Cuba
À mes compagnons de la Fédération
étudiante
Fidel Castro Ruz
Photo:
D.R.
Lundi 26 janvier 2015
Chers compagnons
J’ai démissionné de
mes fonctions – qui exigeaient du temps
et des efforts – en 2006 parce que mon
état de santé ne me permettait plus de
remplir un devoir que je m’étais imposé
dès mon entrée à cette université-ci, le
4 septembre 1945, voilà donc
soixante-dix ans.
Je n’étais pas fils
d’ouvrier, je n’étais pas démuni des
ressources matérielles ni des conditions
sociales requises pour vivre une vie
relativement confortable. Disons donc
que c’est un miracle que j’aie échappé à
la richesse. Voilà à peine quelques
jours, le jeudi 22 janvier, l’Étasunien
le plus riche, quelqu’un d’assurément
très capable, à la tête de presque cent
milliards de dollars, a déclaré, selon
une agence de presse, que le système
privilégié de production et de
distribution de richesses convertirait,
au fil des générations, les pauvres en
riches.
Quand on remonte à
l’Antiquité, voilà plus de trois mille
ans, les Grecs, pour s’en tenir à eux,
brillèrent dans presque tous les
domaines : physique, mathématique,
philosophie, architecture, arts,
sciences, politique, astronomie, et dans
d’autres branches des connaissances
humaines.
Or, la Grèce était pourtant
peuplée d’esclaves qui réalisaient les
travaux les plus rudes dans les
campagnes et dans les villes, tandis
qu’une oligarchie se consacrait à
l’écriture et à la philosophie.
C’est justement elle qui écrivit la
première utopie.
Observez bien les
réalités de cette planète Terre connue,
mondialisée et si mal distribuée, dont
on connaît chacune des ressources
vitales reparties en fonction de
facteurs historiques, de sorte que
certains en ont moins qu’il ne leur
faut, tandis que d’autres ne savent plus
quoi en faire. La distribution des
ressources financières et le partage de
la production sociale sont en proie au
chaos, alors que planent de grandes
menaces et des périls de guerre. La
population mondiale est passée, entre
1800 et 2015, d’un milliard d’habitants
à sept milliards. Sera-t-il possible de
concilier, dans les cent prochaines
années, et quelles que soient les
avancées de la science, la croissance
démographique et les besoins relatifs
aux aliments, à la santé, à l’eau et au
logement ?
Mais oublions ces
problèmes énigmatiques.
Il y a en tout cas
quelque chose d’étonnant : que cette
Université de La Havane, si chère et si
prestigieuse, fût, quand j’y suis entré
voilà presque trois quarts de siècle, la
seule du pays ! Ne l’oubliez pas,
compagnons étudiants et professeurs,
aujourd’hui que nous avons plus d’une
cinquantaine d’établissements
d’enseignement supérieur distribués d’un
bout à l’autre de l’île.
Quand vous m’avez
invité à participer à cette Journée pour
le soixante-dixième anniversaire de mon
entrée à l’Université, ce que j’ai
appris par surprise et alors que j’étais
attelé à différents travaux qui me
permettent d’être, qui sait, encore
relativement utile, j’ai décidé de faire
une halte et d’évoquer pendant quelques
heures ces années-là.
Je suis sidéré de
constater que soixante-dix ans se sont
écoulés. Sachez en tout cas que si je
devais me réinscrire à l’âge que j’avais
alors, je le ferais – puisque certains
me posent la question – dans une branche
scientifique. Et, en recevant mon
diplôme, je dirais comme Guayasamín :
Laissez-moi un filet de lumière.
À cette époque-là,
déjà influencé par Marx, je parvins à
comprendre davantage et mieux le monde
bizarre et complexe dans lequel il nous
est échu à tous de vivre, et à perdre
les illusions bourgeoises qui
finissaient par bercer de nombreux
étudiants à l’âge où l’on a le moins
d’expérience et le plus d’ardeur. Mais
je ne vais m’appesantir là-dessus.
