Entité criminelle
Cour pénale internationale :
l'étau se resserre sur Israël
Christophe Oberlin
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Christophe Oberlin
Mardi 21 juillet 2015
Au grand dam
de ses détracteurs la Cour pénale
internationale, qualifiée volontiers de
« Cour de justice de Blancs pour juger
les Noirs », semble bien partie pour
trainer en justice nombre de dirigeants
israéliens. Une nouvelle ère
s’ouvre-t-elle dans l’histoire du
conflit israélo-palestinien ?
Affaire du
Mavi Marmara : rappel des faits
On se souvient du drame de la
« flottille ». Le 31 mai 2010, une
flotte de bateaux de pacifistes du monde
entier tente de rallier le port de Gaza
en brisant le blocus de l’armée
israélienne. Prenant le contrôle du plus
important des navires, le Mavi Marmara,
l’armée israélienne tue dix
ressortissants turcs dans les eaux
internationales. Le bateau bat pavillon
comorien. L’Etat des Comores,
signataire du Statut de Rome comme 120
pays des Nation Unies, porte plainte
auprès de la Cour pénale internationale.
Comme c’est la règle, c’est au bureau
de la procureure Fatou Bensouda
d’étudier la plainte, et de dire s’il
existe ou pas, suffisamment de
présomption de charges pour transmettre
le dossier à la Cour. Dix-huit mois plus
tard la décision est rendue. Certes la
procureure ne transmet pas le dossier,
mais les attendus sont là : il y a eu
très probablement des crimes de guerres,
et le blocus de Gaza est illégal. En
accord avec le Statut de Rome les îles
Comores font appel, appel qui doit être
jugé par la Cour préliminaire (chambre
de première instance). C’est donc
maintenant la Cour elle-même qui est
saisie, pour la première fois dans
histoire du conflit israélo-palestinien.
La décision
du 16 juillet 2015
C’est un véritable coup de semonce
pour les dirigeants israéliens. La
Chambre préliminaire décide de demander
à la procureure de revoir sa décision
initiale et d’ouvrir une enquête sur
l’affaire du Mavi Marmara. Cette
décision est capitale à plus d’un égard.
D’une part elle oblige Fatou Bensouda
à enquêter officiellement. Les parties
vont être convoquées et sommées de
s’exprimer. Une éventuelle
politique de la chaise vide de la part
d’Israël ne ferait qu’aggraver son cas.
Et l’envoi d’une délégation à la Haye,
déjà annoncé, ne va d’ailleurs pas en ce
sens.
D’autre part le bureau de la
procureure, dans les attendus de sa
première décision, s’est déjà engagé :
« il existe des doutes raisonnables pour
penser que des crimes de guerre ont été
commis ». On voit mal, après enquête
approfondie, et alors que les
témoignages sont accablants, la
procureure dire le contraire. Alors
pourquoi n’a-t-elle pas transmis le
dossier à la Cour ? Parce que le crime
n’était pas, selon elle, d’ampleur
« suffisante », répété, partie
intégrante d’une politique systématique.
Or la Cour a bien considéré que le
crime est « suffisant », puisqu’elle
demande à la procureure de revoir sa
copie. Et elle mène même une attaque en
règle contre la formule « gravité
insuffisante », s’indignant que les
critères de gravité extérieurs à
l’attaque n’aient pas été pris en
compte : notamment « la souffrance de la
population de Gaza soumise au siège[1],
les traitements dégradants proches de la
torture infligés aux survivants du
bateau prisonniers en Israël (passage à
tabac, menottes excessivement serrées,
position à genou prolongée, yeux bandés,
sac sur la tête, exposition en plein
soleil, restriction de nourriture,
d’eau, d’accès aux toilettes,
humiliation, recours à des chiens, etc.
Ces mauvais traitements évoquent
immédiatement les mauvais traitements
habituels auxquels sont soumis les
prisonniers palestiniens, tous
traitements dont la chambre rappelle
qu’ils sont interdits. « La conclusion
correcte, dit la chambre, aurait été de
reconnaître qu’il y avait des bases
raisonnables pour penser que des actes
qualifiés de torture ou de traitements
inhumains ont été commis, et ceci aurait
dû être pris en compte dans l’évaluation
de la gravité des faits ».
La Cour s’appuyant ensuite sur
témoignages et rapports d’autopsie,
réfute le caractère non intentionnel
mais au contraire programmé de l’attaque
meurtrière : utilisation de balles
réelles, et surtout « tirs à
balles réelles avant l’abordage »,
rejetant, à moins de preuves contraires,
l’argument selon lequel il s’agirait de
« bavures » sans ordre venu d’en haut.
La confiscation par l’armée des
téléphones portables des passagers est
qualifiée de « volonté de dissimulation
des preuves ».
« L’existence d’informations
contradictoires, rappelle la Cour, ne
signifie pas qu’une version doit être
privilégiée par rapport à une autre » :
version polie de l’accusation du « deux
poids, deux mesures » ou du « double
standard » des anglo-saxons.
La cour mentionne ensuite fort
adroitement les rapports de la
Commission des droits de l’homme de
l’ONU et celui de son Secrétaire
général.
