Palestine
Saisir le Conseil des droits de
l'homme sur Gaza
ne peut aboutir à
aucune inculpation
Christophe Oberlin
Mardi 22 mai 2018
Des manifestations
dans la Bande de Gaza le long de la
frontière avec Israël se sont produites
du 7 avril au 14 mai 2018. La réaction
israélienne, notamment sous la forme de
tirs à balles réelles, suscite
commentaires et interrogations sur la
question du droit. Que faut-il en penser
? Des tirs à balles
réelles ont été effectués depuis le
territoire israélien, et sont à
l’origine d’un grand nombre de morts et
de blessés en territoire palestinien.
Les personnes visées faisaient partie
d’un groupe de manifestants qui ne
constituait pas une menace grave et
imminente pour aucun Israélien. Ces
éléments sont constitutifs de crimes de
guerre.
Pour affirmer
juridiquement qu’il s’agit de crimes
de guerre, comme l’ont rappelé le
Secrétaire général des Nations-Unies et
la Déléguée de l’Union Européenne en
charge des Affaires étrangères, une
enquête indépendante sur les faits
est indispensable. L’organisme ayant
vocation statutaire à enquêter sur les
crimes de guerre est la Cour pénale
internationale. Il s’agit donc de la
seule instance juridique pertinente à
saisir.
Saisir le
Conseil des droits de l’homme de l’ONU à
propos des victimes de Gaza est une
manœuvre dilatoire qui ne peut aboutir à
aucune inculpation (cf. le rapport
Goldstone sur la guerre de l’hiver
2008-2009). Transposé à la loi
française, c’est comme faire juger un
crime de sang par la Cour des comptes.
Le Conseil des
droits de l’homme de l’ONU est une
instance politique qui se prononce sur
les droits de l’homme, mais elle n’a
aucune compétence juridictionnelle, et
elle est purement consultative.
Ses moyens d’investigation sont limités.
Elle produit un rapport public sans
pouvoir coercitif contre les fautifs.
Exemple : une tribu amazonienne constate
que l’eau de la rivière qu’elle consomme
est polluée par une entreprise minière
internationale, et saisit le Conseil. La
publication du rapport peut avoir pour
effet que l’entreprise indélicate
supprime la pollution qu’elle génère.
Le statut de la
Cour pénale internationale (Statut de
Rome) a été rédigé avec l’objectif de
rendre justice aux victimes de crimes de
guerre en sanctionnant les personnes
responsables.
Malgré leurs
dénégations, les dirigeants israéliens
prennent très au sérieux la Cour Pénale
Internationale. En sanctionnant les
responsables et non les Etats, la
Cour pénale internationale est un outil
puissant car son statut repose sur
l’expérience des tribunaux
internationaux, avec des règles de
procédures coercitives. Un responsable
pourra être poursuivi tout au long de sa
vie. Avec une saisine du Conseil de
droits de l’homme de l’ONU, les
dirigeants israéliens peuvent dormir
tranquilles.
La Cour peut être
saisie par quatre principaux acteurs : 1
les Etats qui ont signé et ratifié
(c’est-à-dire incorporé dans leur droit
local) le Statut de Rome ; 2 le Conseil
de sécurité des Nations-Unies ; 3 une
« autorité de l’Etat » : ministre,
procureur etc. sans que la liste soit
exhaustive, en cas d’Etat dans
l’incapacité d’exercer sa souveraineté ;
4 Le Procureur de la Cour pénale
internationale.
Penser que seuls
les Etats qui ont adhéré au Statut de
Rome peuvent être poursuivis est une
erreur. Les Etats-Unis, qui n’ont
pas adhéré au Statut de Rome, font
actuellement l’objet d’une enquête à
propos du conflit afghan.
