The Electronic
Intifada
La dernière tentative d’Israël pour
effacer la Palestine
Ilan Pappe
Samedi 10 août 2019
Les tentatives de supprimer les
documents officiels qui attestent du
nettoyage ethnique dont été victimes les
Palestiniens en 19487 ne sont pas
récentes.
Mais les
efforts déployés par les équipes du
ministère de la Défense israélien pour
dissimuler des archives nationales
sensibles doivent être considérés à
l’aune d’un climat politique nouveau,
ils ne sont pas juste une tentative
d’épargner les gouvernements israéliens
embarrassés, comme certains l’ont
évoqué.
Ceux d’entre nous
qui travaillent sur les documents
relatifs à la Nakba sont déjà au courant
de la disparition de certains d’entre
eux. Depuis plusieurs années, par
exemple, les historiens se voient
refuser l’accès aux « fichiers des
villages » qui constituent une preuve
importante de ma thèse selon laquelle
l’acte de guerre de 1948 peut être
qualifié de nettoyage ethnique.
Le matériel crucial
des travaux de Benny Morris sur les
massacres de Deir Yassin et d’al-Dawayima
ne pourrait plus être consulté
aujourd’hui. Ces documents détaillent
tous une version plus honnête de ce
qu’on a appelé « l’exode palestinien »
de 1948.
Pourquoi ces fichiers ont-ils été
cachés ? En 2016, la journaliste Lisa
Goldman a émis l’hypothèse que les
travaux des « nouveaux historiens »
dérangeaient le gouvernement et sapaient
la réputation internationale d’Israël.
Il est certain que
ces documents remettaient en cause la
version officielle de la fuite
volontaire des Palestiniens et
dévoilaient les crimes de guerre commis
par les sionistes puis, plus tard, par
les forces armées israéliennes.
Mais je pense que
les vraies raisons sont plus profondes
et plus inquiétantes. Elles témoignent
d’une nouvelle agression envers la
Palestine et les Palestiniens.
Dépolitiser la
Palestine
Nous devons
regarder les tentatives de censure des
archives selon deux perspectives : une
politique et l’autre historique.
Politiquement, la
dissimulation de certains documents peut
être comprise comme une initiative (au
moins comme une tendance)
americano-israélienne pour essayer de
dépolitiser « la question
palestinienne ».
En Israël, cela a
commencé avec les idées de Benyamin
Nétanyahou sur « la paix économique »,
une tentative pour inciter les
Palestiniens à abandonner leurs
revendications en échange de
l’amélioration de leur réalité
économique.
Puis ça a continué
avec la
loi sur la Nakba qui prévoit de
priver de subventions toute institution
publique qui commémorerait les
événements de 1948 comme une
catastrophe.
Une part importante
de cette stratégie politique comprend
des actions sur le terrain –
multiplication des colonies, démolition
de maisons, liquidation de villages
entiers – qui la rapproche d’une
annexion de la zone C – soit près de 60%
de la Cisjordanie – et de la création de
bantoustans en Cisjordanie comme dans la
bande de Gaza.
Nombre d’hommes
politiques et de hauts responsables
israéliens - dont le Premier ministre
lui-même - se sont ouvertement prononcés
pour l’annexion de tout ou partie de la
Cisjordanie.
Enfin, la loi sur
l’Etat-nation votée en 2018 a fini de
consolider Israël comme un Etat
d’apartheid.
Une des clauses de
cette loi devient pertinente à la
lumière de notre débat : elle stipule
que le droit à l’auto-détermination est
exclusivement réservé au peuple juif.
Du côté américain,
l’administration Trump a pris un certain
nombre de mesures pour compléter
l’initiative israélienne d’effacer la
Palestine de l’agenda politique et les
Palestiniens comme mouvement national.
Ces mesures
concernent la reconnaissance de
Jérusalem comme capitale d’Israël et le
transfert de l’ambassade américaine de
Tel Aviv ; la fin du soutien financier à
l’office onusien pour les réfugiés
palestiniens ; l’expulsion de la
représentation de l’OLP à Washington ;
et l’organisation d’une conférence à
Bahreïn axée sur les incitations
financières plutôt sur les droits
politiques.
Ces campagnes
conjointes élaborées à Tel Aviv comme à
Washington constituent une nouvelle
agression de la Palestine et des
Palestiniens. Ceux-ci sont très
vulnérables aujourd’hui ; les régimes
arabes les ont abandonnés, l’élite de la
communauté internationale est
indifférente et les Palestiniens
eux-mêmes sont divisés entre Fatah et
Hamas.
Eliminer
l’indigène
Les intentions
américaines et israéliennes combinées à
la vulnérabilité des Palestiniens
conduisent à un moment historique
critique. Israël est maintenant en
position de tenter, une fois de plus,
d’agir selon la logique de
« l’élimination de l’indigène » (selon
le mot de l’anthropologue
Patrick Wolfe pour caractériser les
motivations des mouvements coloniaux
comme le sionisme).
En 1948, Israël n’a
atteint son but que partiellement. Le
mouvement national palestinien et le
peuple ont combattu avec succès et
continuent de lutter aujourd’hui, contre
l’achèvement de cette entreprise.
Mais c’est un
moment difficile. A l’étranger, les
efforts pour protéger Israël de toute
critique s’intensifient.
