Palestine
Retour vers le Futur : La Grande
Marche du Retour
Haidar Eid
Photo :
Ashraf Amra
Mercredi 25 juillet 2018
La Grande Marche du
Retour – qui a commencé le 30 mars et
n’est pas encore finie – a brouillé les
cartes et a mis en évidence des question
décisives concernant l’essence de la
cause palestinienne ainsi que le statut
de la Bande de Gaza. En dépit de la
triste réalité de la vie à Gaza, que le
siège israélien, avec la complicité
internationale et locale, rendra bientôt
inhabitable, une nouvelle prise de
conscience est en train d’émerger. Cette nouvelle
prise de conscience amoindri la
politique depuis longtemps dominante du
pouvoir actuel de droite et
« l’opposition » superficielle
représentée par ce que j’appelle la
gauche stalinienne – c’est-à-dire à la
fois les Fronts Populaire et
Démocratique pour la Libération de la
Palestine, le Parti du Peuple
Palestinien, l’Union Démocratique
Palestinienne et, jusqu’à un certain
point, l’Initiative Nationale
Palestinienne. Ces partis ont jusqu’ici
échoué à se dégager de leur
subordination intellectuelle à l’Union
Soviétique maintenant défunte et
continuent de dépendre financièrement du
pouvoir droitier de l’Organisation de
Libération de la Palestine (OLP). En
d’autres termes, leur existence dépend
de l’Autorité Palestinienne et ils sont
incapables de forger des stratégies
indépendantes et efficaces.
Etant donné l’échec
de la classe politique dominante après
70 ans de déplacements et de
dépossession depuis la Nakba, 11 ans de
blocus, que les organisations
internationales des droits de l’Homme
ont décrits comme crime contre
l’humanité, et trois guerres
israéliennes qui ont tué plus de 4.000
hommes, femmes et enfants, les
Palestiniens de Gaza ont décidé de se
mobiliser pacifiquement pour renforcer
les résolutions internationales, à
commencer par la Résolution 194 de
l’ONU, concernant le retour des réfugiés
palestiniens chez eux et sur leurs
terres.
En réalité, comme
l’ont conclu la société civile et les
militants politiques vivant à Gaza, le
seul pouvoir fiable est celui du peuple,
surtout après que la direction
palestinienne ait tourné le dos à la
Bande de Gaza et ait commencé à lui
imposer des mesures punitives en avril
2017. La lutte contre l’apartheid en
Afrique du Sud a inspiré les militants
palestiniens depuis la fin des années
1980 et la mobilisation populaire de la
Première Intifada. Les militants
palestiniens s’appuient par ailleurs sur
l’histoire de la résistance populaire en
Palestine, y compris la grève de 1936 et
les récents soulèvements en Cisjordanie,
dans la Bande de Gaza et en Israël.
Les militants
ont conclu que le seul pouvoir fiable
était celui du peuple.
La nouvelle prise
de conscience qui émerge à Gaza et
depuis Gaza rejoint toutes les formes de
résistance populaire. En particulier,
elle soutient l’appel à boycotter, se
désinvestir et imposer des sanctions
contre Israël (BDS), inspiré par le
mouvement de libération en Afrique du
Sud. En fait, la Marche du Retour a fait
naître un consensus palestinien sans
précédent et s’aligne sur les buts du
mouvement BDS. Les militants BDS ont
pris part à la marche depuis le tout
début, menant des événements
sensibilisateurs, en partenariat avec
les organisateurs de la marche, dans
lesquels ils ont montré la relation
directe entre les principales formes de
résistance populaire et le rôle de la
société civile en prenant la tête de ces
formes, étant donné les leçons du passé
et les expériences telles que la
résistance armée.
La campagne de la
Marche du Retour menée à Gaza a la
possibilité de promouvoir une véritable
unité nationale après l’échec de toutes
les tentatives de réconciliation entre
le Fatah et le Hamas depuis 2006. Tous
les partis politiques ont participé à la
marche et ont des représentants au Haut
Comité National aux côtés des
représentants de la société civile. Le
fait que et le Hamas et le Fatah aient
des représentants dans ce comité
démontre que seuls des militants
politiques directement liés au peuple
peuvent réussir ce que les chefs de
partis ont échoué à accomplir, parce que
le système politique palestinien actuel
représente des intérêts de classe et de
groupe qui ne survivent que grâce aux
divisions internes, ainsi qu’à la
coordination sécuritaire avec
l’occupation israélienne. La marche a
prouvé qu’un gouffre énorme sépare la
direction palestinienne et la population
palestinienne, surtout celle de Gaza.o:p>
Cette nouvelle
prise de conscience créée par la Grande
Marche du Retour se perçoit aussi dans
la rupture complète avec le processus
d’Oslo et sa vision d’un mini-Etat à
côté d’un Etat juif qui pratique le
racisme contre son propre peuple. Elle a
le potentiel nécessaire pour raviver les
concepts de libération nationale et
d’autodétermination en traitant les
réalités actuelles créées par Israël.
