Les enjeux
de la vie internationale
Vers l'apocalypse ?
Charles Enderlin

© Charles
Enderlin
Jeudi 13 novembre 2014
Régulièrement, fondamentalistes
messianiques, mais aussi des politiciens
et des éditorialistes, évoquent
l’argument de la « liberté de culte »
pour réclamer le droit pour les Juifs de
prier sur l’esplanade des mosquées à
l’endroit où se dressait le Temple
d’Hérode il y a deux mille ans. Même
Nahoum Barnéa, le principal commentateur
de Yediot Aharonot formule l’hypothèse
qu’en juin 1967, immédiatement après la
conquête de Jérusalem Est, « Israël
aurait pu imposer aux musulmans
l’installation d’une synagogue sur une
partie de l’esplanade. »
En fait, à l’époque, les dirigeants
israéliens ont pris des mesures
destinées à empêcher toute main mise
juive sur ce lieu saint islamique. Déjà,
avant même de donner l’ordre d’occuper
la vieille ville de Jérusalem, Moshé
Dayan, le ministre de la défense, se
posait une question fondamentale : «
Pourquoi avons-nous besoin d’un tel
Vatican ? ». Il s’en serait bien
passé. Le 7 juin, 1967, l’aumonier de
Tsahal, le général rabbin, Shlomo Goren,
installe une synagogue temporaire sur
l’esplanade des mosquées. Arrivé sur
place, Dayan ordonne aux soldats de
retirer le drapeau israélien placé sur
le Dôme du rocher et fait évacuer Goren
et son unité du rabinat militaire.
Le mont du Temple aux Musulmans
Pour leur part, les Grands rabbins
d’Israël, interdisent aux Juifs
observants de se rendre sur l’esplanade
en expliquant que la « Shehina »
(l’immanence divine) existe toujours à
l’endroit où se trouvait le Saint des
saints dont l’emplacement est inconnu.
Seul le grand prêtre avait le droit d’y
pénétrer une fois par an, après de longs
rites de purification. Le Grand rabbin
ashkénaze, Isser Yehouda Unterman
précise : « le Mont du Temple n’est
pas encore libéré, puisque des mosquées
s’y trouvent. Lorsque le Messie viendra
et enlèvera les mosquées, alors le
Temple sera reconstruit »
Le 17 juin, Dayan enlève ses chaussures
et, à l’intérieur de la mosquée Al Aqsa,
annonce aux cheikh Hassan Tahaboub et
Saïd Sabri, les responsables musulmans
qu’ils conservent la responsabilité de
l’administration du Haram al Sharif au
Waqf.
Le mois suivant, sous la pression de
fondamentalistes messianiques, une
commission ministérielle décide de
confier à la police israélienne la
mission d’y interdire la prière juive :
« pour prévenir toute atteinte à
l’ordre public ».
Mais Shlomo Goren ne l’entend pas de
cette oreille. Il fait réaliser par
l’armée un relevé topographique de
l’esplanade et détermine le secteur où
des Juifs devraient pouvoir se rendre
sans commettre de sacrilège.
Les rabbins des colonies contre
le Grand Rabbinat
C’est sur la base de cette étude, que,
le 2 février 1996, le conseil des
rabbins des implantations passe outre à
l’interdit du Grand rabbinat, et publie
un jugement de droit religieux
autorisant les Juifs à se rendre sur
l’esplanade des mosquées, mais en
évitant de s’approcher du Dôme du
rocher, où se trouverait le Saint des
saints. Le 9 mai 2003, ces rabbins
enfoncent le clou avec un nouveau décret
: « non seulement, il est permis de
se rendre sur l’esplanade des mosquées
mais c’est une prescription religieuse
que de la visiter ». La police
israélienne a donc, progressivement,
autorisé des Juifs religieux, à obéir à
cette injonction rabbinique mais en leur
interdisant toute forme de prière.