Quand on parle
d’action révolutionnaire, il faut
mentionner un autre génie, Lénine,
fondateur du parti communiste. C’est
bien d’ailleurs pour ça que je n’hésitai
pas une seconde à affirmer au procès de
la Moncada, à la seule audience où l’on
me permit d’assister, devant les juges
et des dizaines de hauts gradés de
Batista, que, oui, je lisais Lénine.
Je ne mentionne pas
Mao Zedong, parce que la révolution
chinoise, inspirée des mêmes intentions,
n’avait pas encore triomphé.
Sachez en tout cas,
je vous en avertis, que les idées
révolutionnaires doivent toujours
vigilantes à mesure que les
connaissances de l’humanité se
multiplient.
La Nature nous
apprend que, des milliards d’années
auraient-elle beau s’être écoulées, la
vie, sous n’importe laquelle de ses
manifestations, est toujours sujette aux
combinaisons de matières et de
rayonnements les plus incroyables.
C’est aux
funérailles de Nelson Mandela,
remarquable et exemplaire combattant
contre l’apartheid, qui avait de
l’amitié pour Obama, que les présidents
de Cuba et des États-Unis se sont salués
personnellement.
À ce moment-là, il
y avait beau temps que les troupes
cubaines avaient définitivement écrasé
l’armée raciste d’une Afrique du Sud
dirigée par une riche bourgeoisie et
possédant d’énormes ressources
économiques. Reste à écrire l’histoire
de cette lutte. Le gouvernement
sud-africain, le plus riche du continent
africain, financièrement parlant, était
doté d’armes atomiques dont les
dispositifs lui avaient été livrés par
l’État raciste d’Israël, sur accord du
président Ronald Reagan, afin de pouvoir
frapper les forces cubaines et
angolaises qui défendaient la République
populaire d’Angola occupée alors par le
régime de l’apartheid. Aucune
négociation de paix, aucun règlement
pacifique n’était possible dès lors que
l’Angola était attaqué par l’armée la
mieux entraînée et la mieux équipée du
continent africain. Ce sont ces efforts
systématiques pour saigner à blanc
l’Angola qui poussèrent Cuba à assener
un coup destructeur aux racistes à Cuito
Cuanavale, une ancienne base de l’OTAN
que l’Afrique du Sud s’efforçait
d’occuper à tout prix.
Ce gouvernement
arrogant fut contraint de négocier un
accord de paix qui mit un terme à
l’occupation militaire de l’Angola et
accéléra la fin de l’apartheid en
Afrique.
Le continent
africain se retrouva délivré des armes
nucléaires dont Cuba avait été menacée
pour la seconde fois dans son histoire.
Les troupes
internationalistes cubaines se
retirèrent d’Afrique dans l’honneur.
S’ensuivit alors la Période spéciale en
temps de paix qui s’est prolongée
pendant plus de vingt ans sans que nous
ayons hissé le drapeau blanc, ce que
nous ne ferons jamais.
De nombreux amis de
Cuba connaissant la conduite exemplaire
de notre peuple, je leur expliquerai en
quelques mots ma position essentielle.
Je ne fais pas
confiance à la politique des États-Unis
et je n’ai pas échangé un traître mot
avec eux. Ce qui ne veut pas dire pour
autant, loin de là, que je refuse un
règlement pacifique des différends ou
des dangers de guerre. Défendre la paix
nous incombe à tous. N’importe quel
règlement pacifique ou négocié des
problèmes existant entre les États-Unis
et les peuples – ou un peuple –
d’Amérique latine qui n’implique pas la
force ou la menace de recours à la force
doit reposer sur les principes et les
normes du droit international. Nous
défendrons toujours la coopération et
l’amitié avec tous les peuples du monde,
y compris nos adversaires politiques.
C’est bel et bien que nous réclamons
pour tout le monde.
Le président cubain
a fait les pas pertinents conformément à
ses prérogatives et aux facultés que lui
concèdent notre Assemblée nationale et
le Parti communiste de Cuba.
Les graves périls
qui menacent aujourd’hui l’humanité
devront céder devant des normes
compatibles avec la dignité humaine.
Aucun pays ne saurait être privé de ces
droits.
C’est dans cet
esprit que j’ai lutté toute ma vie
durant et que je continuerai de le faire
jusqu’à mon dernier souffle.
Fidel Castro Ruz
26 janvier 2015
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