée en
pourcentage du PIB, n’a cessé de
grandir.
L’impossible retour
de la croissance
Toute l’équation pour le gouvernement
tourne donc autour de la croissance en
volume du PIB, dont on sait, par les
calculs de l’INSEE, qu’elle ne promet
rien de bon[4].
Le poids de la crise se fait désormais
sentir depuis six ans. Il y a donc ici
un effet cumulatif. Or, si l’on reprend
certains des éléments que l’on a
évoqués, on constate que tout concourt,
depuis plusieurs années à plonger la
France dans une situation de stagnation
économique.
Tableau 1
Facteur contribuant
à la croissance
|
2011
|
2012
|
2013
|
2014
|
|
T1
|
T2
|
T3
|
T4
|
T1
|
T2
|
T3
|
T4
|
T1
|
T2
|
T3
|
T4
|
T1
|
T2
|
Demande intérieure hors stocks |
0,5
|
-0,5
|
0,2
|
0,1
|
0,4 |
-0,2 |
0,1 |
-0,1 |
0,2 |
0,4 |
0 |
0,2 |
-0,4 |
0,1 |
Dont
Formation Brut de Capital Fixe |
1,7
|
-0,9
|
-0,7
|
1,8
|
-0,1 |
-0,1 |
-0,1 |
-0,7 |
-0,3 |
0,3 |
-0,3 |
-0,1 |
-0,9 |
-1,1 |
Consommation des ménages |
0,3 |
-0,9 |
0,2 |
-0,3 |
0,5 |
-0,6 |
0,1 |
-0,1 |
0,3 |
0,3 |
-0,1 |
0,2 |
-0,6 |
0,4 |
Variation des stocks |
1,4 |
-0,3 |
0,0 |
-0,9 |
0,1 |
-0,1 |
0 |
-0,2 |
-0,1 |
0,1 |
0,3 |
-0,3 |
0,5 |
0 |
Commerce extérieur |
-0,8 |
0,9 |
0,0 |
0,9 |
-0,3 |
0,1 |
0,1 |
0,1 |
-0,1 |
0,2 |
-0,4 |
0,3 |
0 |
-0,1 |
PIB |
1,1 |
0,0 |
0,2 |
0,1 |
0,2 |
-0,2 |
0,3 |
-0,3 |
0 |
0,7 |
-0,1 |
0,2 |
0 |
0 |
Source : INSEE, Annexe Statistique à
la Note de Conjoncture, 2 octobre
2014, Paris.
http://www.insee.fr/fr/indicateurs/analys_conj/archives/ca_2014_vf1.pdf
Il faut, de plus, ici rappeler un
fait : avec un PIB qui stagne en termes
réels, et à structure de répartition
constante, un pays dont la population
s’accroît régulièrement, comme c’est le
cas de la France, voit le PIB par
habitant diminuer mécaniquement. Cela se
traduit par un revenu en baisse, mais
aussi – car les résistances aux diverses
coupes sociales que veut imposer le
gouvernement sont naturellement fortes –
par une hausse des prélèvements pour
tenter de réduire les divers déficits,
qu’il s’agisse du déficit budgétaire, du
déficit des assurances sociales ou du
déficit du commerce extérieur.
Le refus de la
solution
En fait, ce bilan désastreux avait
été anticipé dès l’été 2012. Dans des
documents qui ont été remis au Président
(l’un en juillet 2012 et l’autre en août
de la même année), on annonçait l’échec
de la politique économique et l’on
expliquait pourquoi ce que l’on appelle
la « politique de l’offre » ne
fonctionnerait pas. En effet,
l’hypothèse implicite de la « politique
de l’offre » est que si l’on accroît la
masse des profits à l’instant (t) (ou le
taux de marge), cela poussera les
entreprises à investir, augmentera la
croissance, et créera des emplois. On
retrouve le soi-disant « théorème »
d’Helmut Schmitt « les profits
d’aujourd’hui font les investissements
de demain et les emplois
d’après-demain ». Cela suppose,
implicitement, que l’investissement soit
uniquement contraint par les
capacités financières. Cela ne dit rien
sur ce qui conduit un entrepreneur à
investir, autrement dit le niveau
anticipé de la demande à (t+1). Mais, un
entrepreneur investit en fonction de
l’espérance de profit qu’il a sur cette
opération. La notion d’espérance ne doit
pas induire en erreur. Si, dans certains
cas, elle peut s’apparenter à
l’espérance mathématique[5],
dans la majorité des cas elle relèvera
bien plus du sentiment psychologique de
l’entrepreneur, de sa représentation de
ce que le futur pourrait être, mais ne
sera pas forcément[6].
