Cuba
Les héros de notre époque
Fidel Castro Ruz
Jeudi 2 octobre 2014
On aurait beaucoup
à dire de cette époque difficile que vit
l’humanité. Ce jour-ci est toutefois
spécial pour moi et peut-être aussi pour
bien d’autres personnes.
Tout au long de
notre brève histoire révolutionnaire,
depuis le coup d’État du 10 mars 1952
fomenté par l’Empire contre notre petit
pays, nous avons été obligés bien
souvent de prendre des décisions
importantes.
Quand il ne restait
plus aucune autre solution, d’autres
jeunes de n’importe quelle autre nation
se trouvant dans une situation aussi
complexe que la nôtre, faisaient ou
tentaient de faire pareil que nous, bien
que, comme tant d’autres fois dans
l’histoire, le hasard eût joué un rôle
décisif dans le cas particulier de Cuba.
C’est à partir du
drame provoqué alors par les États-Unis
dans notre pays, dans le seul but de
freiner à ce moment le risque d’avancées
sociales limitées qui auraient pu
encourager à l’avenir des changements
radicaux dans la propriété yankee en
quoi notre pays avait été converti,
qu’est née notre Révolution socialiste.
La seconde guerre
mondiale, terminée en 1945, avait
consolidé les États-Unis comme
principale puissance économique et
militaire et fait d’eux, très distants
des théâtres d’opération, le pays le
plus puissant de la planète.
L’écrasante
victoire de 1959 – nous pouvons
l’affirmer sans le moindre chauvinisme –
devint l’exemple de ce qu’une petit
nation qui luttait pour soi pouvait
faire aussi pour les autres.
Les gouvernements
latino-américains, sauf rares et dignes
exceptions,
se précipitèrent sur les miettes
que leur offraient les États-Unis. C’est
ainsi que ceux-ci, alors que nous avions
été pendant près d’un siècle et demi
leur fournisseur de sucre à des moments
critiques, distribuèrent nos quotas
d’exportation à des producteurs anxieux
de marchés de par le monde.
Dwight D.
Eisenhower, l’illustre général qui
présidait alors les États-Unis, avait
commandé durant la guerre les troupes
alliées qui, malgré les puissants moyens
en leur possession, n’avait libéré
qu’une petite partie de l’Europe occupée
par les nazis. Le remplaçant du
président Roosevelt, Harry S. Truman,
s’avéra le conservateur traditionnel
qui, aux États-Unis, assume d’ordinaire
ce genre de responsabilités politiques
dans les temps difficiles.
L’Union des
républiques socialistes soviétiques – la
nation qui, jusqu’à la fin du siècle
passé, mena la lutte la plus grandiose
contre l’exploitation impitoyable des
êtres humains – fut dissoute et
remplacée par une fédération dont le
territoire fut amputé d’au moins 5 500
000 kilomètres carrés par rapport à ce
qu’avait été ce grand État
multinational.
Mais si quelque
chose n’a pu être dissous, c’est bien
l’esprit héroïque du peuple russe qui,
uni à ses frères du reste de l’ancienne
URSS, a été capable de préserver une
force si puissante que la Russie a pu
constituer de nos jours, aux côtés de la
République populaire de Chine et de pays
comme le Brésil, l’Inde et l’Afrique du
Sud, un groupe assez fort pour freiner
la tentative de recolonisation de la
planète.
Nous avons vécu
deux exemples illustrant ces réalités en
République populaire d’Angola. Comme
bien d’autres pays socialistes et
mouvements de libération, Cuba coopérait
avec des mouvements de ce pays et
d’autres pays qui se battaient contre la
domination portugaise en Afrique. Le
Portugal exerçait une mainmise
administrative directe avec le soutien
de ses alliés.
La solidarité avec
les mouvements angolais était l’un des
points essentiels du Mouvement des pays
non alignés et du camp socialiste.
L’indépendance de l’Angola était devenue
inévitable, ce que la communauté
internationale avait reconnu.
