Mossoul : Les terreurs de la « guerre
contre la terreur »
GICJ
L'université de Mossoul a été bombardée
(92 morts, 145 blessés)
Mardi 24 mai 2016
Revue de
presse :
Geneva International Center for Justice
(GICJ)*
A la suite de la
publication d’un rapport par USA
Today (1), les opérations militaires
du type « haut-risque - haute
récompense » seront, selon les
propos des militaires cités, autorisées
au niveau inférieur. Ce qui veut dire
que ces opérations sur des zones de
denses populations où les militants
proéminents sont présumés se trouver
n’auront pas à attendre un accord des
centres de commandement américain, l’US
Central Command. Si ce changement
vise à des « frappes plus rapidement
exécutées » selon le colonel Steve
Warren, porte-parole du département de
la défense à Bagdad, « elles ne
devraient pas entraîner des pertes
civiles plus importantes ».
Cependant, un engagement plus rapide est
étroitement lié à un plus grand nombre
de victimes contrairement aux dires des
officiels US car, il existe des zones
ciblées où un certain nombre de victimes
civiles seront permises afin
d’atteindre « une réponse plus rapide »
selon le temps, la localisation des
cibles et leurs valeurs, à savoir là où
des combattants de l’Etat islamique (EI)
sont censés se mêler aux civils et
opérer aux alentours, devenant ainsi des
cibles dynamiques.
Le bombardement de
l’université de Mossoul et le silence
des médias
Cette stratégie ne
peut qu’empirer les conditions de vie
des civils des régions tenues par les
rebelles puisqu’ils seront l’objet de
frappes plus rapprochées en raison du
changement opérationnel militaire.
Depuis le début de la campagne contre
l’IS, les Etats-Unis ont mené 7 794
frappes aériennes en Irak et 3 745 en
Syrie pour lesquelles le Pentagone ne
reconnaît la mort que de 26 civils. Il
est ainsi clair que ce chiffre ne
correspond en rien à la réalité.
Un exemple frappant
de l’indifférence du Pentagone envers
les victimes sont les attaques menées,
le 20 mars 2016, sur la ville de Mossoul
entre les mains des rebelles, où ils ont
prétendu avoir frappé des véhicules de
l’EI, un pont, une cache et « un
quartier général » qui s’est avéré
être l’Université de Mossoul qui,
semble-t-il, était un centre
d’entraînement, une aire de stockage et
de fabrication d’armes, et un centre de
communications pour le groupe
terroriste. Le colonel Warren n’a pas
voulu confirmer le nombre exact de
victimes tuées durant l’assaut parce que
le Pentagone « revoyait l’incident »
mais avait ajouté que ce ne serait qu’un
« nombre à un chiffre ».
Les informations
reçues par le Geneva International
Center for Justice (GICJ) de sources
sur le terrain portent les victimes à 92
et à 145 les blessés, parmi lesquels des
étudiants et leurs familles, des
universitaires, des membres du personnel
et du restaurant de l’université, étant
donné que des lieux de résidences au
sein du campus ont été touchés. Ce
massacre n’a absolument pas été rapporté
par les médias comme tant d’autres qui
sont, d’ailleurs, utilisés comme soutien
à la campagne anti-terroriste à telle
enseigne que, s’il y a des victimes,
déclarées, elles le sont en tant
qu’effet secondaire, un « juste
sacrifice » afin d’atteindre le but
final de la sécurité internationale. Et
c’est exactement ce que signifie
l’expression « haut-risque- haute
récompense » des opérations
militaires.
Chris Woods,
directeur de Airwars.org, une
organisation basée en Grande-Bretagne
qui répertorie les victimes civiles en
Irak et en Syrie, notait que cette
frappe avait été l’une des plus brutales
que son organisation ait pu documenter.
« Nous n’avions jamais vu quelque
chose de ce genre en 18 mois et nous
avons visionné des milliers et des
milliers de photos et vidéos sur l’Irak
et la Syrie ». Ces mots semblent
épouser parfaitement l’image désastreuse
des témoignages que nous avons
recueillis. Les témoins pointent du
doigt le caractère excessif de la
campagne aérienne de la coalition sur
Mossoul qui est allée au-delà du
bombardement du quartier général de la
ville : les raids ont détruit les
bâtiments abritant des services, dont
les municipalités et les propriétés
adjacentes à l’est et à l’ouest de
Mossoul, avec des morts et des blessés
au sein du personnel de sécurité, des
résidents qui s’y trouvaient. La
coalition a aussi bombardé et détruit
tous les centres de communication et
touché la laiterie et les moulins
faisant 100 morts et 200 blessés parmi
les civils assemblés là pour la
distribution de lait et de produits
laitiers des usines. Il en est allé de
même de Mossoul Pharmaceutical
Industries qui asubi le même sort.
Tous les
bombardements ne sont pas pris en compte
Mais la liste ne
s’arrête pas là : les bombardements de
Al Hadbaa et de la résidence Al Khadraa
ont entraîné la mort de 50 civils et ont
fait 100 blessés, de Hay (quartier) al
Dhubat, frappé le 19 avril 2016, tuant 5
femmes et 4 enfants et réduisant en
poussière leur maison, parce qu’il était
dit que l’un des hommes était un membre
de L’EI, alors qu’il était pharmacien,
n’ayant rien à voir avec l’association
terroriste. Une maison en face de la
faculté de médecine, touchée par une
frappe, a donné lieu à 22 morts civils,
ensuite un bâtiment des Wafq (biens
religieux) fut bombardé, avec 20
morts, 70 blessés et la destruction
d’anciens bâtiments commerciaux et
résidentiels aux alentours. Les frappes
US ont aussi détruit les banques
Rafidain, Rasheed, et la Central Bank
ainsi que les quartiers résidentiels
alentour ainsi que l’usine de Pepsi
Cola qui ne produit actuellement que
de la glace, d’où trois morts et 12
blessés parmi les ouvriers ; le
bombardement du vieux centre industriel
de Mossoul a provoqué une explosion des
camions- citernes faisant 150 morts.