Les hommes
politiques pro-palestiniens sont traités
s’antisémites. Une législation
particulière apparaît dans différents
pays pour protéger Israël de toute
critique, de tout activisme, notamment
du boycott.
La dissimulation
d’archives et la possible destruction de
documents révèlent les motifs
idéologiques profonds derrière cet
assaut contre la Palestine et les
Palestiniens. Dans quelle mesure cela
a-t-il compromis notre capacité à
reconstruire ce qui s’est passé pendant
la Nakba et à évaluer son importance
aujourd’hui ?
À bien des égards,
nous avons déjà connu ça. Israël a pillé
les archives de l’OLP en octobre 1982,
en a détruit une partie, en a transféré
une autre en Israël et en a restitué une
petite.
En 2001, Israël a
fait une descente à la Maison d’Orient
de Jérusalem-est pour voler les archives
qui y étaient entreposées.
Aujourd’hui, Israël
fait la même chose avec ses propres
archives pour nettoyer les preuves de
ses crimes passés.
Cela
endommagera-t-il notre capacité à
reconstruire le passé ?
En un certain sens,
non. Les réfugiés palestiniens d’après
1948 n’ont pas eu besoin des « nouveaux
historiens » pour leur dire qu’ils
avaient été victimes de nettoyage
ethnique.
Cependant, la preuve des archives est
nécessaire pour révéler l’intention et
la planification du crime et pour
contextualiser le passé dans une vision
plus large de la nature du mouvement
sioniste et d’Israël.
Les documents déjà
consultés et, dans de nombreux cas déjà
numérisés pour la postérité, suffisent à
prouver l’intention idéologique sioniste
soutient sans aucun doute la tentative
d’élimination des Palestiniens, en 1948
et après.
Bien qu’il n’existe pas de document qui
apporte la preuve irréfutable de
l’intention dissimulée derrière le
nettoyage ethnique – même si, comme
le chercheur Walid Khalidi l’a
montré un fichier connu sous le nom de
Plan D s’en approche énormément – il y a
suffisamment de documents qui, pris
ensemble, dévoilent le crime contre
l’humanité commis par Israël contre les
Palestiniens.
Effacer la
Palestine
En avançant dans le
temps depuis 1948, l’information se fait
plus accessible et toute tentative pour
la détruire ou la dissimuler est vouée à
l’échec. Etudiants, historiens,
spécialistes et activistes constatent
clairement le comportement violent
qu’Israël a eu et continue d’avoir à
l’égard des Palestiniens (à cet égard,
il me revient une autre remarque de
Patrick Wolfe qui explique le
colonialisme d’occupation n’est pas un
événement mais bien une structure).
Toutefois, les
origines de cette violence structurelle
se trouvent dans la Nakba, c’est
pourquoi les documents qui s’y
rapportent sont importants. C’est de
cette origine que découlent toutes les
politiques de l’Etat d’Israël depuis
1948 : l’imposition de la loi militaire
aux Palestiniens à l’intérieur d’Israël
jusqu’en 1966 et sa transposition en
Cisjordanie et dans la bande de Gaza à
partir de 67 ; la politique de
judéisation des terres par
l’expropriation et le déplacement en
Galilée, dans la région de Jérusalem et
dans le Néguev ; la répression brutale
des deux Intifadas ; la destruction du
sud Liban en 1982 et 2006 et enfin, le
siège inhumain de Gaza.
Toutes ces
politiques criminelles peuvent être
démontrées sans déclassifier de
documents israéliens mais elles seraient
mieux contextualisées si elles étaient
éclairées par des archives qui montrent
comment – dans ce cas – « la logique de
l’élimination de l’indigène » a été
appliquée.
Il est nécessaire
de rassembler et de présenter clairement
ce que j’appellerais des documents
révélateurs, presque équivalents à une
preuve irréfutable de l’intention, de
l’inhumanité et du but du nettoyage
ethnique de 1948. J’ai publié plusieurs
de ces documents sur
ma page Facebook mais nous devons
disposer des vraies archives qui
pourraient être protégées d’une action
étatique et internationale qui
voudraient effacer la Palestine de notre
mémoire historique et la réduire à une
question économique.
Ce n’est pas la
première, et ce ne sera pas la dernière,
tentative d’effacement de la Palestine.
Parfois, ces tentatives sont dissimulées
mais restent très significatives et ne
peuvent être retrouvées que par
l’historiographie professionnelle.
En mars 1964,
Israël a demandé que les citoyens
américains dont les passeports portaient
la mention Palestine, s’en voient
délivrer de nouveaux sans cette mention.
Le Département d’Etat a obtempéré. Un
télégramme a informé l’ambassade
américaine à Tel Aviv : « Nous
cesserons d’utiliser ‘Palestine’ sur les
passeports comme lieu d’affectation et
cesserons de délivrer, de renouveler ou
de modifier les passeports portant le
sceau au nom de ‘Palestine’ ».
Mais la Palestine
n’est pas une désignation, ni un lieu
d’affectation qui existe seulement dans
les archives, disponibles ou non. C’est
un vrai pays, sous occupation.
Nous devrions tous nous efforcer de
continuer à raconter son histoire parce
qu’elle explique le présent et influence
notre avenir.
Traduction de l’anglais
original par l’AFPS
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