Ces réalités ont rendu impossible
l’établissement d’un Etat palestinien
indépendant et souverain sur 22 % de la
terre de la Palestine historique. Par
conséquent, le moment est venu d’une
lutte décisive pour la liberté,
l’égalité et la justice. Après tout, les
deux tiers des résidents de Gaza sont
des réfugiés dont les droits et au
retour et aux réparations sont garantis
par le droit international.
LLe mouvement BDS
n’a pas adopté de position politique
claire sur la question de l’indépendance
ou de savoir s’il doit y avoir deux
Etats ou un seul Etat démocratique.
Pourtant, les buts de la Marche du
Retour vont à l’encontre de la solution
à deux Etats puisque celle-ci est
essentiellement en contradiction avec la
principale exigence des marcheurs qui
est le retour des réfugiés et la
réparation. La tenue de marches
parallèles à Haïfa, Ramallah, Bethléem
et Umm Al-Fahm met en lumière la nature
pan-palestinienne de la Marche du Retour
et son expansion de la Bande de Gaza
assiégée au Territoire Palestinien
Occupé (TPO) et à Israël. Et c’est
exactement ce qui inquiète Israël.
Cette initiative
populaire est une tentative de
réorientation des efforts vers
l’obtention des droits légitimes et
l’interconnexion des trois segments du
peuple palestinien – les citoyens
palestiniens d’Israël et les
Palestiniens du Territoire Palestinien
Occupé (TPO) et de la diaspora. Elle
prouve aussi que Gaza fait partie
intégrale de l’identité nationale
palestinienne. Les Palestiniens de Gaza
n’ont jamais été anti-patriotiques et ne
peuvent être tenus pour responsables de
la profonde fissure nationale. Ils ont
joué un rôle vital dans la formation et
la défense vigoureuse du nationalisme
palestinien moderne, ce que la marche a
précisément affirmé.
Les buts de la
Marche du Retour vont à l’encontre de la
solution à deux Etats.
Le pouvoir
palestinien a maintenant présenté un
renvoi à la Cour Pénale Internationale
(CPI) déclarant que les responsables
israéliens avaient commis des crimes de
guerre et des crimes contre l’humanité
envers le peuple palestinien. Les
dirigeants palestiniens doivent aller
plus loin : Ils doivent renoncer aux
contraintes d’Oslo, dont la coopération
sécuritaire et la subordination
économique et adopter sans équivoque
l’appel du mouvement BDS. Ils ne
devraient engager aucune négociation
sans que l’application de la Résolution
194 couronne le calendrier. Ils doivent
s’assurer que toute négociation se
saisisse de l’exigence de mettre fin à
la politique d’apartheid contre les
citoyens palestiniens d’Israël.
Finalement, la
lutte pour la liberté, le retour et
l’autodétermination pour tous les
segments du peuple palestinien est
l’incarnation concrète de l’unité
nationale inclusive sur le terrain.
Cette unité n’est pas définie par deux
factions politiques ou par le soi-disant
« deux parties de la patrie »
(c’est-à-dire la Cisjordanie et Gaza),
mais plutôt par la nouvelle prise de
conscience collective à laquelle ont
contribué la Marche du Retour et le
mouvement BDS.
Haidar Eid
Conseiller
politique d’Al-habaka, Haidar Eid est
professeur associé de Littérature
Postcoloniale et Postmoderne à
l’université al-Aqsa de Gaza. Il a
beaucoup écrit sur le conflit
arabo-isaélien, dont des articles
publiés par Znet, Electronic Intifada,
Palestine Chronicle et Open Democracy.
Il a publié des essais sur les Etudes
culturelles et la littérature dans
quantité de journaux, dont Nebula, le
Journal d’Etudes américaines en Turquie,
Cultural Logic et le Journal de
Littérature comparée. Haidar est
l’auteur de Wording Postmodernism :
Interpretive Possibilities of Critical
Theory et Countering The Palestinian
Nakba : One State For All.
Traduction : J. Ch.
pour l’Agence Média Palestine
Source :
Al-Shabaka
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