Analyse
Syrie-Hezbollah, cauchemar de
l’impérialisme
Bruno Guigue
Lundi 25 décembre 2017
“La guerre, disait Clausewitz, met fin
par le sang à une divergence
d’intérêts”. Contrairement à une idée
reçue, les USA et leurs alliés n’ont pas
tenté d’abattre la Syrie pour s’emparer
de ses hydrocarbures. Les projets
gaziers du Qatar expliquent peut-être
son engagement au côté des insurgés,
mais ils n’ont pas suffi à nourrir un
conflit d’une telle ampleur. La rage
destructrice des parrains de cette
guerre meurtrière n’était pas davantage
motivée par la défense des “droits de
l’homme”. Seuls les esprits crédules ont
pu croire de telles sornettes,
accréditées il est vrai par un déluge de
propagande sans précédent.
La véritable raison
de cette guerre par procuration n’est ni
économique ni idéologique. Déployant des
moyens colossaux, l’impérialisme avait
un autre objectif, beaucoup plus
ambitieux : il entendait conjurer une
menace stratégique. En détruisant la
Syrie, Washington espérait liquider le
seul Etat arabe qui soit resté debout
face à Israël, et qui appuie sans
réserve la résistance armée à l’invasion
sioniste. Frapper à mort la Syrie devait
permettre d’en finir avec le Hezbollah,
et l’effondrement de l’Etat syrien
mettre fin à l’anomalie d’un
gouvernement arabe allié au “régime des
mollahs” et à la Russie de Vladimir
Poutine.
La preuve ultime de
ce dessein géopolitique a été fournie
par l’ex-secrétaire d’Etat Hillary
Clinton dans son email du 30 novembre
2015 révélé par Wikileaks : “La
meilleure manière d’aider Israël à gérer
la capacité nucléaire grandissante de
l’Iran, écrivait-elle, est d’aider le
peuple syrien à renverser le régime de
Bachar el-Assad”. En cas de réussite,
cette tentative de “regime change” par
le biais de la terreur milicienne aurait
privé l’axe Téhéran-Damas-Beyrouth de
son maillon central. Elle aurait laissé
le Hezbollah orphelin de la Syrie et
rejeté l’Iran dans l’arrière-cour d’un
Moyen-Orient remis sur orbite
occidentale.
Malheureusement
pour Washington et ses séides, cette
vaste opération a échoué. Malgré les
milliers de mercenaires lobotomisés par
le wahhabisme, malgré les milliards de
dollars déversés par les monarchies du
Golfe, le conglomérat takfiriste s’est
brisé sur le mur d’acier d’une armée
nationale appuyée par ses alliés russes,
libanais, irakiens et iraniens. Même si
elle n’a pas supprimé la capacité de
nuisance américaine, cette défaite a
infligé un coup d’arrêt à la politique
du “chaos constructif” voulue par
Washington afin de provoquer l’implosion
du Moyen-Orient et le démembrement de
ses Etats souverains.
L’année 2017
restera dans les annales comme celle
d’un nouvel échec de l’impérialisme.
Destinée à éliminer une pièce maîtresse
de la résistance arabe, la guerre
imposée à la Syrie entendait venger
l’humiliation infligée à Israël en
juillet-août 2006. Elle visait à
repousser le cauchemar d’une force arabe
victorieuse, capable de chasser la
puissante armée sioniste d’un petit pays
qu’elle croyait à sa merci. Rarement
mentionnée, cette signification du
conflit syrien est pourtant essentielle.
Loin d’être séparés, les conflits du
Proche-Orient sont intimement liés. La
crise régionale a plusieurs dimensions,
mais c’est la même crise.
Que serait devenu
le Liban si les factions extrémistes
avaient gangrené l’est du pays ? Le
Hezbollah, rejoint par l’armée
libanaise, les a extirpées. En
supprimant ces nids de scorpions des
deux côtés de la frontière, la
résistance a joué son rôle de protecteur
du Liban, et même ceux qui vilipendaient
son intervention en Syrie sont
contraints de l’admettre. Obsession
d’Israël, le Hezbollah a payé le prix du
sang, tirant du conflit syrien une
expérience précieuse. L’impérialisme
voulait l’abattre en le privant de son
allié. Peine perdue. Cauchemar des
sionistes, vainqueur d’Al-Qaida,
protecteur des minorités, le Hezbollah
est plus fort et plus respecté que
jamais.
Ce n’est pas un
hasard si l’armée israélienne a
multiplié les agressions sur le
territoire syrien au cours des derniers
mois. Plusieurs responsables sionistes
l’ont dit : la prochaine guerre opposera
à nouveau Israël et le Hezbollah, et
elle sera d’une rare violence. Mais il y
a loin de la coupe aux lèvres, et
l’agresseur devrait méditer les leçons
du précédent conflit. Le 12 juillet
2006, prétextant l’enlèvement de deux
soldats israéliens à la frontière
libanaise, une impressionnante armada
israélienne avait envahi le Liban avec
l'objectif avoué “d'éradiquer le
Hezbollah”. L’issue de cette opération a
toutefois réservé bien des surprises à
ses initiateurs.
