Opinion
Libye : le « coup d’Etat » du général
Hifter
Gilles Munier
Samedi 24 mai 2014
Le général Khalifa
« Hifter » ou « Haftar », 71 ans -
appelons-le Hifter, car c’est le nom
inscrit sur sa carte d’identité aux
Etats-Unis (1) - cherche à s’emparer
du pouvoir en Libye. Pour l’heure, il
tente d’unifier des forces plus ou moins
pro-occidentales opposées au chaos
provoqué par la chute du colonel
Kadhafi. Il a derrière lui des
militaires voulant imposer un nouvel
ordre dans le pays et, ce n’est pas rien
: l’Egypte du maréchal Sissi, l’Arabie
saoudite, les Emirats Arabes Unis… et
bien évidement : les Etats-Unis et des
pétroliers occidentaux. La France serait
dans l’expectative. En janvier dernier,
l’amiral Edouard Guillaud, alors chef
d’état-major des armées, préconisait le
déclenchement d’une intervention
militaire internationale dans le «
trou noir » libyen, mais il ajouté
qu’il fallait d’abord « qu’il y ait
un État dans le Nord » (2). Ce
serait le cas si le général Hifter
l’emportait. Pour l’instant, Laurent
Fabius semble jouer la carte Abdelhakim
Belhadj, ancien émir du Groupe
islamique combattant en Libye (GICL)
– soutenu par le Qatar, dit-on -
qui demeure « l’homme fort » de
Tripoli. C’est du moins l’impression
donnée, début mai, par ses rencontres
discrètes avec la sous-direction Afrique
du Nord du Quai d’Orsay (3).
Les pays arabes
appuyant l’« Opération Dignité »
lancée par le général Hifter sont ceux
engagés dans l’éradication des Frères
Musulmans égyptiens dont on dit
qu’ils auraient constitué une « Armée
égyptienne libre » en Libye. L’homme
d’affaire Ahmed Miitig, 30 ans, élu chef
du gouvernement libyen le 4 mai ne fait
pas le poids, sauf dans son fief à
Misrata et parmi les représentants du
Parti de la justice et de la
reconstruction, émanation locale de
la confrérie. Une intervention militaire
ordonnée par Abdelfattah Sissi devenu
président n’est pas à exclure. Quand le
bruit a couru que le maréchal avait
déclaré que l’armée égyptienne pouvait
« envahir l’Algérie en trois jours »,
les islamistes libyens ont compris
qu’ils étaient visés.
Jeune militaire,
Hifter a participé au renversement du
roi Idriss 1er par les Officiers
libres du colonel Mouammar Kadhafi.
Frais émoulu d’une académie militaire
soviétique, il commanda plus tard une
des équipées libyennes au Tchad où,
battu en 1987 à Ouadi-Doum par les
troupes d’Hissène Habré - soutenues
par des parachutistes français et des
forces spéciales étasuniennes - il
est fait prisonnier. Sachant le sort qui
lui serait réservé s’il retournait à
Tripoli – Kadhafi ne reconnaissant
pas sa part de responsabilité dans la
défaite militaire – il se mit, avec
2000 de ses hommes, au service de la CIA
pour renverser le régime libyen. C’était
l’époque où les Etats-Unis envisageaient
une opération du genre Contras
contre Kadhafi. Elle n’eut jamais lieu.
Hifter s’installa alors en Virginie, à
deux pas du siège de la CIA, à la tête
d’un groupe d’opposants baptisé «
Front national pour le salut de la Libye
(FNSL)». Selon le Washington Post,
il aurait acquis la nationalité
américaine et voté à des élections en
Virginie en 2008 et 2009 (4). En
dépit d’une arrivée triomphale en mars
2011 à Benghazi (5), on ne peut
pas dire que sa participation au
renversement de Kadhafi ait été
déterminante. Hifter n’a pas tenu
longtemps comme chef d’état-major de
l’armée et son fils, chargé des
relations avec l’Otan, a échappé de
justesse au mitraillage d’un commando
berbère (6).
Khalifa Hifter aura
patienté vingt-quatre ans pour accéder
aux portes du pouvoir en Libye. Il n’est
pas dit qu’il les franchisse ou qu’il
parvienne à neutraliser les
organisations islamiques prêtes à lui
livrer une guerre sans fin. Pour
l’instant, son « Armée nationale
libyenne (ANL) » n’est qu’une milice
de plus. Au cas où son « coup d’Etat
» tournerait mal, 250 Marines
et 7 avions hybrides Osprey positionnés
sur la base de Sigonella, en Sicile,
interviendraient pour évacuer les
ressortissants américains !
Photo :
Le général Khalifa Hifter
(1)
Khalifa Hifter, the ex-general leading a
revolt in Libya, spent years in exile in
Northern Virginia,
par Abigail Hauslohner (Washington
Post – 19/5/14)
(2)
L’amiral Guillaud évoque une opération
militaire internationale dans le sud de
la Libye
(Opex360.com –
27/1/14)
(3)
Le Libyen Abdelhakim Belhadj renoue avec
la France
(4)
Khalifa Hifter, the ex-general leading a
revolt in Libya, spent years in exile in
Northern Virginia,
par Abigail Hauslohner (Washington
Post – 19/5/14)
(5)
https://www.youtube.com/watch?v=5bF60y0isXo
(You tube – 2’17)
(6)
Libye : Le « général » pro-CIA Hifter
mitraillé par un commando berbère
et :
Libye : Qui veut la peau du « général »
Hifter ?
© G. Munier/X.
Jardez
Publié le 26 mai 2014 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
Le sommaire de Gilles Munier
Le
dossier Libye
Les dernières mises à jour
|