Or, les autres
épisodes des bombardements de la
deuxième ville d’Irak ne sont pas pris
en compte dans ce décompte qui, ainsi,
ne reflète pas les dommages causés par
les frappes aériennes. Cependant, ces
données impriment une image plus
authentique de ce qui survient dans
cette ville, en opposition totale avec
le portrait suggéré par les médias.
Si les derniers six
mois ont été particulièrement sanglants,
Mossoul a aussi été le théâtre
d’horreurs depuis l’occupation de l’EI
en juin 2014. En août, nos sources ont
rapporté que, à peu près 600 civils
(même si ce chiffre semble dépassé, la
réalité n’ayant pu être cernée vu les
difficultés pour rechercher les réelles
victimes de ces attaques) ont perdu
la vie et, aux mains de la Coalition et
de celles de l’EI. Mossoul n’est pas le
seul exemple des ces « victimes
collatérales », d’autres campagnes
aériennes ont eu lieu avec les mêmes
résultats, dont l’intervention d’un
bombardier à partir de la base d’Aladid
au Qater, en février, dans une tentative
de destruction d’une zone de stockage
d’armes de l’EI à Qayyarah au sud de
Mossoul. American Aviation
déclara que cette opération avait été un
succès mais omis de dire que la frappe
n’avait pas atteint l’entrepôt mais la
résidence de Haj Ali Fathhi Zeidan. «
La précision » avait été l’argument
cité pour exterminer les trois familles
dont 13 enfants de 6 mois à 11 ans,
quatre femmes et leurs maris, et huit
vieillards.
Cependant, ce ne
sont pas des exceptions. Les officiels
US prétendent que limiter le nombre de
victimes est le premier de leurs soucis
lors d’attaques aériennes. « Nous
prenons toutes les précautions pour
éviter des victimes civiles » selon
le capitaine de la marine US Jeff Davis,
porte-parole du Pentagone. « Notre
but est de minimiser le risque de
victimes civiles au maximum. Par
comparaison, cette campagne est la
campagne la plus précise de l’histoire
de la guerre ».
Des crimes de guerre
Mais, les
événements sur le terrain contredisent
ces affirmations. Le GCIJ a rassemblé
des vidéos et autres preuves -
images, tweets, articles, vidéos -
témoignages - qui révèlent ce qui
n’est pas couvert par les médias : des
frappes aériennes qui ciblent des zones
de résidences, tuant et blessant des
centaines de personnes. Ces tentatives
délibérées de couvrir de telles actions,
qui s’apparentent à des crimes de
guerre, afin de détourner l’attention du
public en faveur des campagnes aériennes
anti-terroristes, se font au détriment
de civils irakiens. Un autre exemple
frappant, entre autres, du recours
politique aux médias, est survenu, le 20
avril 2016, lorsque la coalition a
annoncé avoir bombardé le Tribunal de la
Charia de l’EI à Hay (quartier)
al Dhubat, à Mossoul, alors qu’elle a
détruit la maison d’un pharmacien, le
tuant ainsi que les femmes et les
enfants.
Ces tristes
incidents et l’orientation nouvelle du
Pentagone, devraient nous faire
réfléchir à la direction prise par «
cette guerre à la terreur ». Le
ciblage de zones, élargi à la population
civile, sous le prétexte courant de «
viser les localisations terroristes »
ne combat pas la terreur mais la
dissémine de plus en plus. Tandis qu’il
existe une volonté commune de stopper
EI, la position de l’opinion publique
face à la campagne sanglante US est
plutôt ambiguë. Certes, l’absence de
couverture médiatique de certaines
opérations et le flot d’informations
très politisé conduisent le public à
n’identifier que deux simples équations
du conflit « le bien et le mal ».
S’il faut que le premier triomphe, il
est nécessaire que le deuxième soit
défait même s’il induit des dommages
collatéraux, comme la perte de «
quelques» vies civiles. C’est une
version simplifiée d’une question plus
complexe mais c’est le message du
Pentagone et par conséquent des médias
justifiant ainsi le concept des sorties
aériennes de type « haut-risque-
haute récompense ».
Le Pentagone n’a pas
d’état d’âme
…(…)... Si le
Pentagone n’a aucun état d’âme devant le
nombre de victimes dû à ces attaques,
comme l’affirme un officiel US, lors du
dernier raid, cela ne peut être le cas
de l’opinion publique internationale.
Tuer des civils est un crime, peu
important qui le commet, et il doit être
condamné immédiatement au moyen des
instruments légaux, comme la mise sur
pied d’une enquête internationale
indépendante. Enfin, cela demande aussi
que ces évènements soient portés à la
connaissance du public par la presse car
les victimes méritent, au moins,
l’indignation mondiale. Alors seulement,
peut-être, la lutte contre le terrorisme
aura réellement commencé.
Le GCIJ(Geneva
International Center for Justice)
est présidé par Hans-Christof von
Sponeck, ancien secrétaire général
adjoint des Nations unieset
coordinateur humanitaire des Nations
unies en Irak de 1998 à 2000.
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