Promenade
d'un économiste solitaire
François Hollande
au pied du mur
Jacques Sapir
© Jacques
Sapir
Lundi 4 novembre 2013
Source :
RIA Novosti
Le gouvernement français vient d’être
contraint à deux reculs, l’un sur la
taxation rétroactive des revenus de
l’épargne et l’autre sur l’écotaxe, un
impôt pénalisant les transports routiers
afin de favoriser le transport ferré.
En fait, ces deux mesures ont
cristallisé un mécontentement latent. Le
recul sur l’écotaxe est particulièrement
symbolique. Il s’est fait dans des
conditions politiques très dégradées. La
Bretagne est pratiquement en état de
soulèvement antifiscal. On a d’ailleurs
vu à cette occasion ressurgir les «
bonnets rouges » en Bretagne, et en
particulier ce samedi 26 octobre 2013
lors des manifestations qui ont eu des
suites tragiques (un blessé avec une
grave blessure au cou, un autre avec une
main arrachée). Ce n’est pas un hasard.
On sait, peut-être, que ce nom recouvre
l’une des plus grandes révoltes de
l’Ancien Régime, qui survint en Bretagne
sous le règne de Louis XIV en 1675 (1),
révolte qui fut longuement étudiée par
un grand historien soviétique, Boris
Porchnev, et qui fut l’une des grandes
révoltes populaires, annonciatrice de la
Révolution de 1789 (2).
La Bretagne et les bonnets
rouges
Si ces manifestations ont clairement
tourné à l’émeute, c’est qu’elles ne
font que témoigner du désespoir d’une
partie de la population bretonne. La
Bretagne, on le sait, est durement
touchée par la crise actuelle et en
particulier par sa forme spécifique de
destruction du tissu industriel des
petits bourgs ruraux. Cette crise se
traduit en effet par la fermeture, ou
par des licenciements, dans des petites
et moyennes entreprises qui sont souvent
(mais pas uniquement) dans le secteur
agro-industriel et dont le rôle est
critique sur des bassins d’emplois très
segmentés. Une misère néo-rurale
apparaît alors, concentrée dans des
bourgs ou des gros villages, liée à la
fermeture de l’employeur local. Elle est
en train de faire tache d’huile en
Bretagne. À ce phénomène, qui dure
depuis maintenant deux ans, est venu
s’ajouter la crise spécifique de la
filière agro-alimentaire qui entraîne
avec elle une partie de l’agriculture.
Ce que l’on appelle la « crise de la
filière porcine » est en réalité le
résultat d’un dumping sauvage pratiqué
par l’Allemagne abritée derrière l’Euro.
Ce dumping est en train de ravager la
Bretagne. On le voit avec les problèmes
des abattoirs, de sociétés comme Doux et
Gad. Un nouvel exemple est donné par
l'usine Tilly-Sabco de Guerlesquin
(Finistère). La production de poulets
entiers devrait s'y arrêter en janvier
2014. Ce volailler est en réalité numéro
2 européen ; c’est donc une entreprise
importante. Les exportations y
représentent 90 % de la production. Mais
avec un Euro fort, la concurrence des
pays émergents et la suppression des
aides européennes, cette entreprise
accumule les pertes, ce qui a contraint
le directeur à annoncer la suspension de
l'activité.
Ces faillites, et ces fermetures
viennent ajouter la misère à la misère ;
très souvent c’est un couple et non
seulement la femme ou l’homme qui sont
employés Dans ces entreprises. La
fermeture d’un site, qui est souvent
l’unique employeur du canton, est une
véritable condamnation à mort non
seulement pour les anciens employés mais
aussi pour les commerçants et artisans
locaux dont l’activité dépendait de ces
emplois. C’est donc tout un micro-tissu
«économique qui est en train de se
défaire en Bretagne.
Enfin, goutte d’eau ultime, nous
avons l’écotaxe, un impôt fondé sur des
principes justes (le principe
pollueur-payeur) mais tellement mal
ficelé qu’il pénalise en premier lieu
les producteurs locaux au profit d’un
transport autoroutier. De plus, des
primeurs qui sont produits à 300-km de
Paris vont être plus taxés que des
salades ou autres légumes débarquant de
l’autre bout du monde par avion à
Roissy. C’est bien là toute l’aberration
d’un impôt dont la mise en place a été
livrée au jeu des lobbys européens.