Pour finir en donnant la liste des
« erreurs », « fautes » et « échecs » de
la procureure, elle rappelle que
la « raison d’être » (en français dans
le texte) du procureur est d’enquêter
et de poursuivre les crimes
internationaux.
A partir d’aujourd’hui, comme pour
toute instruction, la mécanique est
enclenchée, et des questions et réponses
vont être échangées entre procureure et
chambre, avec quatre étapes.
La première, acquise, est celle de la
nécessité d’une enquête :
c’est l’objet de l’injonction de la
chambre aujourd’hui : La procureure n’a
pas d’autre choix que de répondre point
par point à chaque question, s’appuyant
alors sur une enquête plus approfondie
qui va justifier la mise en cause
de responsables israéliens. A la
suite viendra la confirmation des
charges, qui fait peu de doutes.
Ensuite ce sera le non-lieu,
inimaginable, ou le renvoi des
responsables devant le tribunal. La
mécanique est donc enclenchée.
On va inéluctablement vers des
inculpations et vraisemblablement des
condamnations de dirigeants israéliens.
Conséquences
politiques
Contrairement à la pensée des
pessimistes, ce n’est évidemment pas le
jour où certains dirigeants israéliens
seront condamnés par la Cour pénale
internationale que les conséquences
politiques seront palpables. Dès
l’engagement des premières procédures
celles-ci sont apparues, aggravant
d’ailleurs par la maladresse des propos
tenus, le cas israélien. Le Premier
ministre déclarant bravache « qu’il ne
laissera pas traîner ses soldats devant
le CPI », alors que c’est lui-même qui
est en ligne de mire. Le Département
d’Etat américain déclarant « que la
Palestine n’est pas vraiment un Etat »,
alors cette condition n’est pas
rédhibitoire selon le Statut de Rome.
Déclarations venant de deux Etats qui
n’ont pas ratifié, et donc n’ont aucun
moyen légal de peser sur le
fonctionnement de la CPI.
Et alors que les dirigeants
israéliens couvrent la Cour pénale
internationale d’opprobre et tentent de
la délégitimer, les mêmes viennent de
décider pour la première fois d’envoyer
à la Haye une délégation « pour y
expliquer la position israélienne ».
Curieuse déclaration pour un Etat qui ne
reconnait pas l’institution !
Du côté de la Cour pénale, le bilan
est clairement positif. Alors que la
procureure gambienne Fatou Bensouda
assumait jusqu’à présent seule la
responsabilité de se dresser face aux
dirigeants israéliens (elle a, selon sa
propre expression, « ouvert les portes
de l’Enfer » !), c’est la Cour elle-même
qui vient de s’engager par la décision
de trois juges (les deux premiers étant
vice-présidents de la CPI) : la
présidente kenyane Joyce Aluoch et les
deux juges, l’italien Cuno Tarfusser et
le hongrois Péter Kovacs. La pression
sur la procureure s’en trouve d’autant
allégée.
Et
l’Autorité palestinienne dans tout ça ?
A ce jour l’Autorité palestinienne
n’a toujours pas porté plainte auprès de
la CPI. Elle a beau y avoir déposé un
dossier le 25 juin 2015, ce dossier
n’est qu’un texte général regorgeant de
statistiques, non factuel et ne
comportant aucun document suffisamment
précis et étayé pour pouvoir engager des
poursuites. Et on s’interroge sur la
communication de l’Autorité
palestinienne qui déclare à qui veut
l’entendre « qu’il faudra au moins dix
ans pour que les choses
aboutissent ». A-t-on déjà vu un
plaignant déclarer que sa plainte sera
traitée aux calendes grecques ? Quelle
est la compétence de l’Autorité
palestinienne pour augurer du temps de
travail de la Cour pénale
internationale ? Et pourquoi « dix
ans » ?
Si le règlement de certains dossiers
portés par la CPI, on le sait, a duré
plus qu’il n’aurait dû, qu’en est-il des
affaires concernant Israël ? La plainte
du Ministre de la justice palestinien
Saleem al Saqqa, en pleine guerre de
2014 (25 juillet), bloquée huit jours
plus tard par Mahmoud Abbas, a été
réactivée mécaniquement en décembre de
la même année par la signature d’une
« déclaration de compétence »[2]
par le même, conduisant la procureure à
annoncer dès le 15 janvier 2015
l’ouverture d’une enquête préliminaire.
Dans l’affaire du Mavi Marmara, 18
mois se sont écoulés entre la plainte et
la décision de la procureure, et après
appel la Cour n’a mis que six mois
avant de s’y opposer et de demander
l’ouverture d’une enquête.
La machine est lancée, qui ne
s’arrêtera pas.
Christophe Oberlin* | 21 juillet 2015
* Dernier ouvrage paru : Le chemin de
la Cour – Les dirigeants israéliens
devant la Cour pénale internationale,
Erick Bonnier 2014
[1] 450 plaintes individuelles
contre le siège enrichissent désormais
le dossier de la procureure
[2] Déclaration par laquelle l’Etat
palestinienne s’engage à coopérer
pleinement avec la Cour pénale
internationale, tant au niveau de
l’enquête que de ses décisions
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