Or, les entrepreneurs sont confrontés
à deux phénomènes : d’une part, la
baisse de la consommation des ménages,
que nous avons évoquée, et d’autre part
la chute de la production industrielle,
à l’exception des industries agricoles
et alimentaires. Ceci induit une moindre
volonté d’investir, à contraintes
financières inchangées. L’investissement
apparaît aujourd’hui essentiellement
contraint par la faiblesse de la
demande. Il en résulte une baisse
absolue de l’investissement ces
dernières années.
Graphique 3
On constate en effet que
l’investissement, qui avait tendu à
s’accroître fortement de 2003 à 2007,
n’a pas, lui non plus, récupéré du choc
de la crise financière. Le
rétablissement partiel de 2011
s’explique largement par les
investissements publics décidés en
réaction à la situation créée par la
crise. Cet effort particulier
d’investissements publics fut cassé par
le retournement de politique économique
imposé par M. François Fillon, alors
premier ministre, en 2011.
L’investissement privé n’a pas pu
prendre le relais. Ainsi, en 2013, le
montant global de l’investissement est à
peine supérieur à 350 milliards d’euros
(aux prix de 1995) alors qu’il avait
atteint 395 milliards en 2007, soit une
baisse de -11,4%. Les conséquences sont
considérables, tant à court qu’à moyen
terme. A court terme, la croissance
n’est tirée ni par la consommation
intérieure, ni par l’investissement.
Comment s’étonner alors qu’elle soit
atone ? Mais, à long terme, la baisse de
l’investissement implique une baisse de
la compétitivité générale des
entreprises industrielles, à taux de
change constant. Or, du fait de l’Euro,
la seule stratégie possible pour la
France, du moins si elle entend ne pas
toucher à ce cadre contraignant, repose
sur des gains de compétitivité
supérieurs à ses partenaires obtenus par
un effort proportionnellement plus
important d’investissement.
La solution évidente résiderait
pourtant dans une dissolution de la zone
Euro qui permettrait à chaque pays
d’avoir le taux de change correspondant
aux réalités de son économie. Ce que
nous perdrions par rapport à l’Italie et
à l’Espagne qui, n’en doutons pas,
dévalueraient plus que nous, nous le
gagnerions et au-delà par rapport à
l’Allemagne et aux pays de la zone
Dollar. On aurait alors une remise en
ordre des balances commerciales,
l’excédent allemand diminuant tandis que
la France, l’Italie ou Espagne seraient
tirés par la croissance de leur commerce
tant extérieur qu’intérieur. Le coût,
pour l’Allemagne, serait passager car
important des produits des pays ayant
dévalué, elle limiterait ainsi en partie
les effets de surévaluation de sa
monnaie qu’une dissolution de la zone
Euro entraînerait immanquablement. C’est
ce que ne comprennent pas les
« socialistes affligés »[7].
Ces derniers, et l’on associe ici les
dissidents du PS et certains membres du
Front de Gauche, dénoncent la
« politique de l’offre » menée par le
gouvernement. Ils ont raison sur ce
point. C’est une politique sans avenir
si elle est poursuivie par l’ensemble
des pays européens. Cette politique
aggrave en réalité la crise. Mais, il
n’y a pas d’espace pour une « politique
de la demande » dans le cadre strict de
l’Euro ce que, par tactique ou par
aveuglement idéologique, ils se refusent
à voir. Il est évident que l’adoption de
taux réduit pour la CSG et
l’accroissement du nombre des emplois
aidés sont deux mesures parfaitement
inadaptées à la gravité de la situation.
Elles ne peuvent être que des palliatifs
à l’efficacité limitée[8].