Telles sont les raisons de la révolte
qui, après avoir couvée pendant de longs
mois, est en train d’exploser en
Bretagne. Face à cette révolte, les
mesures qui avaient été annoncées par le
gouvernement n’étaient même pas de
l’ordre du dérisoire ; elles étaient une
véritable insulte à ces milliers de
personnes que la politique
gouvernementale a jetées dans la rue et
sur les routes, et où elles n’ont trouvé
en face que les CRS et la répression.
C’est donc dans ces conditions que le
mardi 29 octobre le gouvernement s’est
résolu à « suspendre » l’application de
l’eco-taxe, aboutissant à l’un des
reculs que l’on a évoqués en
introduction.
Les raisons d’une reculade
Les raisons en sont multiples. La
première est politique. Jamais la
popularité du Président François
Hollande n’aura été aussi basse. C’est à
un effondrement auquel on assiste, un
effondrement sans précédent dans la Vème
République. Le mouvement social qui
couvait en Bretagne menaçait de faire
tache d’huile, et aurait pu conduire à
un embrasement généralisé.
Graphique 1.
Côte des bonnes et des mauvaises
opinions de François Hollande
C’est donc à une situation sans
précédent que l’on est aujourd’hui
confronté. L’impopularité du Président,
comme celle du gouvernement, restreint
drastiquement ses marges de manœuvres.
Dès qu’il est, ou qu’il sera, confronté
à des mouvements d’opposition un tant
soit peu virulents il n’aura plus
d’autres solutions que de reculer. Il en
donne l’exemple sur la Bretagne et sur
les mesures fiscales qu’il souhaitait
prendre, mais ce faisant il envoie aussi
un signal à tous les groupes de
pression. Ce n’est pas la « fermeté »
dont il a fait preuve le 31 octobre
devant les dirigeants des clubs de
football français qui pourra y changer
quoi que ce soit.
À cette raison évidemment d’ordre
politique vient s’ajouter une raison
économique. On l’a dit auparavant, la
cause fondamentale du marasme de la
Bretagne, et plus avant de la France
entière, porte un nom : l’Euro. Mais,
alors que nous fêtons le vingtième
anniversaire du traité de Maastricht
(1993), il ne saurait être question pour
un politicien habitué aux compromis
comme François Hollande de mettre en
cause ce qu’il pense être un traité
fondateur.
Pourtant, s’il veut conserver le
pouvoir de décider et de gouverner, s’il
veut être autre chose qu’une feuille
soumise aux vents divers, qu’un fétu de
paille dans la tempête, François
Hollande devrait comprendre la cause des
malheurs qui accablent la France.
L’Union Économique et Monétaire n’a
apporté que le malheur en France et dans
l’Europe du Sud. Il suffit de regarder
les chiffres du chômage pour le mois de
septembre :
Grèce : 27,6 % de
chômage dont 57,3 % de chômage chez les
jeunes de moins de 25 ans.
Espagne : 26,6 % de
chômage dont 56,5 % de chômage chez les
jeunes de moins de 25 ans.
Chypre : 17,1 % de
chômage dont 43,9 % chez les jeunes de
moins de 25 ans.
Portugal : 16,3 % de
chômage dont 36,9 % chez les jeunes de
moins de 25 ans.
Italie : 12,5 % de
chômage dont 40,4 % chez les jeunes de
moins de 25 ans.
En mettant fin à l’UEM, c’est-à-dire
à la zone Euro, en redonnant à ces pays,
et à la France en premier lieu, leur
souveraineté monétaire, il permettrait à
ces pays de renouer avec la croissance
forte dont ils ont désespérément besoin.
On peut cependant douter qu’il soit prêt
à un tel tournant qui cependant, en
toute rigueur de raisonnement, s’impose.
Quel choix pour François
Hollande?
