Venezuela
Comment faire une
loi au Venezuela
Ernesto Cazal
Vendredi 20 décembre 2013
Le parlement vénézuélien,
selon les médias internationaux, ne
serait qu’un “parlement godillot” soumis
à un président “qui renforce son
pouvoir”. Nihil novi sub sole : les
agents occidentaux traitaient déjà
Bolivar, il y a deux siècles, de fou
assoiffé de pouvoir, comme ils l’ont
fait avec Chavez ou avec Maduro
aujourd’hui. Pour les vénézuéliens,
élire une majorité de députés de gauche
offre pourtant certains avantages :
telle la
loi du travail anti-néo-libérale –
fruit de 19.000 propositions citoyennes
(1), un programme écosocialiste
et participatif pour 2013-2019, discuté
et approuvé dans tout le pays (2),
ou l’augmentation de 40 % du budget
social 2014 (3). Mais la
démocratie va plus loin : les colonnes
néo-classiques et le dôme de pâtissier
du vieux Congrès de la République
tremblent depuis que le “peuple
législateur” use de son droit à faire,
défaire, refaire des lois. C’est le cas
de la Loi des Semences.
T.D.,
Caracas, 20 décembre 2013.
L’histoire est bien connue : le
capitalisme planétaire a décidé que
chaque semence doit avoir un
“propriétaire” et que les semences
autochtones du petit paysan qui tente de
refuser les pesticides et ces OGM dont
il n’a nul besoin, deviendraient
illégales dans le pays qui légifèrerait
en faveur des grands groupe privés.
Exemples de
cette tragédie : en Inde,
Monsanto a poussé 284.000 paysans au
suicide (4). Syngenta est
l’entreprise qui possède le plus de
brevets OGM, imposant aux paysans
l’usage de semences qui produisent de la
nourriture mais ne produisent plus de
semences, pour obliger le producteur à
en racheter.
Dès 2003, le
président Chavez refusa l’introduction
des OGM au Venezuela (5). Le 21
octobre 2013 de nombreux militants se
sont concentrés face à l’Assemblée
Nationale pour manifester leur
opposition au projet de loi qui devait
être discuté le lendemain. Dans son
préambule, ce texte
affirme son caractère anti-OGM et
anti-brevet (6). On parle
d’une réglementation des semences “dans
une perspective agro-écologique”. Il
s’agit de remplacer avec cette loi
l’ancien texte en vigueur depuis octobre
2002, que le député bolivarien Ureña
critique pour son “ambiguité” au sujet
des brevets et des OGM. Pour le pouvoir
populaire, tout va bien jusqu’ici.
Enfin, apparemment..
L’article 7
dit en effet : “On accepte comme
valeurs de la présente Loi (…) la
reconnaissance de la création
intellectuelle et le droit à la
propriété intellectuelle en matière de
développement de nouvelles variétés de
semences et de cultures”. C’est là
où le bât blesse pour le mouvement
social. Le fameux “droit à la
propriété intellectuelle” ressemble
à un copyright discret, à la
reconnaissance non-dite d’un brevet. Un
individu pourrait demander un
micro-crédit à l’État pour produire sa “création
intellectuelle”, s’endetter, se voir
condamné à la monoculture à moyenne et
garde échelle. Besoin de vous faire un
dessin ? Pour qui veut se rafraîchir la
mémoire, le documentaire “Le
monde selon Monsanto” est
vivement conseillé (7).
D’où un débat
entre les députés José Ureña, Víctor
Bocaranda (militant du Mouvement
Populaire Révolutionaire Argimiro
Gabaldón) et Ana Felicién (du
Mouvement Venezuela libre d’OGMs) le
23 octobre lors du programme matinal de
la Radio du Sud à propos de
la pureté et la privatisation des
semences paysannes, de leur légitimité
aux yeux de la loi, des taxes à payer
pour valider et certifier des semences,
de la bureaucratisation qui affecte la
circulation des semences parmi les
paysans.
La demande
principale fut d’activer la charte du “peuple
législateur”
qui a déjà servi à élaborer la loi du
travail, pour rediscuter la loi en
profondeur et, le cas échéant, refondre
tout le texte, préambule y compris.
Le député Ureña a dû accepter le
débat politique au plan national, dans
la rue et dans les zones rurales, comme
le garantit sa proposition de loi.