L’État raciste
d’Afrique du Sud et le gouvernement
corrompu
de l’ancien Congo belge se
préparaient, avec l’appui de leurs
alliés européens, à s’emparer de
l’Angola et à se le répartir. Cuba
coopérait depuis des années à la lutte
de ce peuple. Agostinho Neto lui demanda
alors d’entraîner ses forces militaires
qui, installées à Luanda, la capitale,
devaient être prêtes lors de la
déclaration officielle de
l’indépendance, prévue le 11 novembre
1975, et auxquelles les Soviétique,
fidèles à leurs engagements, avaient
livré des équipements militaires, tout
en attendant le jour de cette
indépendance pour dépêcher des
instructeurs. Cuba, elle, accepta
d’envoyer aussitôt les instructeurs que
demandait Neto.
Le régime raciste
sud-africain, condamné et honni par
l’opinion mondiale, décida alors
d’accélérer ses plans et dépêcha des
forces blindées accompagnées d’une
puissante artillerie qui, après avoir
pénétré en Angola sur des centaines de
kilomètres, attaquèrent le premier camp
d’instruction : les instructeurs cubains
– dont plusieurs moururent – et leurs
élèves angolais parvinrent, au bout de
plusieurs jours de résistance héroïque,
à freiner la progression des
Sud-Africains vers Luanda où notre pays
avait dépêché
par ailleurs, depuis La Havane,
un bataillon de troupes spéciales du
ministère de l’Intérieur à bord des
vieux Britannia de notre ligne aérienne.
Voilà comment
commença notre lutte épique en Angola,
ce pays d’Afrique noire en butte à
l’agression des racistes blancs : les
bataillons d’infanterie motorisée et des
brigades de chars, d’artillerie blindée
et des moyens de combat adéquats
repoussèrent les forces sud-africaines
et les obligèrent à reculer jusqu’à la
frontière d’où elles étaient parties.
Mais ce n’est pas
en cette année 1975 que survint l’étape
la plus périlleuse de cette lutte, mais
environ douze ans plus tard, dans le Sud
de l’Angola.
Ce que nous avions
pensé être la fin de l’aventure raciste
dans le Sud de l’Angola ne s’avérait en
fait que le début. Nous avions jugé que
les troupes sud-africaines censément
invincibles avaient compris que les
forces révolutionnaires composées de
Cubains blancs, noirs et métis et de
soldats angolais étaient capables de
leur faire mordre la poussière, mais il
semble qu’elles aient fait trop
confiance à leur technologie, à leur
richesse et à l’appui de l’Empire
dominant.
Notre pays,
agissant souverainement, ne manquait pas
d’avoir, même si ça n’avait jamais été
notre intention, des contradictions avec
l’URSS, ce pays qui avait tant fait pour
nous à une époque vraiment difficile où
la cessation des livraisons de pétrole
par les États-Unis nous aurait conduits
à un conflit prolongé et coûteux avec
notre puissant voisin du Nord. Ce danger
disparu ou non, l’alternative était :
être libres ou nous résigner à être les
esclaves de l’Empire.
Dans une situation
aussi compliquée que l’accession de
l’Angola à l’indépendance, dans cette
lutte frontale contre le
néocolonialisme, des différends devaient
forcément surgir entre nous sur certains
points d’où pouvaient découler des
conséquences graves pour les objectifs
fixés : Cuba, partie prenante de cette
lutte, avait le droit et le devoir de la
conduire au succès. Même si nous
faisions tout notre possible pour éviter
que tel ou tel aspect de notre politique
internationale se heurte à la politique
stratégique de l’URSS, les objectifs
communs exigeaient que chacun respecte
les mérites et l’expérience de l’autre.
La modestie n’est pas incompatible avec
l’analyse sérieuse de la complexité et
de l’importance de chaque situation,
même si nous avons toujours été très
sourcilleux dans notre politique avec
tout ce qui se rapportait à la
solidarité avec l’Union soviétique.
