Actualité
« Dé-Osloïser » la Palestine est une
condition
préalable à une paix juste
Haidar Eid
La police
anti-émeute palestinienne face à des
manifestants qui protestent contre la
coordination
sécuritaire entre
l’Autorité Palestinienne (AP) et Israël,
dans la ville cisjordanienne de
Ramallah,
le 23 juin 2014 (Photo:
Mohamad
Torokman/Reuters)
Jeudi 20 décembre 2018
Haidar Eid – 17
décembre 2018 – MONDOWEISS Dans une de ses
déclarations inspirées par Fanon les
plus citées, Steve Biko, le fondateur du
Mouvement Sud Africain de la Conscience
Noire et icône de la lutte contre
l’apartheid, dit :
« Non seulement
les Blancs ont été coupables d’être à
l’offensive, mais par quelques habiles
manœuvres, ils ont fait en sorte de
contrôler les réponses des Noirs à la
provocation. Non seulement ils ont botté
le cul du Noir, mais ils lui ont aussi
dit comment réagir au coup de botte.
Pendant longtemps le Noir a écouté avec
patience le conseil qu’il avait reçu sur
la meilleure façon de répondre au coup.
C’est dans une pénible lenteur qu’il
commence maintenant à manifester que
c’est un droit et un devoir de répondre
au coup de pied de la manière qui lui
semble appropriée. »
Cela résume, en un
sens, les attentes d’Israël apartheid
envers le peuple palestinien et les
réponses de ce dernier.
Pour comprendre les
Accords d’Oslo et le grand dommage
qu’ils ont causé à la cause
palestinienne, il faut une mise en
contexte historique du soi-disant
« processus de paix ». Cette
compréhension est une étape nécessaire
dans le processus de ce que j’appelle la
dé-osloïsation.
Le processus « d’osloïsation »,
soit une combinaison de corruption, d’ONGéisation
et d’abandon des principes
révolutionnaires, fusionnés avec la
fiction de la solution à deux États, a
subi un revers sévère aux élections de
2006, dans la montée du mouvement BDS et
de la renaissance d’idées de libération
et de démocratie laïque dans la
Palestine historique. Au vu des
déclarations qui ont été faites, non
seulement par des représentants
officiels de l’AP mais aussi par des
segments de la gauche palestinienne, et
même par le gouvernement du Hamas, le
but ultime du torrent de sang qui
s’écoule actuellement, que ce soit à
Gaza ou en Cisjordanie, est toujoursl’établissement
d’un État palestinien de n’importe
quelle dimension, c’est à dire la
solution à deux États. La contradiction
entre l’énorme soutien international, la
croissance du mouvement BDS, le
déferlement des manifestations contre
Israël Apartheid et ses crimes de guerre
contre les Palestiniens de Gaza,
l’éruption de la Grande Marche du
Retour, d’une part, et la réitération,
par la plupart des organisations
politiques, du mantra sur deux États,
d’autre part, signale puissamment la
nécessité d’un programme alternatif qui
fasse de la dé-osloïsation de la
Palestine sa première priorité.
Les Accords d’Oslo
étaient réputés être les premiers pas
vers un État indépendant censé être
déclaré en 1999. Mais il est clair
aujourd’hui, 25 ans après la fameuse
poignée de mains sur la pelouse de la
Maison Blanche, qu’aucun État ne sera
établi à court terme pour la simple
raison qu’Oslo a tout bonnement ignoré
l’existence du peuple palestinien en
tant que peuple. Et cependant, prétendre
que « Oslo » fut une grande opportunité
manquée et une « percée », et que le
soi-disant « processus de paix » était
en route jusqu’à ce que les Palestiniens
le balaient, est une distorsion
délibérée de la réalité, avancée de
façon à préparer les Palestiniens à
davantage de concessions.
Une paix réelle et
complète n’est pas advenue à Oslo ni à
Washington ; ce qui a plutôt été créé
est un plan américano-israélien pour
résoudre le conflit après la destruction
de l’Irak et l’effondrement de l’Union
Soviétique et leur tentative de
construction d’un « nouveau Moyen
Orient » – pour employer les mots de
Shimon Péres, un Moyen Orient
caractérisé par l’hégémonie
impérialiste-sioniste et soutenu par des
régimes despotiques, dont la sécurité ne
peut être garantie par la
normalisation de leurs relations avec
Israël. En fait, les Accords d’Oslo sont
mort-nés parce qu’ils ne garantissaient
pas un minimum de droits nationaux et
politiques au peuple palestinien, comme
l’a expliqué très éloquemment feu
Edouard Saïd.
Tout ce à quoi ont
conduit ces accords c’est à la création
d’une « autonomie administrative »
limitée dans la bande de Gaza et
dans certaines parties de la
Cisjordanie. Un tiers de la population
indigène a reçu « le droit » de
constituer une autorité pouvant être
appelée « nationale ». Il est désormais
devenu tout à fait évident qu’en
dépit des fameuses poignées de mains sur
la pelouse de la Maison Blanche et du
discours optimiste sur le « Nouveau
Moyen Orient », ces accords, qui sont en
contradiction avec les résolutions de
l’ONU et du Conseil de sécurité, n’ont
pas garanti l’établissement d’un État
souverain, indépendant, ni le retour des
réfugiés, pas même la démolition des
colonies juives et des compensations
pour ceux des Palestiniens qui ont perdu
– et perdent encore – leurs maisons,
leurs terres et leurs biens ; ni la
libération de tous les prisonniers
politiques, ni même l’ouverture de tous
les checkpoints… etc.