Cette « poussée » vers le mont du Temple
est une étape logique dans la vision
messianique des rabbins les plus
activistes du sionisme religieux. Ils
considèrent en effet que leur contrôle
de la Cisjordanie ne peut plus être
remise en question. Avec le soutien
actif de la droite nationaliste arrivée
au pouvoir avec de Menahem Begin, en
1977, la colonisation s’est développée
au point qu’aujourd’hui il est quasi
impossible d’évacuer, ne serait ce
qu’une partie des 360 000 colons ce qui
est pour eux la Judée- Samarie.
Pour progresser vers la rédemption, vers
l’apocalypse, il faut à présent préparer
la construction du trosième sanctuaire
juif. Dov Lior, le rabbin de Kyriat Arba,
l’implantation juive de Hébron, déclare
que la génération actuelle doit
effectuer des préparatifs, dresser des
plans du futur Temple, obtenir le droit
de prier sur l’esplanade.
Grippe ou cancer ?
Le sionisme religieux a donc conduit le
pays à un point de non retour et, à
gauche, le professeur Zeev Sternhell, un
des fondateurs du mouvement « La
paix maintenant » fait son mea culpa. :
« Nous n’avons pas compris la profondeur
de ces sentiments de nationalisme à la
fois religieux et laïque, nous n’avons
pas compris le sérieux de l’entreprise [
de colonisation] et c’est la raison pour
laquelle nous avons laissé faire…
». Cette incompréhension n’a pas disparu
après le massacre de 29 fidèles
musulmans en février 1994 dans le caveau
des Patriarches à Hébron, par Baroukh
Goldstein puis le meurtre d’Yitzhak
Rabin le Premier ministre en novembre
1995 par Yigal Amir. « Goldstein et
Yigal Amir tous les deux, représentaient
un courant idéologique et politique
énorme, puissant, un véritable torrent
et la gauche elle refusait de le voir,
par poltronnerie, par peur parce que
c’était commode. C’était commode de se
voiler la face, se dire, il était plus
facile de dire qu’on avait de la fièvre
parce qu’on avait la grippe, que se dire
qu’on avait le cancer, alors que c’était
un cancer ».
Car les fondamentalistes messianiques
ont dépassé l’affrontement politique
entre la droite et la gauche. Moshé
Kopel, colon, enseignant à l’université
religieuse Bar Ilan explique : « Un
nombre croissant de sionistes religieux
et d’ultra-orthodoxes s’unissent et
adoptent une idéologie fondée sur le
rejet du droit des Israéliens séculiers
à utiliser l’Etat pour imposer leurs
valeurs »
Moshé Feiglin, aujourd’hui
vice-président de la Knesset, va plus
loin et définit ainsi ce projet de
société : « Fonder un régime juif
national, libérer la Terre d’Israël et
vaincre ses ennemis. Créer une culture
juive nationale entièrement fondée sur
le Temple, et achever le rassemblement
des dispersés »
Démocratie juive ?
Au delà de leur exigence du droit à la
prière juive sur l’esplanade des
mosquées, le combat des plus activistes
parmi les sionistes religieux touche la
nature même de la société israélienne.
Sera-t-elle une démocratie séculière
selon le modèle occidental ou une forme
ou une autre de théocratie axée sur le
Temple juif ? Déjà, depuis la création
de l’état, la religion occupe une place
centrale dans la vie quotidienne en
Israël. L’état civil est aux mains des
orthodoxes. Les fêtes juives sont
chomées etc.
Dans cet affrontement fondamental, la
gauche séculière devra surmonter ce qu’Almond,
Appleby et Sivan qualifient, dans leur
ouvrage « Strong religion » (University
of Chicago Press), de « myopie
» produisant « une vision réductrice
de la religion, épiphénomène des
réalités économiques, politiques et
psychologiques. Le principe de la
séparation entre l’église et l’état,
était, depuis les Lumières, le principal
critère de modernisation et de liberté
individuelle. Cela conduit journalistes,
diplomates et politiques à considérer la
religion comme une affaire relevant
exclusivement du domaine privé. »
La tâche s’annonce difficile. Selon la
sociologue Tamar Hermann, cette gauche
israélienne représente aujourd’hui 17%
de la population juive, alors que 51%
croient en la venue du Messie.
Le sommaire de Charles Enderlin
Les dernières mises à jour

|