François Hollande est donc
aujourd’hui au pied du mur, et le
gouvernement de Jean-Marc Ayrault en
bout de course. L’usure a été trop
brutale et trop rapide. Le risque de
paralysie le guette alors qu’il a encore
trois ans et demi à accomplir comme
Président. Quatre possibilités sont
ainsi ouvertes.
La première, celle qui correspond le
plus à la pente naturelle de notre
Président, est de ne rien faire, et de
tenter de conserver, contre vents et
marées, ce gouvernement et cette ligne
politique pourtant durablement
discréditée. Si tel est son choix, la
France doit s’attendre à trois années et
demie d’immobilisme. Il n’est pas sûr
que la France puisse se le permettre et
cet immobilisme pourrait déboucher sur
des explosions sociales d’une violence
inattendue. Une variante consisterait en
un remaniement à la marge ne changeant
rien aux principales caractéristiques de
ce (non)gouvernement.
La seconde possibilité est un
remaniement ministériel avec le choix de
Manuel Valls, le Ministre de
l’Intérieur, comme Premier Ministre.
François Hollande chercherait à
capitaliser sur la popularité actuelle
de Valls. Mais, ce faisant, il prend le
risque de l’user prématurément.
D’ailleurs, le choix de Manuel Valls n’a
de cohérence que s’il s’accompagne d’une
ouverture vers le centre-droit. Mais, le
centre est en France comme le mythique «
triangle des Bermudes » : quand on
l’atteint, on disparaît. Ce gouvernement
Valls pourrait faire illusion pour une
période de 6 mois à un an, mais après la
France se retrouverait dans un état pire
qu’aujourd’hui. Un gouvernement Valls
serait un chiffon rouge devant le Front
de Gauche et une partie de la Gauche
socialiste alors que, dans le même
temps, les forces d’appoint centristes
seraient probablement insuffisantes. La
pays irait de crise sociales en crises
politiques, avec à la clef une probable
dissolution de l’Assemblée dans un délai
d’un an.
Une troisième possibilité serait un
gouvernement de technocrates, en
apparence apolitique, mais en réalité
complètement inféodé à Bruxelles et à
l’Union Européenne. Une telle solution
serait tellement odieuse pour une
majorité de français qu’elle se
heurterait à des résistances immédiates
qui seraient certainement massives
(comme dans le cas breton) et
probablement violentes. Loin d’être une
garantie de calme politique elle
s’accompagnerait d’une montée de plus en
plus importante de la contestation dont
on pressent aujourd’hui l’existence.
Cette possibilité ne serait pas une
solution, que ce soit économiquement
(car elle serait illégitime) ou
politiquement (car elle dresserait la
Nation contre elle).
Reste une quatrième possibilité :
l’appel à un homme dont le prestige et
les positions garantiraient qu’il serait
celui d’une rupture dans la politique
économique actuelle mais sans rupture
avec le cadre démocratique et
Républicain. Un homme ayant à la fois
les convictions et les compétences pour
mener cette « autre politique » à
laquelle un nombre grandissant de
Français désormais aspirent. Cet homme,
ceux qui connaissent la politique
française le reconnaissent : il s’agit
de Jean-Pierre Chevènement. Il aurait,
lui, l’autorité et la légitimité pour
mettre en œuvre ce nouveau cours – dont
il s’est fait l’apôtre et le héraut
depuis de nombreuses années - sans une
rupture dramatique avec le cadre légal
rupture qui menace dans tous les autres
cas de figure.
François Hollande s’est pris, bien à
tort, pour François Mitterrand. On
savait qu’il n’avait ni l’étoffe d’un
Blum ni celle d’un Jaurès. Espérons
qu’il aura au moins le courage d’un René
Coty! (3)
(1) Porchnev B., « Les buts et les
revendications des paysans lors de la
révolte bretonne de 1675 », paru dans
Les Bonnets rouges, Union Générale
d'Éditions (collection 10/18), Paris,
1975
(2) Croix A., article « Bonnets
rouges » in Dictionnaire du patrimoine
breton (sous la direction d'Alain Croix
et Jean-Yves Veillard), Éditions Apogée,
2000, p. 152
(3) Dernier président de la IVème
République, qui rappela au pouvoir le
Général de Gaulle.
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RIA Novosti
Publié le 4 novembre 2013
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