Une de ces
contradictions survint à un moment
décisif de la lutte en Angola contre
l’impérialisme et le racisme :
elle découla de notre
participation directe à ce combat et du
fait que nos forces, non contentes de
combattre, instruisaient chaque année
des milliers de combattants angolais
qu’elles appuyaient dans leur lutte
contre les forces angolaises favorables
aux Yankees et aux racistes
sud-africains. C’était un militaire
soviétique qui servait de conseiller du
gouvernement et qui planifiait l’emploi
des forces angolaises. Nous étions
toutefois en désaccord avec lui sur un
point assurément important : qu’il
utilisât trop fréquemment les troupes
angolaises les mieux formées à presque
mille cinq cents kilomètres de Luanda
dans le cadre d’une conception typique
d’un autre genre de guerre sans aucun
rapport avec la guérilla subversive que
menaient les contre-révolutionnaires
angolais, à savoir l’UNITA. En fait,
celle-ci n’avait pas de capitale, et
Savimbi, son chef, n’occupait pas un
endroit où résister : il s’agissait tout
simplement d’un miroir aux alouettes
utilisé par l’Afrique du Sud raciste
afin d’attirer là les troupes angolaises
les meilleures et les mieux équipées et
de les frapper à sa guise. Nous nous
opposions donc à cette conception
utilisée plus d’une fois. La dernière
obligea nos forces à intervenir
directement : ce fut la bataille de
Cuito Cuanavale.
Ce heurt prolongé à
l’armée sud-africaine survint justement
à la suite de la dernière offensive
contre la prétendue « capitale de
Savimbi », aux confins des frontières de
l’Angola, de l’Afrique du Sud et de la
Namibie occupée, vers où, partant de
Cuito Cuanavale, une ancienne base
militaire désaffectée de l’OTAN située à
des centaines de kilomètres de là,
s’étaient dirigées les forces angolaises
bien équipées en half-tracks, chars et
autres moyens de combat parmi les plus
modernes. Nos audacieux pilotes de
Mig-23 les appuyaient dans le cadre de
leur rayon d’action.
C’est au-delà,
donc, que les avions de combat,
l’artillerie lourde et les forces
terrestres bien équipées de l’ennemi
frappaient durement les soldats des
FAPLA, leur causant de lourdes pertes en
morts et blessés. Le pire était qu’à
cette occasion-là, elles progressaient
vers l’ancienne base militaire de
l’OTAN, tout en poursuivant les brigades
angolaises décimées qui reculaient sur
un front de plusieurs kilomètres de
large, très séparées les unes des
autres.
Compte tenu de la
gravité de leurs pertes et du danger qui
pouvait en découler pour elles, nous
étions quasiment convaincus que le
conseiller du président angolais
demanderait, comme d’habitude, le
renfort des Cubains. Ce fut le cas.
Notre réponse fut, cette fois,
péremptoire : nous ne l’accepterions que
si l’ensemble des forces et moyens de
combat angolais sur le front Sud était
subordonné au commandement militaire
cubain.
Cette condition acceptée, nous
avons mobilisé rapidement les forces en
vue de la bataille de Cuito Cuanavale,
où les envahisseurs sud-africains,
malgré leurs armements perfectionnés, se
brisèrent contre nos unités blindées,
notre artillerie classique et les Mig-23
confiés à nos audacieux pilotes. Notre
personnel prépara au combat les pièces
d’artillerie, les chars et les autres
moyens de combat angolais abandonnés.
Notre personnel enterra aussi et entoura
de mines antipersonnel et antichars les
chars angolais qui ne pouvaient pas
franchir le fleuve Queve, un cours d’eau
à fort débit situé à l’est de l’ancienne
base de l’OTAN, dont le pont avait été
détruit quelques semaines plus tôt par
un avion sud-africain sans pilote chargé
d’explosifs. Les troupes sud-africaines
se heurtèrent à quelque distance à une
barrière infranchissable contre laquelle
elles se brisèrent. C’est ainsi, dans
ces conditions avantageuses, que nous
infligeâmes avec un minimum de pertes
une défaite catégorique aux forces
sud-africaines sur cette partie du
territoire angolais.
