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Les libérateurs au drapeau rouge
Bruno Guigue

Vendredi 8 mai 2020
Célébration de la
victoire sur le nazisme, le 8 mai est
l'occasion de rappeler qui a payé le
prix fort pour nous en débarrasser :
l'Union soviétique. De Moscou à
Stalingrad, de Stalingrad à Koursk, de
Koursk à Berlin, l'Armée rouge a éliminé
la machine de guerre hitlérienne. Mais
demander simplement qu'on le reconnaisse
est sans doute beaucoup trop demander.
Admettre que l'armée rouge a libéré le
monde de cette folie meurtrière fait
partie des aveux dont l'Occident est
incapable. Abreuvé des sornettes
d'Hannah Arendt, il croit dur comme fer
qu'Hitler et Staline étaient des frères
jumeaux et qu'ils conspiraient pour
dominer le monde. Rien de tel,
décidément, pour alimenter la nouvelle
guerre froide, calomnier la Russie, et
se présenter comme un parangon de vertu.
On va nous raconter
que le pacte germano-soviétique du 23
août 1939 est la cause de la Seconde
Guerre mondiale, oubliant au passage ces
accords de Munich, le 30 septembre 1938,
où les glorieuses démocraties ont vendu
la Tchécoslovaquie pour le plat de
lentilles d'une paix illusoire. Mais peu
importe : en histoire la chronologie est
secondaire, disent les nouveaux
pédagogues. Il ne manquera pas non plus
d'experts pour accréditer la thèse d'une
connivence entre Moscou et Berlin, alors
que les élites occidentales ont joué
Hitler contre Staline, et obstinément
refusé les offres soviétiques visant à
constituer un front commun contre les
fascismes.
Mauvaise foi sans
limite d'une propagande qui réécrit
l'histoire à sa guise. Auto-promotion
d'un Occident qui occulte ses propres
turpitudes. Il ne lui suffit pas d'avoir
attendu juin 1944 pour ouvrir un second
front contre le Reich, laissant ainsi à
l'armée soviétique la tâche colossale de
vaincre la Wehrmacht. Il faut qu'il nie
avoir commis cet abandon, qu'il se vante
de ses exploits et qu'il se présente
ingénument comme son propre libérateur.
Quel lycéen français a-t-il entendu
parler de l'opération Bagration,
conduite par Joukov à l'été 1944, qui a
détruit plusieurs armées allemandes et
rendu possible le débarquement allié en
Normandie ?
L'occultation de
l'histoire, dès lors qu'elle ne souscrit
pas aux présupposés de l'idéologie
occidentale, est tellement commode. Ce
n'est pas un hasard s'il est à la base
de l'enseignement historique en France :
le mythe des jumeaux totalitaires
accrédité par Hannah Arendt fournit à
cette réécriture de l'histoire un
argumentaire en béton armé. Reductio ad
hitlerum, la doctrine prescrit de voir
dans le totalitarisme un monstre à deux
visages. Elle prête à Hitler le vœu de
s'entendre avec Staline pour écraser
l'Occident libéral, mais sans dire
pourquoi la machine de guerre nazie
s'est déchaînée contre le peuple
soviétique, Hitler invitant ses généraux
à mener une guerre totale et à
exterminer les cadres communistes.
Cette doctrine
assène que l'idéologie et la terreur
sont la caractéristique du régime
totalitaire, alors qu'ils définissent
tout aussi bien la domination
impitoyable, justifiée par un racisme
d'Etat, qui fut infligée par les
puissances européennes aux peuples
colonisés. De manière absurde, elle
identifie l'idéologie nazie et
l'idéologie soviétique, alors qu'il n'y
a rien de commun entre la mystique de la
race et le marxisme-léninisme. Elle
prête au régime totalitaire (à deux
faces) des ambitions conquérantes et
agressives, en oubliant que la conquête
territoriale et le pillage colonial,
historiquement, caractérisent à
merveille l'Occident capitaliste.
L'inconvénient de
la vulgate arendtienne, c'est qu'elle
regarde le monde d'un seul œil et qu'il
est myope. Au lieu de corriger son
interprétation à la lumière des faits,
elle tord les faits pour les conformer à
son interprétation. Les contradictions
de l'histoire passent à la trappe, et
elle enfile les abstractions comme on
enfile des perles. Prouesses
conceptuelles qui tournent à vide, et
qui laissent la pensée orpheline d'une
matière historique qu'elle a décidé
d'ignorer. Loin de ces élucubrations, il
y a urgence à ne plus s'en laisser
compter. La romance occidentale,
d'ailleurs, a-t-elle le moindre succès
ailleurs qu'en Occident ? Comme on
connaît la réponse à cette question, il
ne reste plus qu'à balayer devant la
porte.
En ce 8 mai 2020,
rendons hommage à nos libérateurs au
drapeau rouge.
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