Le lendemain
une reunión a eu lieu, à huis-clos,
entre les porte-paroles du Mouvement
Venezuela Libre d’OGMs, la seconde
vice-présidente de l’Assemblée Nationale
Blanca Eekhout et d’autres députés. Avec
un résultat important : le député Ureña,
principal rédacteur de la proposition de
loi, a accepté de participer à la
discussion et à la formulation d’une
nouvelle loi avec les divers collectifs
de lutte. Cette assemblée s’est tenue
les lundi 28 et mardi 29 octobre à Monte
Carmelo (Sanare, État de Lara) durant la
IIème Rencontre Nationale des
Gardiens de Semences.
Appel au
"Débat populaire constituant pour une
nouvelle Loi des semences construite d’en-bas"
(Venezuela, décembre 2013)
Un peu d’Histoire…
De 1940 à
1970 s’est produit au Venezuela un exode
massif de paysans vers les villes.
Conséquence de la mono-production
pétrolière initiée par le dictateur Juan
Vicente Gómez, instrument des grandes
compagnies états-uniennes du début du
vingtième siècle. Le paysan, privé
d’assistance, affamé, trompé, opta pour
s’exiler de sa terre. Ainsi sont nées
les “barriadas”, les grandes
ceintures de pauvreté urbaine. Les
dictatures et les pactes “démocratiques”
qui suivirent lancèrent la
“modernisation” : un capitalisme
pré-industriel et le terrible
“latifundio” (grande propriété
terrienne) et ses travailleurs-esclaves.
C’est cette
histoire qui a fait du Venezuela un
importateur d’aliments du marché mundial,
avec subventions de la consommation par
les excédents du pétrole. A partir de
2000, avec l’élection de Hugo Chávez à
la Présidence de la République,
l’agriculture a été relancée sous tous
ses versants (“conucos” – petites unités
productives traditionnelles, potagers,
cultures sous filets, sous serre, à
grandes échelle, agriculture urbaine).
Il fut alors prouvé que le “conuco”,
dans ce siècle de tragédie, fut le seul
mode de production capable de résister
(dispersé, en coulisses), ce qui en fait
la meilleure proposition pour produire
aujourd’hui des aliments. Vint ensuite
l’appel à produire des aliments par et
pour le peuple (avec des résultats
indéniables – même si elle fut, pour
beaucoup – mal mise en oeuvre ) de la
Grande Mission AgroVenezuela pour
conquérir enfin la souveraineté
alimentaire. En avril 2003, pendant la
IIème Rencontre de Solidarité avec la
Révolution Bolivarienne, le
président Chavez a interdit de semer des
OGMs (un NON clair, qui ne se transforma
pas en loi mais fut réitéré au moins
trois fois en dix ans par le dirigeant),
avant de demander plusieurs fois à ses
ministres de mettre de l’ordre dans le
dossier des brevets de l’agro-business.
"Vénézuéla
libre d’OGMs". L’affiche rappelle que
Hugo Chavez a interdit,
dès 2003, l’introduction d’OGM au
Venezuela.
Le lundi 28
octobre, quand s’est ouverte l’assemblée
pour débattre et alimenter (ou dévorer)
la proposition de la nouvelle Loi des
semences, le froid des montagnes de
Sanare défiait la volonté des mouvements
paysans et populaires actifs à Monte
Carmelo. Le village s’était rempli de
militants disposés à défendre leur idéal
corps et âme. On a même entendu : “il
faut marcher comme on parle”. Les
députés Ureña et Acurero, ont écouté
avec attention et ont débattu. On a
décidé de former quatre tables rondes de
travail.
“Avons-nous
vraimet besoin d’une loi pour nos
semences ? La loi, c’est nous !” dit
un paysan de la vieille garde. “Il
faut comprendre que nous vivons une
guerre, et dans cette guerre nous devons
nous battre sur tous les fronts : de ce
que nous mangeons à ce que nous voulons
vivre en tant que peuple” précise
une militante de la vérité. “Au
Venezuela on importe des OGM, il y a
cette institution abominable appelée
Agropatria, mais personne ne dit rien”
lance une agro-écologiste. Dans la
réunion du groupe 3, après plusieurs
heures de débat, Polilla, un paysan de
plus de cinquante ans, frappe sur la
table et fait rire : “Si j’en juge
par ce que j’ai lu récemment nous sommes
au Venezuela un peu plus de 300.000
paysans pour alimenter 28 millions de
gourmand(e)s. Nous sommes à bout de
forces, compère !”.