Par ailleurs, il ne peut y avoir de
« politique de la demande » stricto
sensu que si on inclut dans cette
politique un nécessaire effort
d’investissement. Mais, pour cela, il
faut reconstruire et la demande (pour
assurer le besoin d’investir) et la
trésorerie des entreprises (pour assurer
la capacité à investir), car faire l’un
sans l’autre aboutit, et aboutira, à
l’échec. La situation économique connaît
une dramatisation qui ne laisse que très
peu de marges de manœuvres aux
différents acteurs. Les récentes
nominations confirment bien à la fois la
permanence dans l’erreur dans laquelle
se complait François Hollande, mais
aussi un entêtement meurtrier à
appliquer une soi-disant « politique de
l’offre » qui n’a jamais fonctionné dans
une situation de dépression. Le
Président, et ses conseillers, vont
continuer à vivre dans un monde
imaginaire, où la croissance est
supposée revenir d’un jour à l’autre.
Ce refus d’une solution que désormais
de plus en plus d’économistes
préconisent est profondément lié à un
refus, conscient ou inconscient, de la
souveraineté nationale. Il faut le
constater, pour le déplorer, mais alors
que les Nations sont plus que jamais les
acteurs de la politique internationale[9],
l’élite politique française, au
contraire de la population, ne croit
plus en la Nation. On trouve ici l’une
des raisons du divorce, tous les jours
plus évident, entre les élites et le
peuple.
Présidant perdant,
Président perdu
Le Président qui se présentera à TF-1
jeudi est un Président perdant. Ce n’est
pas nécessairement rédhibitoire. Nous ne
sommes pas à Carthage et l’on ne met
plus à mort les généraux défaits. Mais,
ce qui est grave est que François
Hollande avait été dûment prévenu des
dangers de la politique dans laquelle il
engageait la France. Je voudrai ici
rappeler une anecdote, qui me fut
rapportée par Nicolas Dupont-Aignan. Ce
dernier, en tant que député et
responsable d’un mouvement d’opposition,
Debout la République (devenu
depuis Debout la France) fut
convié entre l’élection présidentielle
et les élections législatives à l’Elysée
par François Hollande, comme il est de
coutume. Après lui avoir exposé les vues
de DLR, il fit mention au
président nouvellement élu d’un document
de travail que j’avais rédigé au mois
d’avril précédent. La réponse de
François Hollande mérite d’être citée ;
il dit à Nicolas Dupont-Aignan : « je
connais ce document, et il est sur mon
bureau… Je sais que je dois le lire mais
cela me sera pénible ».
Dans ce document, après avoir analysé
les raisons de la crise économique, je
montrais que l’une des solutions
résidait dans une sortie de l’Euro. On
se doute que cette position n’était pas
celle de François Hollande. Mais,
l’important n’est pas là. Lisons bien la
seconde partie de sa phrase : « …je sais
que je dois le lire, mais cela me sera
pénible ». Quel aveu terrible d’un
homme, aspirant aux plus hautes
fonctions, et incapable d’affronter la
dissonance cognitive.
Nicolas Dupont-Aignan me rapporta
cette phrase qui l’avait atterré, non
pour son fond – il savait ce que pensait
Hollande – mais pour sa forme. Nous
avons là toute la présidence de François
Hollande résumée en quelques mots. Ce
qui est grave n’est pas tant qu’il soit
un Président perdant, mais bel et bien
un Président perdu, dépassé par sa tache
et incapable de faire les choix qui
s’imposent. Et c’est cela,
fondamentalement, que les Français ne
pardonnent pas à François Hollande.
[3]
O. Blanchard et D. Leigh, « Growth
Forecast Errors and Fiscal
Multipliers »,
IMF
Working Paper,
WP/13/1, FMI, Washington D.C.,
2013,
[5]
Bourdieu J, Benoît Cœuré et
Béatrice Sédillot
« Investissement, incertitude et
irréversibilité »,
Revue
économique,
Volume 48, n°1, 1997. pp. 23-53.
[6]
Malinvaud, E, « Profitability
and investment facing uncertain
demand »,
Document
de travail de l’INSEE,
n° 8303, Paris, 1983.
[9]
Sapir J.,
Le Nouveau
XXIè Siècle,
le Seuil, Paris, 2008.
Le sommaire de Jacques Sapir
Le dossier
Politique
Les dernières mises à jour
|