Monde
Menace de guerre contre la Corée du Nord
Bruno Guigue
Samedi 1er juillet 2017
Après son entretien avec le nouveau
président sud-coréen Moon Jae-in, le 30
juin, Donald Trump a encore durci le ton
contre la Corée du Nord. « La patience
stratégique avec le régime nord-coréen
est terminée. Ensemble, nous faisons
face à la menace du régime dangereux et
brutal de Corée du Nord. Les programmes
nucléaire et balistique de ce ce régime
exigent une réponse déterminée », a
déclaré le président américain. Pour la
première fois, Washington a également
annoncé des sanctions contre une banque
chinoise accusée de coopérer avec
Pyongyang.
Si la fonction des
médias dominants est de substituer
l'imaginaire à la réalité, la
représentation occidentale de la Corée
du Nord n'échappe pas à la règle. Vu de
l'Ouest, il est vrai que Pyongyang fait
figure d'accusé idéal. Cette « monarchie
rouge », ce « régime ubuesque », ce «
goulag asiatique » réunit les stigmates
de tout ce que l'homo occidentalis est
censé détester. Désigné par les grands
prêtres du droit-de-l'hommisme comme
l'incarnation du Mal, cet Etat honni
ferait peser, selon le secrétaire d'Etat
US Rex Tillerson, « la pire des menaces
sur la paix mondiale ».
Mais de quelle
menace s'agit-il ? Depuis son entrée
fracassante dans le club des puissances
nucléaires, en octobre 2006, la Corée du
Nord est mise au ban des nations. Contre
ce petit pays, la « communauté
internationale » phagocytée par
Washington a mobilisé les grands moyens.
Résolutions onusiennes, sanctions
économiques et manœuvres militaires se
succèdent, sans relâche, pour isoler le
régime fautif. Rangée par les USA dans
la catégorie des « Etats voyous », la
République populaire démocratique de
Corée est dans la ligne de mire.
La propagande
occidentale dépeint Kim Jong-un comme un
tyran sanguinaire faisant joujou avec la
bombe, mais cette caricature peine à
masquer la réalité des rapports de
force. Inutile d'être un grand expert,
en effet, pour comprendre que la
stratégie nucléaire nord-coréenne est
purement défensive. Dissuasion du faible
au fort, sa finalité est d'exposer
l'agresseur à des représailles, et non
de prendre l'initiative des hostilités.
Les Nord-Coréens veulent échapper au
sort de l'Irak et de la Libye,
pulvérisés par les USA et leurs
supplétifs pour avoir le bonheur de
goûter les bienfaits de la démocratie
importée manu militari.
Le bellicisme prêté
à Pyongyang, en réalité, relève d'une
inversion accusatoire dont le soi-disant
« monde libre » est coutumier. Prompts à
donner des leçons de morale, les USA
sont les seuls à avoir utilisé l'arme
nucléaire. A Hiroshima et Nagasaki, en
août 1945, ils l'ont fait sans
hésitation et n'en éprouvent aucun
remords. Non seulement ce massacre de
masse (plus de 220 000 morts) fut d'une
barbarie sans nom, mais il n'avait
aucune justification militaire. Le Japon
était prêt à capituler, et le recours à
l'arme atomique visait à intimider
l'URSS, dont les troupes écrasaient
l'armée japonaise en Mandchourie.
Pour la « nation
exceptionnelle » à la « destinée
manifeste », carboniser des centaines de
milliers de femmes, d'enfants et de
vieillards ne pose aucun problème sur le
plan moral. Pour fêter l'anniversaire de
la double explosion, les généraux US
aimaient déguster en famille une
pâtisserie en forme de champignon
atomique. Cinq ans plus tard, les mêmes
galonnés à la bonne conscience
indécrottable déchaînèrent les feux de
l'enfer contre les Coréens. Ces derniers
échappèrent de peu à l'apocalypse
nucléaire rêvée par MacArthur, mais ils
subirent les effets dévastateurs d'une
arme nouvelle : le napalm. Pendant la
guerre de Corée, l'US Air Force fit un
usage massif de cet explosif
incendiaire, et la plupart des grandes
villes du Nord ont été détruites.
Imagine-t-on une
guerre qui anéantirait 60 millions
d'Américains en les carbonisant avec des
bombes incendiaires ? C'est ce que la
Corée du Nord a subi entre 1950 et 1953.
