Analyse
Mélenchon, le PIR et l’Etat-colon
Bruno Guigue

Samedi 11 novembre 2017
Quel pays européen
expédie ses troupes dans dix pays
africains (Mali, Niger, Sénégal, Tchad,
Mauritanie, Côte d’Ivoire, Gabon,
République centrafricaine, Somalie,
Djibouti) ? Quel pays européen participe
au pillage des ressources naturelles de
ce continent en y soutenant des pouvoirs
corrompus ? Quel pays européen a occupé
l’Afghanistan, détruit la Libye et semé
le chaos en Syrie sous des prétextes
humanitaires auxquels personne ne croit
? Quel est le pays européen où il est
impossible de dénoncer le colonialisme
sioniste sans être taxé d’antisémitisme
? Ne cherchez pas : c’est la “patrie des
droits de l’homme”.
Cette glorieuse
république que le monde entier nous
envie, il serait temps qu’elle balaye
devant sa porte, non ? Il faudrait, pour
commencer, que sa classe politique
daigne regarder en face les
contradictions dont elle détourne les
yeux pour ne pas les voir. De la droite,
évidemment, on n’attendra rien. Non
qu’elle soit plus cynique que la gauche,
mais elle n’a jamais eu pour habitude de
s’émouvoir du sort de ces populations
auxquelles deux siècles de prédation
coloniale et néo-coloniale ont légué des
territoires dévastés, des cultures
déracinées et des Etats de pacotille.
A gauche, on
s’auto-congratule à propos de la
laïcité, on se gargarise avec les
valeurs de la république et on se
félicite de l’énième campagne contre le
communautarisme. Mais on oublie
généralement que les valeurs dont on se
réclame gagneraient à être défendues
au-delà des frontières du petit monde
auquel on appartient. Où est la
condamnation sans appel de la politique
néo-coloniale de la France en Afrique ?
Où est la dénonciation claire et nette
des compromissions de Paris avec
l’Etat-colon ? Où est la protestation
sans équivoque contre la participation
française à l’ingérence impérialiste en
Syrie ?
Manifestement, le
sort des peuples meurtris par le
colonialisme et le néo-colonialisme
n’est pas la priorité. En revanche, on
trouve le temps d’écrire à l’une des
ambassades officieuses d’Israël en
France pour lui exprimer un soutien
chaleureux. C’est ce que vient de faire
Jean-Luc Mélenchon en écrivant à la
Licra une lettre dans laquelle il
formule de graves accusations contre
Houria Bouteldja, porte-parole du Parti
des Indigènes de la République. Le corps
du délit ? Une déclaration qui date de
mars 2015 : “Les juifs sont les
boucliers, les tirailleurs de la
politique impérialiste française et de
sa politique islamophobe”.
Pour Mélenchon,
cette phrase “est une déclaration
antisémite avérée”, explique-t-il dans
sa réponse à la Licra. “Je condamne une
telle déclaration comme je condamnerai
tout ce qui attribue à un groupe humain
un choix politique du seul fait de son
appartenance religieuse ou ethnique
supposée. Cette sorte d'assignation est
à mes yeux caractéristique du racisme.
Et il ajoute même : “Dans le cas
particulier du racisme antisémite, elle
renvoie à une longue tradition
meurtrière dont il faut toujours
craindre les résurgences et tout faire
contre ce qui y concourt”.
Si la phrase
incriminée, isolée de son contexte, peut
être mal interprétée, on ne voit pas
pourquoi elle devrait l’être en un sens
antisémite, d’autant que l’intéressée a
récusé cette interprétation et n’a
jamais été poursuivie à ce sujet. C’est
un point essentiel, particulièrement
dans un pays où certaines officines font
un procès en sorcellerie pour un pet de
lapin. Dans sa diatribe, Mélenchon donne
donc l’impression de poursuivre des
fantômes, et l’allusion à “la longue
tradition meurtrière” frise le
grotesque. Mais bon, puisqu’il a décidé
de traiter d’antisémite une adversaire
politique en dépit de ses dénégations,
il le fait.
Ainsi s’est-il payé
le luxe de faire coup double. Tout en
écrivant une lettre d’amour au bureau
local de l’Etat-colon, il conspue un
groupe qui n’a pas 1% de l’influence
dont jouit le lobby-qui n’existe-pas-et-dont-on-n’a-pas-le-droit-de-parler.
Mais ce n’est pas tout. Voilà qu’il mène
cette opération en plein centenaire de
la Déclaration Balfour ! Au moment où le
peuple palestinien dénonce cette
forfaiture, on ne peut pas dire que le
chef de la gauche française lui témoigne
sa sympathie. En déclarant sa flamme à
une officine sioniste au pire moment et
sous un prétexte douteux, Mélenchon a
commis une faute politique.
Mais il est assez
avisé pour savoir que rien ne se dit
impunément, et la thèse de l’erreur de
communication ne tient pas une seconde.
On ne pourra donc interpréter cette
démarche autrement que comme un signe
explicite d’allégeance. Avec ce geste,
il marque lui-même la limite qu’il
s’interdit de franchir sur la question
coloniale. On avait déjà relevé
l’ambiguïté de ses propos à propos de la
guerre de libération algérienne,
curieusement qualifiée de “guerre
civile”. Et d’ailleurs, n’est-il pas un
admirateur de ce Mitterrand qui fut le
bourreau des militants algériens durant
les années sombres ?
Cette participation
au concert de casseroles sur
l’antisémitisme peut paraître d’autant
plus paradoxale qu’il en fut lui-même
victime. On peut alors émettre
l’hypothèse qu’en s’acharnant contre le
PIR il entend faire la démonstration aux
yeux de ses censeurs qu’il ne mange pas
de ce pain-là. Au fond, il se blanchit
en jetant l’anathème sur les autres,
transformés en bouc-émissaire de sa
propre peur d’être à nouveau calomnié.
Antisémite, lui ? Oh non jamais ! La
preuve, c’est qu’il n’hésite pas à
sacrifier plus petit que lui, immolant
le PIR pour mieux embrasser la Licra.
Parmi les amis de
la Palestine, je doute qu’ils soient
nombreux à apprécier le geste. Le plus
cocasse, c’est qu’en se ralliant au
discours dominant sur l’antisémitisme,
il justifie les analyses d’un courant de
pensée pour qui la république ne se
remet pas de son héritage colonial. En
voulant extirper le PIR, cette gauche
qui ne cesse de faire allégeance à
l’entité sioniste nourrit l’argumentaire
décolonial qu’elle croit combattre. Oui,
la question coloniale reste pendante, et
il est probable qu’elle le restera aussi
longtemps que la gauche n’aura pas
secoué le joug du dernier Etat-colon.
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