Au lieu de cela, ce
qui a été créé dans certains secteurs de
la Cisjordanie et de Gaza est un
Bantoustan de type apartheid endossé par
la communauté internationale. Ce qui a
été créé constitue littéralement deux
mondes distincts, les deux ayant été
régis par des institutions non
démocratiques, de nombreux dispositifs
de sécurité, des tribunaux semblables à
ceux du Tiers Monde, de la corruption,
de la mauvaise gestion, de
l’inefficacité, et du népotisme – pour
ne mentionner que quelques
caractéristiques (néo)coloniales. Fanon
doit se retourner dans sa tombe.
Israël – un État de
colonisation de peuplement – a toujours
espéré passer à une nouvelle étape ; une
étape qui requiert la formation d’une
« nouvelle conscience » parmi les
Palestiniens colonisés. C’est là que se
trouve le danger d’Oslo – l’osloïsation,
dans ce contexte sioniste, signifie la
création d’un nouveau paradigme
via lequel vous éliminez la conscience
de votre ennemi supposé – « l’Autre » –
et la remplacez par une mentalité
unidimensionnelle par la construction
d’une fiction (deux États pour
deux peuples) qui ne peut pas être
accomplie.
Dit autrement,
tendre à l’avènement d’un Palestinien de
la solution à deux États, c’est tendre à
la création d’une fausse conscience sous
la direction d’une intelligentsia
assimilée, dont certains membres ont un
passé de révolutionnaires. Scander les
slogans de « la solution à deux États »,
« Deux États pour deux peuples »,
« Retour aux frontières de 1967 » – ou
même une Houdna (trêve) de longue durée
(comme proposé par le Hamas) – est
destiné à garantir la subordination et
la conformité des Palestiniens. Envolés
le droit au retour de 6 millions de
réfugiés et leur compensation ainsi que
les droits nationaux et culturels de la
population indigène de Palestine 1948.
Cet objectif ne
donne cependant jamais à voir
l’antithèse qu’il crée en conséquence du
déplacement, de l’exploitation et de
l’oppression ; il ignore la conscience
révolutionnaire qui s’est élaborée au
travers des différentes phases de la
lutte palestinienne. Il ne prend pas non
plus en compte l’héritage de la
résistance civile et politique qui est
devenue le signe distinctif de la lutte
palestinienne. D’où le besoin de
formuler une politique alternative.
Les chefs tribaux
des bantoustans sud africains croyaient
qu’ils étaient à la tête d’États
indépendants. Par chance, l’ANC, malgré
les nombreux compromis qu’elle fit avec
le Parti National, n’avait jamais
accepté l’idée de séparation et de
bantoustans. De son côté, la direction
palestinienne officielle, après la chute
de l’apartheid sud africain, se vante
d’avoir jeté les bases d’un bantoustan,
le faisant passer pour un État
indépendant en formation. Comme l’aurait
argumenté Biko, pour que la présence du
sionisme se maintienne en Palestine,
« l’Autre » doit être assimilé et mis en
esclavage sans que il/elle ne soit
conscient-e de sa mise en esclavage.
D’où la promesse d’un régime « semi
autonome » dans les villes
palestiniennes les plus peuplées et d’où
la logique qui a présidé aux Accords
d’Oslo.
Ce que nous avons
appris de Gaza 2009, 2012, 2014, de la
Grande Marche du Retour et du mouvement
BDS, est que nous devons exploiter tous
les efforts pour combattre le résultat
des Accords d’Oslo et former un Front
Uni sur la base d’une plateforme de
résistance et de réformes. Cela ne peut
être réalisé sans le démantèlement de
l’AP et sans se rendre compte que les
ministres, les postes de premier
ministre et les présidences à Gaza et à
Ramallah sont une façade non différente
des Homelands indépendants d’Afrique du
Sud avec leurs chefs tribaux. Le
programme national classique, créé et
adopté par la bourgeoisie palestinienne
a atteint son terme.
D’où la nécessité
d’une perspective nouvelle et d’un
paradigme alternatif qui se sépare de la
fiction de la solution à deux prisons,
un paradigme qui prenne les sacrifices
du peuple de Gaza comme un tournant dans
la lutte pour la libération, un
paradigme qui se construise sur la base
du mouvement anti apartheid en essor.
C’est comme cela que nous, Palestiniens,
dans une pénible lenteur commençons
maintenant à manifester que c’est un
droit et un devoir de répondre au coup
de pied d’Israël de la manière qui nous
semble appropriée.
https://mondoweiss.net/2018/12/osloizing-palestine-precondition/
Traduction SF pour
la Campagne BDS France Montpellier
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