Opinion
Jérusalem, capitale de l’apartheid,
attend l’insurrection
Gideon Levy
Dimanche 26 octobre 2014
L’attaque terroriste de mercredi soir à
Jérusalem n’aurait dû surprendre
personne. Après tout, deux nations
vivent dans le Pretoria de l’État
d’Israël. A la différence des autres
zones occupées, il y aurait là une
certaine égalité entre les deux peuples
: cartes d’identité bleues accessibles
pour tous, liberté de mouvement, impôt
foncier payable à la municipalité,
sécurité sociale – tous Israéliens. Mais
Jérusalem sombre dans les mensonges.
Elle est devenue la capitale israélienne
de l’apartheid.
A l’exception d’Hébron, aucun endroit
ne subit un régime de séparation aussi
criant et cynique. Et maintenant que la
botte israélienne s’abat encore plus
fort sur la capitale, la résistance dans
le ghetto-en-devenir s’intensifie :
battus et opprimés, abandonnés et
pauvres, emplis de sentiments de haine
et d’un appétit de vengeance.
L’insurrection est en route. Quand la
prochaine vague de terreur émergera des
ruelles de Jérusalem Est, les Israéliens
prétendront être surpris et furieux.
Mais il faut dire la vérité : en dépit
de l’incident choquant de mercredi, les
Palestiniens se révèlent être une des
nations les plus tolérantes de
l’histoire. Arrestations massives,
colons violents, privations, expulsions,
manque de soins, dépossessions – et ils
demeurent silencieux, excepté la récente
manifestation des pierres.
Il n’existe aucune désillusion dont
la ville ne souffre pas. La capitale
n’en est une qu’à ses propres yeux ; la
cité unie est l’une des plus divisées de
tout l’univers. L’égalité alléguée est
une plaisanterie et la justice est
foulée aux pieds. L’accès libre aux
lieux saints n’existe que pour les Juifs
(et oui, pour les vieux musulmans).
Et le droit au retour est réservé aux
Juifs.
Un résident palestinien de Jérusalem
est maintenant en bien plus grand danger
d’être lynché qu’un Juif à Paris. Mais
ici, il n’y a personne pour réveiller
Caïn. A la différence du Juif parisien,
le Palestinien peut être expulsé de
Jérusalem. Il peut aussi être arrêté
terriblement facilement. Après que le
jeune Mohammed Abu Khdeir de 16 ans ait
été brûlé à mort, provoquant une vague
de protestations, Israël a arrêté 760
Palestiniens dans la ville, dont 260
enfants.
Comme toujours, la réponse à chaque
problème est une main plus pesante. Le
premier ministre a déjà ordonné de
soutenir les forces de sécurité,
utilisant le seul langage connu des
membres de son gouvernement. Et quand,
naturellement, la résistance devient
plus violente, ils lèvent les mains au
ciel et disent: « Regardez comment
ils détruisent la voie légère que nous
leur avons construite. »
Jérusalem aurait pu être différente.
Si Israël y avait pratiqué la justice et
l’égalité, elle aurait pu devenir une
cité modèle; le peuple qui l’a annexée
aurait dû s’y efforcer. Aux pires jours
de l’intifada, il y eut relativement peu
de terrorisme dans la ville, alors même
que ses résidents pouvaient voyager
librement. Les Palestiniens sont les
mêmes Palestiniens, mais la fermeture,
le couvre-feu et le siège sont
différents. Le résultat est qu’il y
avait moins de terrorisme à Jérusalem,
réfutant la théorie comme quoi un siège
prévient le terrorisme. Pourquoi ? Parce
que beaucoup de résidents de la capitale
aspirent à devenir Israéliens. Mais
Israël les en empêche. Unis, unis – mais
sans les Arabes.
Les arrestations massives à
Jérusalem, qui n’ont éveillé aucun
intérêt en Israël, l’invasion des colons
dans les quartiers arabes avec le
soutien du gouvernement et des
tribunaux, la négligence criminelle dont
la ville est responsable – tout ceci
aura un coût.
Combien de temps encore verront-ils
leurs enfants craindre de quitter leur
maison de peur d’être attaqués dans la
rue par des hooligans ? Combien de temps
verront-ils leurs enfants arrêtés à
chaque jet de pierre ? Combien de temps
observeront-ils l’abandon de leurs
quartiers ?
Combien de temps consentiront-ils à
leur expulsion tacite de la ville ?
Entre 1967 et 2013, Israël a retiré le
statut de résident à 14.309 Palestiniens
de Jérusalem, avec d’étranges
prétentions qui ne s’appliquent à aucun
de ses résidents juifs. N’est-ce pas de
l’apartheid ?
Alors, la terreur surgira. En retour,
des drones envahiront les cieux du camp
de réfugiés de Shuafat, il y aura des
meurtres dans les rues d’Azariyeh et des
assassinats ciblés à Beit Hanina, et une
autre barrière de séparation sera
construite entre les deux parties de la
ville, juste pour être du bon côté. Avec
un maire nationaliste, des forces de
police violentes et un gouvernement
dirigé par Benjamin Netanyahu, rien
n’est plus sûr.
Photo :
Vue de Jérusalem
Traduction :
J.Ch. pour l’Agence Media Palestine
Source:
Haaretz
© G. Munier/X.
Jardez
Publié le 26 octobre 2014 avec
l'aimable autorisation de Gilles Munier
Gideon Levy est
journaliste au quotidien israélien
Haaretz.
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