Syrie
La question identitaire,
nouvelle imposture socialiste
Bruno Guigue

© Bruno
Guigue
Mercredi 17 août 2016
Stratège néo-vichyste d'un PS en
putréfaction, Manuel Valls nous avait
prévenus. L'élection présidentielle de
2017, disait-il, se jouera sur la
"question identitaire". Qui s'en
souvient ? Personne, mais les faits
parlent d'eux-mêmes. Sur le plan
économique et social, celui où se
déroule la vie quotidienne des Français,
la gauche de gouvernement a trahi toutes
ses promesses de campagne. Elle s'est
vautrée dans la compromission avec cette
oligarchie financière contre laquelle
elle vitupérait pour épater la galerie
lors des meetings électoraux. On a dit
que le "Cartel des gauches" (1924)
s'était fracassé sur le "mur d'argent".
Avec François Hollande, aucun risque :
le mur d'argent, il s'est contenté de le
repeindre. Des cadeaux fiscaux au
patronat (contre de vagues promesses) à
la capitulation en rase campagne devant
le diktat néo-libéral (Loi-travail), M.
Hollande aura laissé dans notre histoire
une empreinte molle et visqueuse comme
sa politique. Avec son air ahuri, il
sera passé maître dans le seul exercice
où il excelle : suivre le courant
dominant. Autosatisfait compulsif, il
aura porté à l'absolu la sujétion du
pouvoir politique aux puissances
d'argent.
Sous François
Mitterrand, une gauche repentie avait
libéralisé les marchés financiers et
ouvert notre pays aux quatre vents de la
mondialisation capitaliste. Ce faisant,
elle donna le signal de la transgression
du tabou suprême : la souveraineté
populaire. Achevant l'entreprise de ses
prédécesseurs, et jetant une ultime
pelletée de terre sur l'héritage
révolutionnaire, François Hollande a
fini le sale boulot avec un acharnement
d'usurier. Soumise au carcan européiste,
la France n'a plus de politique
monétaire, budgétaire et industrielle.
Grâce aux socialistes, précédés par ces
laquais naturels de la finance que sont
les partis de droite, la France n'a plus
de politique du tout. Comme les autres,
ils ont acté le transfert du pouvoir de
décision des mains de la nation aux
griffes du marché. Cette nation, dont on
disait au XIXème siècle qu'elle était la
"nation politique" par excellence,
n'existe plus. Non pas qu'elle n'ait pas
d'ambition, mais ses élites font en
sorte qu'elle n'en ait plus.
Car ce qu'elles
veulent, c'est perpétuer ad libitum le
désordre établi, maintenir sous pression
les peuples, les Etats, les
travailleurs, dans le seul but
d'intensifier la rentabilité du capital
oisif, de faire tourner sans limite les
rotatives du profit, ces "machines
cyclopéennes" dont parlait Marx, sans
lesquelles l'accroissement effréné des
dividendes est impossible. Cette
dictature d'un actionnariat mondial
prosterné devant le Veau d'Or, cette
exigence dirimante d'une profitabilité
vertigineuse, les socialistes lui ont
conféré des lettres de noblesse
progressiste, ils l'ont légitimée sans
vergogne, ils l'ont arrosée d'eau
bénite. Qu'un fraudeur arrogant comme
Cahuzac ait été ministre du Budget,
qu'un "trader" au comportement de
morveux débarqué de la banque Rothschild
soit ministre de l'Economie, n'est pas
anodin. C'est plus qu'un simple
scandale, c'est une métaphore exemplaire
de la "gouvernance" socialiste, cet
aplatissement obséquieux du pouvoir
politique aux pieds de la finance
mondialisée.
Dans ces
conditions, en effet, on se demande
quelle partition cette "gauche"
vermoulue va pouvoir jouer en 2017. Car
ce n'est pas sur la question sociale
qu'elle suscitera l'enthousiasme chez
des électeurs échaudés par une série de
trahisons en règle. Risquant de payer le
prix de ses ostensibles compromissions
avec les puissants, le PS, alors, a bien
tenté d'allumer quelques contre-feux
dans le domaine dit "sociétal". D'allure
progressiste, ces combats obliques
accréditaient l'idée que la gauche était
toujours de gauche malgré l'abandon du
terrain social. Soigneusement choisis,
ces dérivatifs inspirés par le goût du
jour et la revendication minoritaire
procuraient un ersatz de
social-démocratie et un vain parfum de
modernité.
Peu importait que
les pauvres fussent toujours plus
pauvres et les riches toujours plus
riches, puisque ce n'était plus
l'essentiel. Exit le social, place au
sociétal ! L'important, nous disait-on,
c'est que les homosexuels des deux sexes
puissent se marier comme les autres,
qu'ils puissent adopter des enfants ou
s'en procurer sur le marché, que l'on
apprenne aux jeunes à combattre
l'assignation de genre, que les filles
puissent aussi devenir maçons, que l'on
simplifie l'orthographe pour la mettre à
la portée de tous, que les élèves
cessent d'être humiliés par les mauvaise
notes, que les parents décident de
l'orientation de leurs enfants au lycée,
qu'on supprime le latin-grec parce que
c'est élitiste, bref, que tout aille
pour le mieux dans cette société injuste
à condition de ne pas écorner un seul
privilège de classe.
