Actualités du
droit
Irak : Madame le Procureur Fatou Bensouda
va faire entrer la CPI dans l’histoire
Gilles Devers
Mardi 27 mai 2014
Je l’adore. Si elle
chantait le jazz, je passerai ses vidéos
tous les jours, mais Fatou Bensouda est
Madame le Procureur près la CPI, et je
ne peux publier que des extraits des
communiqués de son
bureau. En fait, peu importe : c’est
beau comme une symphonie du droit.
Que dit Madame
le Procureur Fatou Bensouda ?
Ce 13 mai, elle a
annoncé qu’elle avait décidé d’un nouvel
examen préliminaire de la situation en
Irak (Statut, art. 15), auquel il
avait été mis un terme en 2006, car de
nouveaux éléments lui ont été
communiqués en janvier 2014.
De quoi
parle-t-on ?
La procédure
concerne la responsabilité de l’armée
british pour des mauvais traitements
infligés à des détenus en Irak de 2003 à
2008, et qualifiés de crime de guerre.
Ça va être
chaud ?
Oui, chaud chaud
chaud
Donc la CPI
ouvre une enquête sur les crimes des
soldats british, notamment pour
torture ?
L’enquête n’est pas
encore ouverte, car c’est une compétence
d’une formation de la CPI, la chambre
préliminaire, qui est seule habilitée à
décider de l’ouverture d’une enquête.
Mais la réouverture du dossier par le
bureau du procureur est un évènement
majeur. On se doute qu’il y aura des
suites… La procédure devant la CPI vise
les commanditaires plus que les
exécutants. Ça va être chaud chaud
chaud.
Qui était le
prédécesseur de Madame le Procureur
Fatou Bensouda ?
Le premier
procureur près la CPI était Luis Moreno-Ocampo,
un garçon assez particulier qui avait
pris des décisions lamentables tant dans
la gestion des plaintes que dans la
conduite des enquêtes. Tous ceux qui
pensent que la CPI, indépendante du
système ONU, a un avenir dans la lutte
contre l’impunité attendaient son
départ. A titre personnel, j’ai pris une
cuite de trois jours pour fêter
l’évènement.
Qu’avait fait
Ocampo pour l’Irak ?
Rien. Il avait été
saisi par des ONG british, très
impliquées, mettant en cause des soldats
british pour des mauvais traitements
infligés de façon systématique à des
détenus en Irak entre 2003 et 2008.
Le monde entier
sait ce qu’il en est…
Mais pas le
distrayant Ocampo. Le 9 février 2006, il
avait
décidé de ne pas demander
l’autorisation d’ouvrir une enquête.
Demander
l’autorisation à qui ?
Selon le
statut de la CPI, le procureur ne
dispose pas du droit d’ouvrir une
enquête. Lorsqu’il est saisi de faits,
il procède à un examen préliminaire, et
s’il en ressort qu’il est raisonnable de
penser que des crimes entrant dans la
compétence de la Cour ont été commis, il
doit saisir la chambre préliminaire, qui
est seule habilité à décider de
l’ouverture d’une enquête.
Pourquoi
ne l’avait-il pas fait ?
Le procureur ne
doit certes veiller à ne pas encombrer
la chambre préliminaire avec des
demandes illusoires. Le statut lui
demande de faire un examen préliminaire,
et s’il y a du contenu, il doit saisir
la chambre en vue de l’ouverture d’une
enquête. C’est un point très important,
et qui a sali tout le mandat du guignol
Ocampo. Il ne transmettait pas les
dossiers à la CPI…. et tout le monde
accusait la CPI de ne rien faire, alors
qu’elle ne pouvait s’autosaisir.
Pour ce qui est
de l’Irak ?
Ocampo avait estimé
que « le seuil de gravité requis par le
Statut de Rome n’était pas atteint ». Ce
qui veut dire que ce lascar d’Ocampo
soit ne lisait ni la presse, ni les
rapports de ONG, ni les plaintes des
victimes,… soit faisait tout pour ne pas
déplaire aux Etats-Unis (Territoire
indien occupé, Amérique du Nord) et
à ses filiales.
