Opinion
Malysian Vol 17: mystère et misère de la
justice
Israël Adam Shamir
Israël
Adam Shamir
Dimanche 9 août 2015
Les gens ne sont pas égaux
devant la mort, vous savez. Il y a des
morts évènement, d’autres pas. Les
médias et les politiques adorent les
grands spectacles : épouvante,
catastrophes, incendies, décès de riches
privilégiés, décès utiles à certaines
causes. 300 passagers plus l’équipage
s’écrasant dans le Donbass, tout près de
la frontière russo-ukrainienne, c’était
le vol 17 de la Malaysian Airlines, ça
c’était bon. Des morts infiniment
plus importants, ou du moins bien plus
dignes de faire les unes, que les
dix mille et quelque civils tués par les
bombardements aveugles des villes
du Donbass par les troupes du régime de
Kiev, ou des millions d’Arabes. C’était
bon pour la cause, c’est bon pour
acculer la Russie.
Les US et leurs alliés voulaient que
la Russie soit mise à feu par une
« Lettre écarlate » les stigmatisant.
Ils ont poussé Poutine vers une
impasse : se montrer soumis ou assassin
de masse. Pile je gagne, face tu perds.
Ils ont présenté au Conseil de sécurité
un projet de résolution sur la formation
d’un tribunal spécial pour le vol de la
Malaysian, comprenant une référence au
chapitre VII, la pire, celle qui traite
de « l'existence d'une menace contre la
paix, d'une rupture de la paix ou d'un
acte d'agression » (article 39), ce qui
autoriserait l’usage de la force. Si
cette résolution passait, cela voudrait
dire que la Russie a perdu sa
souveraineté. Même dans le cas
improbable d’un procès équitable,
l’impact d’une telle soumission serait
énorme. Et le procès aurait lieu devant
un tribunal hostile pour lequel « la
vérité n’est pas recevable », car elle
profiterait à la défense.
Ce serait un miracle si la Russie
échappait à la condamnation dans un tel
procès. Vous allez me dire : mais la
Russie est parfaitement innocente, dans
cette catastrophe aérienne, ça saute aux
yeux. Et alors ? Ces gens-là n’en ont
rien à faire, de la vérité : ils ont
pendu Saddam, brutalisé Kadahfi, gardent
les Palestiniens enfermés à Gaza, et ils
veulent aussi détruire et dompter la
Russie qui réfléchit solidement. Rien de
tel qu’une résolution sous l’étendard du
magique chapitre VII, capable de lâcher
d’un coup tous les démons de la guerre.
Mais le pire serait que la Russie
perdrait sa souveraineté. S’ils
l’acceptaient, ils seraient piétinés
sans merci. Aucun grand Etat n’a jamais
accepté d’être traîné en justice et
jugé. C’est un signe de « souveraineté
limitée », de soumission à l’autorité
suprême.
Les US ne l’ont jamais fait. Ils
n’ont pas daigné adhérer à la Cour
pénale internationale, si bien que
ses citoyens ne sauraient y être
inculpés. Il y a des centaines de cas où
les US auraient mérité de passer en
jugement, mais cela ne s’est jamais
produit.
Tandis que j’écris ceci, le triste
anniversaire d’Hiroshima nous rappelle
le plus grand crime du siècle, qui n’a
jamais fait l’objet d’un procès. Mais
c’était il y a longtemps…
Dans les années 1980, les US ont miné
les ports du Nicaragua, et en 1986 la
CPI a déclaré les US coupables. Les US
ont refusé de s’y plier. Ils n’ont pas
reconnu le droit de la CPI à les juger.
En 1989 ils ont envahi le Panama,
enlevé le président, ils l’ont séquestré
et mis au cachot au Barad Dur de
Floride ; La majorité du Conseil de
Sécurité a voté pour la résolution
condamnant l’invasion, en des termes
clairs et sans ambiguïté : « Le
Conseil de sécurité déplore fermement
l’intervention au Panama des forces
armées US, en violation flagrante de la
loi internationale, et exige l’arrêt
immédiat de l’intervention », mais les
US et leurs alliés ont mis leur veto à
la résolution.
Depuis lors, il y a eu encore bien
des guerres et des invasions, mais les
US ont toujours envoyé à la poubelle
tout ce qui pourrait impliquer le
moindre contrôle par-dessus leur
souveraineté.
Et voilà que soudain, ils sont
devenus adeptes de la loi
internationale.
Cela aurait été une erreur fatale
pour les Russes s’ils s’étaient laissé
faire. Ce genre de tribunaux est
hautement politique, et ils décident en
fonction des ordres qu’ils reçoivent.
Les Russes en ont fait récemment
une expérience désagréable ; ils ont
accepté que le tribunal de La Haye
s’occupe des oligarques en fuite qui
prétendaient que Poutine leur avait volé
leurs économies durement gagnées. Ils
pensaient que leur bon droit était
évident, et ils ont cru à l’impartialité
du tribunal. Et ils ont été bien étonnés
quand le tribunal de La Haye a ordonné à
la Russie de payer cinquante milliards
de dollars. On ne les y reprendra pas.