Mais la lutte
n’avait pas conclu. L’impérialisme, avec
la complicité d’Israël, avait converti
l’Afrique du Sud en une puissance
nucléaire. Pour la seconde fois, notre
armée courait le risque de devenir la
cible d’armes atomiques. Mais je suis en
train de travailler sur ce point avec
tous les éléments en main et peut-être
pourrais-je écrire quelque chose dans
les mois prochains.
Quels événements
survenus ce soir ont-ils donné lieu à
cette analyse prolongée ? Deux, très
importants à mon avis : le départ de la
première brigade médicale cubaine vers
l’Afrique pour lutter contre l’Ebola ;
le brutal assassinat à Caracas
(Venezuela) du jeune député
révolutionnaire Robert Serra.
Ces deux faits
reflètent l’esprit héroïque et la
capacité des révolutions qui ont lieu
dans la patrie de José Martí et dans le
berceau de la liberté de l’Amérique, le
Venezuela de Simón Bolívar et d’Hugo
Chávez.
Que de leçons
étonnantes à tirer de ces
événements survenus presque
simultanément ! Les mots ne suffisent
pas à en exprimer la valeur morale.
Je ne peux croire
que l’assassinat du jeune député
vénézuélien soit le fruit du hasard. Il
serait vraiment incroyable que ce méfait
répugnant, si ajusté aux pratiques des
pires organismes de renseignement
yankees, soit le fait du hasard et non
une action intentionnelle, à plus forte
raison quand il répond exactement à ce
que les ennemis de la Révolution
vénézuélienne ont prévu et annoncé.
Quoi qu’il en soit,
la position des autorités
vénézuéliennes : il faut enquêter à fond
sur le caractère de ce crime, me paraît
absolument correcte. Le peuple, lui,
bouleversé, est profondément convaincu
de la nature de ce crime.
L’envoi de la
première brigade médicale cubaine au
Sierra Leone, signalé à juste titre
comme l’endroit où la cruelle épidémie
de fièvre Ebola sévit le plus fort, est
un exemple dont un pays peut être fier,
car c’est occuper de nos jours le site
de plus grande gloire et de plus grand
honneur. Si nul n’a jamais douté que les
centaines de milliers de combattants
envoyés en Angola et dans d’autres pays
d’Afrique et d’Amérique ont donné au
monde un exemple qu’on ne pourra biffer
des annales humaines, de même nul ne
doutera que l’action courageuse de
l’armée de blouses blanches y occupera
une place d’honneur très élevée.
Ce ne sont pas les
fabricants
d’armes meurtrières qui
atteindront un tel honneur… Si seulement
l’exemple des Cubains qui partent en
Afrique pouvait éveiller un écho dans
l’esprit et le cœur d’autres médecins
dans le monde, notamment de ceux qui
possèdent le plus de ressources, qu’ils
pratiquent une religion ou une autre, ou
qui sont plus profondément convaincus du
devoir de solidarité humaine !
La tâche de ceux
qui partent, au risque de leur vie,
combattre la fièvre Ebola et garantir la
survie d’autres êtres humains, est dure.
Nous ne devons pas moins faire
l’impossible pour leur garantir le
maximum de sécurité sur le terrain et ne
pas lésiner sur les mesures requises,
afin de les protéger et de protéger
notre peuple de cette maladie et
d’autres épidémies.
Le personnel qui
part en Afrique nous protège aussi, nous
qui restons ici, car il serait pire que
cette épidémie et d’autres encore plus
redoutables s’étendent à travers notre
continent ou dans le peuple de n’importe
quel pays du monde où un enfant, une
mère ou n’importe quel être humain
pourrait mourir. Il existe assez de
médecins dans le monde pour que personne
ne meure faute d’assistance. Je tiens à
le dire.
Honneur et gloire à
nos courageux soldats de la santé et de
la vie !
Honneur et gloire
au jeune révolutionnaire vénézuélien
Robert Serra et à sa compagne María
Herrera !
J’ai écrit ces
idées le 2 octobre, après avoir appris
les deux nouvelles, mais j’ai préféré
attendre un jour de plus, afin que
l’opinion internationale soit mieux
informée, pour demander à Granma de les
publier samedi.
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