Déversant davantage de bombes sur la
péninsule que sur le Japon entre 1942 et
1945, les généraux du Pentagone ont
massacré sans état d'âme 3 millions de
personnes, soit 20% de la population de
ce petit pays. On se doute bien que de
telles broutilles n'entacheront jamais
le prestige inégalé dont jouit l'Oncle
Sam dans les contrées occidentales. Mais
à la lumière de cette histoire on
comprend mieux, en revanche, la hargne
anti-impérialiste des Nord-Coréens.
Il n'y a pas que le
passé, au demeurant, qui incite à
relativiser la passion de Washington
pour la paix dans le monde et l’amitié
entre les peuples. Lorsque les USA
jouent la vertu outragée et brandissent
l'épouvantail nord-coréen, on finirait
presque par oublier qu'ils détiennent 4
018 têtes nucléaires, alors que la
République populaire démocratique de
Corée en possède une dizaine. Les cinq
essais nucléaires nord-coréens ont
provoqué des torrents d'indignation en
Occident, mais les USA en ont réalisé
plus d'un millier. Enfin, ce n'est pas
la Corée du Nord qui a pris l'initiative
de nucléariser la péninsule, mais les
USA en 1958.
Lorsqu'on demande
ce que viennent faire des porte-avions
US dans la région, la propagande répond
que la Corée du Nord est un Etat-voyou
qui a violé le traité de
non-prolifération nucléaire. Mais un
Etat souverain est libre de dénoncer un
traité international, et Pyongyang a la
mérite d'avoir annoncé la couleur en se
retirant du TNP. De ce point de vue, sa
situation est beaucoup moins scandaleuse
que celle d'Israël. Car cet Etat
non-signataire du TNP détient 300 têtes
nucléaires avec la bénédiction des
puissances occidentales, alors qu'il
bombarde ses voisins et colonise des
territoires qui ne lui appartiennent
pas.
Les dirigeants
nord-coréens ont beau user d'une
rhétorique grandiloquente, ils ont les
pieds sur terre. La puissance militaire
de cet Etat de 25 millions d'habitants
représente 2% de celle des USA, et sa
seule ambition est de prévenir une
agression extérieure dont la perspective
n'a rien d'irréel. Réduits à
l'impuissance au Moyen-Orient, les
docteurs Folamour du Pentagone rêvent
d'en découdre avec ce pays récalcitrant.
Ils ont installé un bouclier
anti-missiles en Corée du Sud, dépêché
dans la région un puissant groupe
aéro-naval, et largué dans la montagne
afghane la méga-bombe anti-bunker « MOAB
» en guise d'avertissement.
Malgré les
réticences du nouveau président
sud-coréen, qui s'est déclaré prêt à «
renvoyer » le bouclier anti-missiles,
les « neocons » de Washington envisagent
ouvertement une opération militaire
contre les installations nucléaires
nord-coréennes. Car l'affrontement avec
la Corée du Nord présenterait deux
avantages. Il constituerait un puissant
dérivatif à l'échec de l'impérialisme au
Moyen-Orient, où il se heurte à l'axe
Moscou-Téhéran-Damas-Bagdad-Hezbollah.
Et il fournirait un banc d'essai pour le
bombardement des installations
souterraines du complexe nucléaire
nord-coréen avec la bombe « MOAB ». En
cas de succès, une telle prouesse
technologique priverait la Corée du Nord
de son outil de dissuasion et
administrerait une leçon de choses à
l’Iran, cible préférée de
l’administration Trump.
Pari hasardeux,
bien sûr. Dans l'immédiat, cette
agressivité a pour seul effet de
conforter Pyongyang dans sa
détermination. Farouchement attachée à
sa souveraineté, fidèle à l'idéologie du
« juché » (autonomie) héritée de Kim-Il-Sung,
la Corée du Nord n'aime pas qu'on lui
marche sur les pieds. Contrairement aux
USA dont la doctrine prévoit la
possibilité d'une attaque préventive,
son programme nucléaire indique
clairement à ceux qui voudraient
l'attaquer qu'ils s'exposent à de
sévères représailles. Décidée à résister
à toutes les pressions, adossée au géant
chinois, la République populaire
démocratique de Corée est un « domino »
que Washington n'est pas près de faire
tomber.
(Afrique-Asie,
juillet 2017, version actualisée)
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