Opinion
La stratégie du Mossad contre les BDS
Asa Winstanley
Photo:
D.R.
Dimanche 30 novembre 2014
Que Shavit préconise ou pas une
stratégie plus agressive contre la
solidarité internationale avec la
Palestine et quant à savoir si ses
conseils seront écoutés ou pas, seul le
temps nous le dira.
L'ancien directeur du Mossad, Shabtai
Shavit, a fait publier
un article d'opinion très remarquable
dans le journal libéral israélien
Haaretz, cette semaine. Son titre : «
Pour la première fois, je crains pour
l'avenir du sionisme ». On peut
tirer plusieurs leçons, de cet article.
Non pas les leçons que Shavit
entend enseigner aux lecteurs,
naturellement. Il n'est pas en mesure
d'instruire qui que ce soit sur le plan
de l'éthique ou de la moralité.
L'une des organisations terroristes de
pointe de la planète, le Mossad est
l'agence d'espionnage international
d'Israël. Il pratique l'enlèvement et
l'assassinat d'activistes, d'écrivains
et d'hommes de science palestiniens. Il
a également glané quelques succès dans
l'assassinat de dirigeants politiques et
de combattants de la résistance
palestiniens.
C'est ce groupe qui, en 1972, a
assassiné l'écrivain, dramaturge et
activiste palestinien en se servant
d'une voiture piégée à Beyrouth. C’est
ce groupe qui, en 2011, a kidnappé Dirar
Abu Sisi, un ingénieur de Gaza, alors
qu'il rendait visite à sa famille en
Ukraine, à l'époque.
Il a également kidnappé Mordechai Vanunu,
l'héroïque dissident israélien qui avait
révélé le programme nucléaire d'Israël
au monde dans les pages du Sunday
Times. Pour ses efforts, il avait
été enlevé par les sbires du Mossad dans
les rues de Rome et, après un procès
très médiatisé, il avait passé 18 ans
dans une prison israélienne – la plupart
du temps, en isolement.
La première leçon qu'on peut tirer du
nouvel article de Shabtai Shavit dans
Haaretz, c'est celle-ci :
Israël est sérieusement préoccupé par
l'impact du mouvement mondial de
boycott, désinvestissement et sanctions
dirigé contre lui par les Palestiniens.
Israël n'a aucune idée de la façon de
s'y prendre contre cette « menace » à
l'égard de sa politique d'occupation.
« Le mouvement BDS mondial »,
écrit Shavit, « a pris de l'ampleur
et même quelques Juifs en font partie.
» Ceci constitue un aveu significatif à
deux égards.
Primo, cet ancien chef des
renseignements israéliens admet que le
mouvement a eu un impact croissant sur
la lutte contre les crimes de guerre, le
racisme et d'autres formes d'injustice
commis par Israël contre le peuple
palestinien.
Secundo, le fait qu'il a remarqué le «
nombre d'étudiants juifs qui se
détournent d'Israël ». C'est
important, puisque « les campus
universitaires de l'Occident (...) sont
les pépinières de la future direction de
leurs pays ».
L'allusion à la participation juive au
mouvement BDS est importante, du fait
qu'elle sape la prétention arrogante et
fallacieuse d'Israël de vouloir
représenter tous les Juifs du monde
entier. Netanyahu a même prétendu un
jour (en 2011, alors qu'il s'adressait
au Congrès américain) que, en tant que
Premier ministre, « je m'exprime au
nom du peuple juif » - plutôt qu'au
nom de tous les citoyens israéliens
(puisque ceci aurait dû alors inclure
quelque 1,5 million de Palestiniens de
prétendue citoyenneté israélienne). Elle
sape également un élément typique (et de
moins en moins gobé) de la propagande
israélienne à propos des activistes
palestiniens de la solidarité prétendant
que c'est l'antisémitisme qui les
motive.