Les poètes décrivent ces tribunaux
mieux que les avocats : « C’est moi qui
serai le juge, le jury c’est moi, c’est
moi qui vais m’occuper de toute cette
affaire, et je te condamnerai à mort »,
disait Lewis Carroll, à Alice (au pays
des "merveilles").
La Russie a mis son veto, et il y a
eu un hurlement unanime dans les médias,
pour condamner la Russie. Aucun des
scandalisés n’a pris la peine d’exiger
que les US se plient à la sanction de la
moindre de leurs transgressions. Ils
savaient que ça ne marcherait pas. Et
ils ne sont pas les seuls ; le tout
petit état juif d’Israël non plus n’a
jamais accepté d’affronter un tribunal.
Pourquoi est-ce qu’Israël refuse ? La
justice est un concept grandiose, et les
juifs sont des plaideurs nés. C’est bien
pour cela qu’ils le savent ; un juge
trouvera toujours le moyen de trancher
dans le sens qui lui paraît adéquat, et
il trouvera les arguments pour justifier
son inclination.
La loi est si bizarre, et change si
vite ! Il y a cinquante ans, un
Américain aurait fini en taule pour un
rapport sexuel avec une personne de race
différente ou de même sexe. Maintenant,
la race n’est plus une circonstance
aggravante, mais une femme de trente ans
s’est vue infliger 22 ans de prison pour
une histoire d’amour avec trois gamins
de dix-sept ans en Floride. Si elle les
avait voulu les liquider, elle aurait
pris moins que ça. Vladimir Ilich
Lénine, avocat de formation, considérait
que les tribunaux et les avocats étaient
des outils de la classe dirigeante. Il
ne croyait pas à la justice objective.
Certes, les juges se prêtent à la
volonté des dirigeants. Puisque les
dirigeants veulent que la Russie soit
déclarée coupable, ils le feront dès
qu’ils en auront l’occasion.
Ceci dit, qu’est ce qui s’est passé
vraiment, dans le ciel de Donetsk ? Il y
a plusieurs versions : une bombe à bord
de l’avion, un missile sol-air qui
aurait touché l’avion, un avion de
chasse qui l’aurait abattu. Ils y
a des versions complotistes compliquées,
qui combinent ces causes, rivalisant
avec le 11 septembre en sophistication.
Les versions les plus élaborées relient
la chose à la disparition mystérieuse du
vol 370 de la Malaysian, quelques mois
plus tôt.
Les Russes ne voulaient pas frapper
l’avion de passagers, c’est hors de
doute. Les rebelles de Donetsk
n’auraient pas pu le faire, parce qu’il
volait bien trop haut, hors d’atteinte
pour leur matériel. Certains disent que
c’est le régime de Kiev, ou le seigneur
de Dniepropetrovsk d’alors, Kolomoïsky
le magnat, qui est du Habad Loubavitch,[1]
qui l’auraient fait pour en accuser les
Russes, mais j’en doute.
Il y a des témoins du vol d’un avion
de combat ukrainien Su-25 basé à
Dniepropetrovsk qui aurait pu abattre
l’avion de ligne, en le prenant pour le
Rossiya russe qui transportait le
président Poutine. Ils donnent même le
nom du pilote : le capitaine Vladislav
Volochine.
Il y a aussi des témoins qui ont vu
une batterie de missiles sol-air
appartenant à Kiev ou même aux rebelles
(ce qui est improbable ; ils ne sont pas
si sophistiqués). Qui peut connaître la
vérité ? Ce genre de choses arrive en
temps de guerre, et c’était une étape de
guerre intense entre les rebelles et le
régime de Kiev.
Je vais vous raconter une histoire
vraie de ma vie de soldat. En 1973 mon
bataillon de parachutistes israéliens
s’était emparé des hauteurs égyptiennes
de Ataka, dans le désert entre le Canal
de Suez et la vallée du Nil. Nous avions
envoyé un groupe de nos meilleurs
combattants en reconnaissance. Un ami à
moi a pris le commandement. C’était une
nuit noire d’octobre. En revenant, mon
ami a oublié de signaler leur retour, et
nos sentinelles ont ouvert le feu. Mon
ami et trois soldats ont été tués. Les
tirs amis ne sont pas rares. Si les amis
en meurent, des étrangers qui se
trouvent au mauvais moment au mauvais
endroit y passent aussi, bien souvent.
Je n’accuserais personne, pour
l’accident, sauf ceux qui avaient
envoyé l’avion au-dessus de la zone de
combat, les tours de contrôle de Kiev ou
de Dniepropetrovsk.
Ni les opérateurs ukrainiens ni les
russes, encore moins les rebelles, ne
voulaient abattre un avion civil. Même
si c’est un avion de combat ukrainien
qui l’a fait, c’était sans comprendre la
nature de la cible. Ce sont des choses
qui arrivent, dans la guerre. En 1988,
les Américains ont abattu un airbus
civil iranien A-300. 300 personnes ont
péri, y compris 52 femmes et 66 enfants,
comme dans le drame de Donetsk.