Durant cette guerre
de 33 jours, le déséquilibre des forces
est énorme. Israël dispose d’une force
militaire colossale, quasiment invaincue
sur les théâtres d’opérations du
Proche-Orient, et alimentée par les
transferts technologiques de son
puissant protecteur US. Infanterie
mécanisée, artillerie lourde, blindés,
aviation, marine de guerre et drones de
combat s’abattent sur le Liban. Face à
ce corps expéditionnaire de 40 000
soldats et 450 blindés lourds, se dresse
le Hezbollah, parti politique
minoritaire libanais qui dispose d’une
milice courageuse, mais dépourvue
d’armement lourd.
Pour accréditer la
menace que ferait peser cette
organisation détestée par les puissances
occidentales, on orchestre alors une
véritable dramaturgie autour des
roquettes lâchées sur Israël.
Psychologiquement, elle profite aux deux
belligérants : elle permet au Hezbollah
de défier Israël et à Israël de jouer la
comédie de l’agresseur agressé. Mais
elle masque surtout la disproportion des
dégâts causés dans les deux camps. Alors
qu’un millier de Libanais ont déjà péri
sous les bombes de “Tsahal”, les médias
braquent leurs projecteurs sur la
dizaine de civils tués par les roquettes
du Hezbollah.
Fascinés par leur
propre puissance, les sionistes frappent
les ponts, les usines, les ports, les
aéroports, ils dévastent Beyrouth-sud,
déploient un appareil de destruction
sans précédent contre le pays. Mais cet
avantage aérien ne préjuge pas de la
victoire. Le Hezbollah, de son côté,
dispose d’atouts indéniables : sa solide
implantation au sein de la communauté
chiite, sa cohésion interne et la valeur
de ses combattants, le soutien d’une
large majorité de la population
libanaise. Soudant les Libanais autour
du Hezbollah, la nouvelle invasion
israélienne, de plus, a pour effet d’en
montrer l’utilité militaire.
Encore confuse à la
veille du conflit, l’idée que le
Hezbollah constitue un rempart contre
Israël s’impose avec l’évidence d’une
force matérielle : si le Hezbollah cède,
il n’y a plus de Liban, mais un nouveau
bantoustan israélien. Simple prétexte,
le double enlèvement du 12 juillet a
fourni aux dirigeants israéliens, en
effet, l’occasion rêvée d’une nouvelle
guerre dont ils entendent toucher les
dividendes. La résistance mise à genoux,
le Liban pourrait retrouver son statut
d’Etat-tampon, sans véritable
souveraineté, ni cohésion nationale, ni
force militaire.
Car Israël ne
saurait tolérer à sa frontière nord
qu’un Etat-fantoche. Il a détruit sa
flotte aérienne civile en 1968, envahi
son territoire en 1978 et poussé une
offensive militaire dévastatrice contre
Beyrouth en 1982. Envahi, occupé et
bombardé durant des décennies, le Liban
n’a vu le départ des troupes
israéliennes du sud du pays qu’en 2000.
Cette victoire tardive, il la doit au
Hezbollah, qui a harcelé l’occupant
pendant vingt ans, tuant 900 de ses
soldats et le contraignant à un retrait
unilatéral. La violente attaque
israélienne engagée le 12 juillet 2006,
manifestement, est un règlement de
comptes.
Jouant les
matamores, les dirigeants israéliens
promettent d’infliger une correction
magistrale à la résistance. Jugés
indestructibles par les experts, 52
blindés de “Tsahal” sont pourtant
transformés en passoires. 170 soldats
sont tués, 800 blessés. Plus de 1 500
Libanais périssent dans les
bombardements sionistes, et le Hezbollah
reconnaît la perte de 200 combattants.
Avec leurs lance-roquettes antichar, les
combattants du Hezbollah ont contraint
les forces israéliennes à lâcher prise.
Inconcevable pour les admirateurs
d’Israël, une dure réalité s’impose : la
“plus puissante armée du Moyen-Orient” a
reculé face aux miliciens d’un parti
politique libanais.
Au lendemain du
conflit, le Hezbollah est toujours
debout et son potentiel militaire encore
menaçant. Auréolé par sa résistance à
l’envahisseur, il jouit dans le monde
arabe d’un prestige inégalé qui
transcende le clivage artificiellement
entretenu entre sunnites et chiites. En
voulant donner à cette guerre un
caractère punitif, Israël s’est puni
lui-même. Ses soldats ont été incapables
de prendre une poignée de villages
frontaliers et son principal fait
d’armes fut une campagne aérienne
dévastatrice. Israël voulait éradiquer
le Hezbollah. Tout ce qu’il a réussi à
faire est de massacrer des civils.
Vaincue, son armée a repassé la
frontière la queue entre les jambes.
Le souvenir de
cette victoire arabe emportée à 1 contre
10 ne cesse de hanter les dirigeants
israéliens et occidentaux. C’est l’une
des raisons essentielles de leur
acharnement contre la Syrie, et
l’agression contre Damas en 2011, au
fond, était en germe dans la défaite
d’Israël en 2006. Mais les événements
n’ont pas suivi le cours espéré par
leurs brillants stratèges. Avec la
déroute de la piétaille wahhabite en
Syrie, le plan a déraillé, et l’échec a
nourri l’échec. En 2006, Israël a subi
la défaite face au Hezbollah soutenu par
la Syrie. En 2017, l’impérialisme a
perdu la partie face à la Syrie soutenue
(entre autres) par le Hezbollah. Les
tentatives désespérées pour rompre cette
alliance se sont brisées comme du verre
sur la résistance des peuples frères,
syrien et libanais.
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