Le paragraphe dans lequel Shavit
reconnaît le pouvoir des BDS est suivi
directement d'une insinuation sinistre :
« À cette époque de guerre
asymétrique, nous n'utilisons pas toutes
nos forces et ceci a un effet néfaste
sur notre capacité de dissuasion. »
Le sens de cette phrase est vague, mais
il n'est pas exagéré d'imaginer que
Shavit suggère qu'Israël devrait
recourir plus souvent à la force pour
dissuader les activistes BDS
palestiniens et internationaux.
Ceci n'est pas une idée si incongrue
qu'elle ne le paraît. Il a déjà été
prouvé à suffisance que des services
d'espionnage israéliens sont impliqués
dans la surveillance systématique, et
probablement l'infiltration, de
l'activisme de solidarité avec la
Palestine dans le monde entier.
Le Mossad dispose également des
ressources et des réseaux de diverses
organisations sionistes pour s'étendre
dans le monde. Par exemple, des groupes
comme « Amacha Initiative », en
Californie, que ma collègue Nora Barrows-Friedman
et moi-même avons dénoncé dans The
Electronic Intifada au début de
cette année pour avoir infiltré et
espionné une délégation estudiantine en
Palestine.
Alors qu'un représentant d'Amacha avait
refusé tout commentaire quand nous lui
avions demandé s'ils transmettaient à
des institutions gouvernementales
israéliennes les informations qu'ils
collectaient sur les activistes,
d'autres groupes entretiennent des
relations bien plus étroites avec les
escadrons de la mort israéliens opérant
au niveau international.
Shurat HaDin, dirigé par l'avocate
israélienne Nitsana Darshan-Leitner, se
présente dans les médias internationaux
(y compris certains journaux
britanniques assez crédules, comme
The Guardian) en tant que courageux
groupe d'avocats des « droits
civiques tenant en échec le terrorisme,
procès par procès ». La réalité est
bien plus sinistre.
L'an dernier, il a été révélé que le
groupe est étroitement lié au Mossad et
qu'il agit comme mandataire dans des
procédures juridiques que le
gouvernement israélien aimerait mener un
peu partout dans le monde, mais qu'il ne
peut entreprendre en raison de
considérations politiques.
« Le gouvernement israélien a certaines
contraintes », a expliqué Darshan-Leitner
lors d'une conférence à Washington, DC
en 2012. Il « est confronté à
certains problèmes : Il doit être
politiquement correct. Il a des
relations à l'étranger, il y a des
traités internationaux qu'il a signés et
il ne peut faire ce que des avocats
privés peuvent faire. »
L'an dernier, il a été révélé (grâce au
prisonnier politique et responsable de
fuites Chelsea Manning) dans un
télégramme de l'ambassade des États-Unis
qu'en 2007, Nitsana Darshan-Leitner
avait déclaré que son groupe «
prenait la direction (...) des affaires
qu'il entendait suivre en justice »
et qu'il « recevait des preuves
» du Mossad et du Conseil national de
sécurité israélien.
C'est en contradiction directe avec ce
qu'elle a prétendu en public, de même
que sur son site internet qui affirme
qu'il s'agit d'une organisation «
totalement indépendante » qui «
n'est affiliée à aucun parti politique
ni corps gouvernemental ».
Que Shavit préconise ou pas une
stratégie plus agressive contre la
solidarité internationale avec la
Palestine et quant à
savoir si ses conseils seront écoutés ou
pas, seul le temps nous le dire.
Publié sur
Middle East Monitor le 27 novembre
2014. Traduction pour le site de la
Plate-forme Charleroi-Palestine : JM
Flémal.
Asa Winstanley est
un journaliste freelance installé à
Londres et qui a vécu en Palestine
occupée, où il a réalisé des reportages.
Son premier ouvrage : Corporate
Complicity in Israel’s Occupation (La
complicité des sociétés dans
l’occupation israélienne) a été publié
chez Pluto Press. Sa rubrique Palestine
is Still the Issue (La Palestine
constitue toujours la question) est
publiée chaque mois. Son site Internet
est le suivant :
www.winstanleys.org
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