Au départ, les Américains avaient
commencé par nier leur responsabilité.
Ils ont dit que l’avion survolait une
zone interdite, et que le pilote n’avait
pas répondu à la sommation. Le président
Reagan a fait acquitter le commandant du
croiseur responsable. Plus tard on a
découvert que l’avion de ligne volait à
l’altitude permise, et avait donné la
réponse correcte, mais c’est le système
de défense des missiles de l’autre
avion, l’Aegis, qui avait mal interprété
les signaux, et le capitaine avait
appuyé sur le bouton rouge.
En février 1973, Israël avait abattu
un avion civil libyen, tuant plus d’une
centaine de passagers. L’avion s’était
dérouté sous une tempête de sable, les
Israéliens ont dit que le drapeau libyen
ressemblait au drapeau égyptien, Israël
a été jugé coupable, ce que l’Etat n’a
jamais reconnu, mais il a payé les
indemnisations aux familles des
victimes.
Dans ces deux cas, ce n’était pas
ouvertement la guerre, mais il régnait
une tension certaine dans la région. Or
le Donbass était en guerre totale à ce
moment. N’importe lequel des combattants
pouvait se tromper, et prendre l’avion
civil pour un vaisseau ennemi, en
fonction de leurs moyens techniques.
Les Ukrainiens, gens souples,
auraient pu le faire même en temps de
paix par pure imprudence, comme ils
avaient descendu le vol d’Air Sibéria
entre Tel Aviv et Novossibirsk il y a
dix ans. Jusqu’à aujourd’hui, les
Ukrainiens n’ont pas admis leur
responsabilité.
Les théories du complot peuvent être
utiles, Elles tempèrent la frénésie que
fabriquent les médias. Mais je ne les
prendrais pas au sérieux. En guerre, la
règle du cui prodest (à qui
cela profite-t-il) ne marche pas. Les
gens et les avions peuvent vraiment
sombrer par hasard. Israël a été le
bénéficiaire de la catastrophe, parce
que cela a détourné l’attention mondiale
de la guerre sanglante à Gaza.
Kolomoïsky, citoyen israélien, sioniste
enragé, magnat et tout puissant à
Dniepropetrovsk, un type capable de
tout, est en partie responsable de
l’accident, dans la mesure où ce sont
ses agents qui ont donné l’ordre à
l’avion de ligne de modifier son
altitude, et où le capitaine Vladislav
Volochine était sous ses ordres ; mais
cela ne veut pas dire pour autant que ce
soient les sionistes qui aient abattu
l’avion.
Je suis certain que les Russes
n’avaient rien à voir –du moins
consciemment- parce qu’ils ont ouvert
aux enquêteurs tous leurs rapports de
communications. S’ils avaient la moindre
responsabilité, les US l’auraient vu
grâce à leurs satellites, et ils
l’auraient fait savoir au monde entier
aussitôt. Mais les US n’ont rien dit ;
ils n’ont pas présenté leurs rapports.
Le régime de Kiev non plus ; ils
s’assoient sur les enregistrements de la
tour de contrôle. Est-ce qu’ils les
publieront un jour ? J’en doute.
Une chose est sûre (que les victimes
reposent en paix, Allah yerham, que Dieu
leur fasse miséricorde, comme disent nos
frères arabes dans ces cas-là), Anton
Tchékov, le dramaturge, disait : un
fusil accroché au mur au premier acte
doit forcément tirer au dernier acte.
C’est ce qui se passerait avec une
résolution qui se réfèrerait au chapitre
VII. Heureusement que les Russes ont eu
le courage de mettre leur veto sur le
projet, et ont ainsi remis la guerre à
plus tard. Autrement, nous devrions
implorer la miséricorde divine pour bien
plus de gens.
Traduction : Maria Poumier
Première publication : Unz Review
Joindre Israël Adam Shamir :
adam@israelshamir.net
[1] Dominant l’horizon
de cette métropole industrielle,
le « Menorah Center » de 22
étages serait le plus grand
centre de la communauté juive en
Europe et un symbole de la
remarquable renaissance juive
ici en Ukraine, après des
décennies de répression
communiste.... Les
non-Juifs appellent parfois le
centre l’immeuble Kolomoisky –
d’après Igor Kolomoisky, un
milliardaire juif, qui a financé
la construction de cet édifice
avec son compatriote
milliardaire ukrainien Gennady
Bogolyubov, le président de la
communauté juive de
Dnepropetrovsk. En tant que
banquier qui a versé des
millions pour des causes juives,
Kolomoisky est devenu une sorte
de héros national depuis qu’il a
fait des dons considérables à
l’armée ukrainienne mal équipée
dans sa lutte contre les
séparatistes pro-russes. En
avril, Kolomoisky a été nommé
gouverneur de cette région
stratégiquement cruciale. »
http://fr.timesofisrael.com/en-ukraine-le-centre-communautaire-le-plus-luxueux-au-monde/
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