Inconsistante par
nature, cette politique a vite perdu son
pouvoir d'enchantement. Relevant d'une
ruse de semi-habile, le contournement du
social par les artifices du sociétal a
fait long feu. Et la société a retrouvé
cette pesanteur que les travailleurs
pauvres qui se lèvent tôt le matin pour
tenter de joindre les deux bouts
connaissent bien. Il fallait donc,
d'urgence, trouver autre chose. Quelque
chose de puissant, qui permette de
diviser la société en occultant pour de
bon la fracture entre ceux qui vivent de
leur travail et ceux qui en palpent les
dividendes. A cette fracture objective,
ancrée dans les conditions matérielles
d'existence, il fallait opposer une
fracture subjective, aussi artificielle
fût-elle. Cette "divine surprise", pour
parler comme Maurras exultant devant la
défaite française en 1940, n'a pas
tardé. Résultat direct de la politique
française au Moyen-Orient, où les
dirigeants socialistes ont armé les
djihadistes et bombardé les civils, les
attentats terroristes ont fourni à ces
mêmes dirigeants l'opportunité d'imposer
un nouvel agenda politique. Fin du
sociétal, place à l'identitaire.
Cette conversion du
PS à l'idéologie droitière du "trouble
culturel" et du "péril islamique"
restera dans les annales comme le chef
d'oeuvre de Manuel Valls, et sa
récurrente crispation faciale en est la
mimique involontaire, la métaphore
corporelle. Ses amis du "Printemps
républicain" ont préparé le terrain,
prétendant recomposer le message de la
gauche autour des idéaux républicains,
mais sans hésiter à pervertir
l'universalisme hérité de 89. Ainsi
ont-ils désigné à la vindicte publique
le communautarisme musulman (comme on le
sait, il n'y en a pas d'autre) et obtenu
le parrainage d'Elisabeth Badinter, qui
revendique ouvertement son islamophobie
tout en assurant à la tête de Publicis
la promotion de l'Arabie saoudite en
Europe. L'incroyable hypocrisie de cette
milliardaire féministe reconvertie dans
le cirage de pompes saoudiennes, à vrai
dire, symbolise délicieusement la gauche
identitaire. Il n'y a qu'en France que
l'on peut voir un tel spectacle : le
clan au pouvoir dégoise à qui
mieux-mieux sur le voile ou le burkini,
mais son égérie intellectuelle fait la
communication de la maison Saoud, la
France lui distribue des médailles
honorifiques, elle coopère avec elle
pour détruire la Syrie par djihad
interposé, et elle lui fournit les
bombes avec lesquelles Riyad vitrifie
les enfants yéménites.
Cette politique
identitaire est donc le pendant, à usage
interne, d'une politique néo-coloniale
de la France au Moyen-Orient dont les
socialistes ont élevé la nocivité au
paroxysme. En entretenant la peur de
l'islam à domicile, en focalisant sur sa
visibilité sociale comme si elle était
grosse d'un péril mortel, elle fait
oublier les compromissions de nos élites
avec les régimes rétrogrades et les
islamistes radicaux. Montrant du doigt
celui qui cumule les stigmates du
pauvre, de l'immigré et du musulman,
elle courtise en même temps les
milliardaires corrompus du Golfe, leur
fournissant l'arsenal qui leur permet de
semer le chaos. Cette politique, en
somme, est doublement efficace :
cache-sexe de l'impérialisme hors de nos
frontières, elle livre un
bouc-émissaire, à l'intérieur, aux
frustrés d'une société en crise.
Car elle accrédite
deux idées simples : tous nos problèmes
viennent du monde musulman et les
musulmans de France y sont pour quelque
chose. Peu importe que cette politique
nourrisse un climat détestable. Cette
alchimie de la division
inter-communautaire fait partie du plan.
Elle est la meilleure alliée des
puissants, l'auxiliaire zélée des
oligarchies. Antidote à la revendication
sociale, la fracture ethnique et
culturelle est le secret de polichinelle
de tous les impérialismes, un instrument
de domination vieux comme le monde.
Cyniques jusqu'au bout des doigts, nos
dirigeants le savent et en abusent. De
même qu'ils veulent un Moyen-Orient
atomisé, fragmenté, réduit à
l'impuissance, ils veulent une France
livrée à l'hystérie collective, où le
peuple divisé ne sait plus qui
l'exploite et pourchasse des fantômes
jusque sur les plages.
Bruno Guigue
(17/08/2016)
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