Pourquoi
l’affaire redémarre ?
Le
10 janvier 2014, deux importantes
ONG british – European Center for
Constitutional and Human Rights (ECCHR)
et Public Interest Lawyers (PIL) – ont à
nouveau contacté le bureau du procuereur,
désormais drivé par Procureur Fatou
Bensouda.
Il s’agit des mêmes
faits, et les ONG ont apporté des
témoignages complémentaires, acquis au
fil du temps, mais la problématique est
inchangée. A ce stade il s’agit de
savoir s’il y a matière à enquête.
Mais l’Irak n’a
pas ratifié le traité de la CPI…
La CPI est
compétente pour les crimes commis sur
les territoires des Etats ayant ratifié
le Traité de Rome, valant statut de la
Cour. Je regrette beaucoup que Saddam
Hussein ne l’ait pas fait, car il aurait
mis le territoire de l’Irak sous
protection de la CPI. Il serait toujours
vivant, et nous aurions pu coller Bush
et Blair en prison illico presto.
Si le Pakistan le fait, on pourra coller
Obama en prison, une ratification
pouvant être rétroactive.
Mais le CPI est
aussi pour les crimes commis par les
ressortissants des Etats ayant ratifié
le Traité. Le Royaume-Uni a ratifié le
Traité le 4 octobre 2001, et la CPI est
donc compétente à l’égard des crimes de
guerre, crimes contre l’humanité et
actes de génocide par des ressortissants
de ce pays à compter du
1er juillet 2002, date d’entrée en
vigueur des dispositions du Statut de
Rome.
Donc ?
C’est vraiment
chaud chaud chaud…
Qu’a décidé
Madame le Procureur Fatou Bensouda ?
Une décision d’Ocampo
de classement n’a pas d’autorité
juridictionnelle. Pour garder une
cohérence à l’action de son bureau,
Madame le Procureur Fatou Bensouda a
indiqué qu’elle disposait d’informations
supplémentaires, plus nombreuses et plus
détaillées. Aussi, elle vient de décider
de rouvrir le dossier pour un examen
préliminaire afin de vérifier le sérieux
des renseignements reçus, conformément
aux exigences de l’article 15‑2 du
Statut de Rome, et déterminera s’il y a
une base raisonnable pour ouvrir une
enquête.
Sur quoi va
porter ce nouvel examen préliminaire ?
Il va porter
notamment sur l’analyse des crimes
présumés attribués aux forces armées du
Royaume-Uni déployées en Irak entre 2003
et 2008.
Quelles suites
attendre ?
Madame le Procureur
Fatou Bensouda va analyser les questions
relatives à la compétence, à la
recevabilité et aux intérêts de la
justice, pour déterminer si les
conditions requises pour l’ouverture
d’une enquête sont remplies,
conformément à l’article 53‑1 du Statut
de Rome.
C’est chaud ?
C’est chaud chaud
chaud…
Que peut faire
Londres?
S’activer pour
conduire des procédures sérieuses.
Sinon, le dossier sera à La Haye.
Un commentaire ?
Non, deux.
1/ La CPI, Cour des
puissants, c’est un critique qui ne
repose sur rien. La vraie question est
de savoir pourquoi les victimes de
violations de droit sont écartées de la
CPI, qui est la meilleure de réponses.
Les avocats british ont fait le
nécessaire, contre leurs propres
soldats, et on voit l’avancée.
2/ La
Palestine peut continuer à ne rien faire
et à se lamenter. Mais alors, il faut
que les dirigeants de l’ANP et leur
cohorte d’ONG bêlantes soient
claires avec la CPI. Ils ne veulent pas
de la justice, et préfèrent la loi de
l’occupant: dont acte, la politique a
ses raisons. Mais qu’ils ne viennent pas
polluer le droit international avec des
jérémiades qui ressemble trop au reflet
d’une culture de la soumission.
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