Seul le procureur
peut décider de l’ouverture d’une
enquête à la suite du signalement qui
lui est fait que de possibles crimes de
guerre auraient été commis. Le Procureur
doit alors disposer d’informations
juridiquement suffisantes, en
particulier d’une chaine de preuves
dont l’élaboration est complexe Ces
informations doivent obligatoirement
être transmises par un avocat accrédité
auprès de la Cour pénale internationale.
Penser que les
associations non gouvernementales de
défense des droits de l’homme peuvent
déclencher une enquête de la Cour pénale
internationale est une erreur.
Contrairement à une idée répandue dans
l’opinion publique, les ONG seules ne
peuvent que contribuer par leur
témoignage à une enquête déclenchée par
la Cour pénale internationale elle-même.
Penser que le
Conseil de sécurité peut bloquer une
enquête déclenchée à la Cour, en
particulier en faisant jouer le droit de
veto des cinq membres permanents est
aussi une erreur. Il peut au maximum
retarder d’un an le déroulement d’une
enquête, et ceci nécessite l’approbation
de 9 des quinze membres du Conseil de
sécurité. Une situation qui ne s’est
jamais produite.
Application aux
« Marches du retour ».
L’Etat de Palestine
ayant signé et ratifié (en janvier 2015)
le statut de la Cour pénale
internationale par la voix du
Président de l’Autorité Palestinienne,
c’est idéalement à lui, au nom de
l’article 14, de déclarer qu’il soutient
les victimes palestiniennes qui ont
donné aux avocats accrédités mandat pour
les représenter à la Cour pénale.
Cette déclaration est essentielle au
plan juridique, l’Etat palestinien
s’engageant sans restriction à
collaborer avec la Cour pendant toute la
durée de l’enquête. Dans le cas
particulier le Président de l’Autorité
Palestinienne n’a pas utilisé
l’article 14 jusqu’à présent. Il a
même par le passé bloqué plusieurs
plaintes : le 25 juillet 2014 (plainte
déposée conjointement par son Ministre
de la justice en exercice et le
Procureur général de la Bande de Gaza),
en juillet 2017 (plainte de 50 avocats
palestiniens contre le crime de siège et
le crime de colonisation notamment de
Jérusalem-Est).
Mais, même en
l’absence de déclenchement de l’article
14 par le Président de l’Autorité
Palestinienne, toute saisine de la cour
n’est pas bloquée. Le Procureur, dès
lors que de nombreux signalements de
possibles crimes de guerre lui ont été
transmis, et à défaut d’une saisine par
un Etat signataire ou une autorité de
l’Etat, peut demander l’autorisation
à la Cour de lancer une enquête. Il
remet alors un dossier résumant les
signalements qui lui ont été faits. Dans
le cas du conflit afghan, et alors que
les Etats-Unis ont pris la précaution de
faire signer aux autorités afghanes un
accord les engageant à ne jamais
poursuivre les Etats-Unis devant la Cour
Pénale Internationale, le Bureau du
Procureur a constitué un document de 180
pages et plus de mille références
réunissant l’ensemble des crimes de
guerre supposés avoir été commis par les
deux parties (coalition dirigée par les
USA d’une part, Talibans d’autre part)
de 2002 à nos jours, incluant les
tortures supposées avoir été pratiquées
dans les prisons « délocalisées » en
Europe
https://www.icc-cpi.int/afghanistan?ln=fr.
Il y a aura donc prochainement une
audience devant la Cour pour statuer sur
cette demande. La machine judiciaire est
lancée et ne s’arrêtera pas.
Le Procureur a tous
les éléments pour saisir la Cour pénale
internationale sur le conflit
israélo-palestinien. C’est ce que lui
disent les Palestiniens, en ayant déposé
le 17 mai 2018 une nouvelle plainte
rédigée au nom de 560 victimes des tirs
israéliens.
*Auteur notamment
de Le Chemin de la Cour – Les
dirigeants israéliens devant la Cour
Pénale Internationale, Erick Bonnier
Editeur Paris 2014
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