La
déclaration adoptée l’an dernier
lors de la première rencontre des
gardiens de semences (octobre 2012) sert
de base lors de la plenière nocturne
pour rédiger la nouvelle mouture de la
loi (oui, on a décidé de tout reprendre
à zéro). En voici la conclusion : “Toutes
les mains pour semer, toutes les
semailles pour l’école et les bouches,
impulsons et défendons le droit de semer
et de récolter une société nouvelle, où
les semences les plus importantes sont
nos enfants, véritable vivier de la
patrie. Nous savons qu’avec la semence
on déterre l’histoire d’Abya Yala (nom
indigène de notre Amérique), territoire
vivant qui nous réunit en une spirale
sans frontières !”
Au détour de
la nuit, Walterio Lanz, de sa voix
éteinte mais ferme, appelle à la
réflexion : “Ne commercialisons pas
la semence”. Le 29 octobre 2013,
jour national de la semence paysanne, à
Monte Carmelo, c’est un modèle agraire
qui est remis en cause, celui que les
puissants de la planète veulent imposer.
Et pas depuis un simple discours, depuis
la démagogie ou une idéologie, mais
depuis le corps de la graine. C’est
ainsi que le “peuple législateur” assume
son rôle, dans la révolution. Depuis les
assemblées se poursuivent, organisées
dans tout le pays
pour discuter et faire des propositions
en vue de rédiger la nouvelle loi
(8).
À l’Université
Simón Rodríguez (Noyau Simón de
Mucuchíes) sur les hauteurs des Andes
(état de Mérida) (9), à
l’Institut Agro-écologique
Latino-américain “Paulo Freire” né
d’un accord entre Chavez et le
Mouvement des paysans Sans Terre du
Brésil (État de Barinas) (10),
à l’Université Bolivarienne (Siège de
Caracas) (11) ou encore à
l’École Agro-écologique Indio Rangel
(État d’Aragua) où les 16 et 17 décembre
2013 se sont rassemblées plus de 200
personnes parmi lesquelles des
fonctionnaires publics des organismes
concernés, des organisations paysannes
et des militants sociaux (12).
Auteur :
Ernesto Cazal,
Ciudad Caracas
Traduction de
l’espagnol : Thierry Deronne
Notes :
(1)
http://venezuelainfos.wordpress.com/2012/05/04/nouvelle-loi-du-travail-au-venezuela-un-pas-de-plus-vers-la-vraie-vie/
(2)
http://venezuelainfos.wordpress.com/2013/12/07/le-venezuela-en-2014-cap-sur-la-democratie-participative-lecosocialisme-et-la-cooperation-sud-sud/
(3)
http://vivavenezuela.over-blog.com/2013/12/venezuela-le-budget-de-2014-r%C3%A9affirme-le-profil-social-du-gouvernement-socialiste.html
(4)
http://mouvementsansterre.wordpress.com/2013/08/03/les-grands-medias-occultent-que-monsanto-a-pousse-284-000-paysans-indiens-au-suicide-explique-la-scientifique-vandana-shiva-a-botucatu-bresil/
(5)
http://venezuelainfos.wordpress.com/2012/02/15/le-venezuela-a-contre-courant-le-mais-pour-lalimentation-pas-comme-combustible/
(6)
http://venezuelalibredetransgenicos.blogspot.com/2013/05/propuesta-de-ley-de-semillas.html
(7)
http://www.youtube.com/watch?v=dfZXPHhYgTk
(8)
http://venezuelalibredetransgenicos.blogspot.com/2013/07/pueblo-legislador-por-el-resguardo-de.html
(9)
http://unesrmucuchies.blogspot.com/2013/11/aportes-del-debate-constituyente-en.html
(10)
http://www.aporrea.org/desalambrar/n240915.html
(11)
http://venezuelalibredetransgenicos.blogspot.com/2013/11/debate-popular-realiza-la-universidad.html
(12)
https://www.facebook.com/media/set/?set=a.614734711896460.1073741854.459001354136464&type=1
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