Analyse
L’Autorité palestinienne prête à
s’effondrer,
révèle une étude
Amira Hass
Amira Hass
- Photo: D.R.
Samedi 22 mars 2014
Seule l’obtention d’un statut d’État
pourrait sauver la Cisjordanie d’une
vague imminente de violence, de
criminalité, de chaos, de maladie, dit
un important rapport palestinien.
L’effondrement de l’Autorité
palestinienne ferait de la Cisjordanie
un endroit en proie à la violence, à la
criminalité, au chaos, à la maladie.
Mais, même si la plupart des
Palestiniens veulent la survie de l’AP,
soit par souci d’un ordre social
élémentaire, soit par intérêt personnel,
et bien qu’Israël appréhende d’avoir à
reprendre la responsabilité de 3
millions de Cisjordaniens, le régime du
président Mahmoud Abbas va s’effondrer
avant longtemps si Israël continue à
contrarier les aspirations
palestiniennes à l’indépendance.
Telle est la conclusion d’une
volumineuse étude de six mois réalisée
par le très prestigieux Centre
palestinien de recherche politique et de
sondage de Ramallah, dirigé par le
Dr Khalil Shikaki.
Un très grand nombre de Palestiniens ont
un intérêt profondément établi dans la
survie de l’AP, fait remarquer Shikaki.
Les liens avec l’AP apportent un
bien-être financier, un statut social et
politique dans la société et certains
cercles qui dépendent de leur relation à
l’AP. Tout ce qui peut advenir à l’AP
leur reprendra tout cela. Il peut s’agir
d’organisations, d’intérêts d’affaires
ou d’individus qui occupent des
positions de pouvoir qui leur permettent
de récompenser des sympathisants.
« S’ils pouvaient prendre les décisions,
ils feraient de leur mieux pour
l’empêcher [l’effondrement de l’AP]
», explique Shikaki, « mais même
ceux qui ont un intérêt certain à
satisfaire Israël, par souci de
préserver l’AP, ne pourront le faire
trop longtemps. »
Si les Palestiniens ordinaires
soutiennent toujours l’existence de
l’AP, c’est parce qu’ils ont besoin d’un
certain ordre, ajoute-t-il. « Les
gens ne veulent pas se voir privés d’une
autorité centrale qui empêche le chaos
et l’anarchie dans les rues, même s’ils
ont beaucoup de critiques à l’égard de
l’AP et de son fonctionnement. Mais les
Palestiniens accepteront le risque de
son effondrement complet s’il se produit
au beau milieu d’une lutte pour un
changement de statut quo. S’il y a une
bonne raison pour que l’AP s’effondre,
dans ce cas, [leur attitude sera)
qu’elle s’effondre. »
L’AP a 20 ans, mais des voix remettant
en question son efficience ont déjà été
entendues dès le début de la seconde
Intifada, en 2000. Elles sont revenues
et se sont intensifiées ces deux ou
trois dernières années, quand il est
apparu clairement que l’AP n’assure la
réalisation d’aucun des deux objectifs
pour lesquels elle a été instaurée : le
statut d’État et la fourniture de
services publics. Ajoutez à cela les
difficultés économiques croissantes et
la rupture avec la bande de Gaza, et le
tableau de l’échec est complet.
Un rapport
sans précédent
Le « Rapport final sur ‘le
lendemain’ : la probabilité, les
conséquences et les implications
politiques d’un effondrement ou d’une
dissolution de l’AP » est sans
précédent dans son ampleur et sa volonté
de prendre ce problème à bras le corps.
Plus de 200 Palestiniens de spécialités
diverses ont participé aux discussions
qui ont abouti à ce rapport de 250
pages.
L’AP pourrait se désagréger d’une des
trois manières qui suivent, conclut
l’étude. Un. Le scénario le moins
probable consisterait en une décision
volontaire de la direction palestinienne
de la dissoudre. Le deuxième serait
l’effondrement en tant que résultante du
pouvoir de sanction économique,
militaire et politique de la part
d’Israël, des pressions politiques et
économiques, surtout américaines, en
réponse aux démarches palestiniennes qui
violent le statu quo, comme le fait
d’adresser des pétitions à la Cour
pénale internationale ou d’organiser un
soulèvement non militarisé. La troisième
possibilité serait une désagrégation de
l’AP suite une agitation et une
rébellion internes des Palestiniens.
Parmi les participants, il y a ceux qui
considèrent la désintégration de l’AP
comme une quasi-certitude, étant donné
le refus d’Israël d’en arriver à une
solution à deux États en ligne avec les
principes et décisions internationaux.
Selon Shikaki, ceux qui considèrent
l’effondrement de l’AP comme une chose
positive dont minoritaires,
actuellement, et tendent à être ceux qui
soutiennent un État unique, binational.
Mais il est clair que les trois
principaux acteurs – l’AP elle-même,
Israël et la communauté internationale –
ne sont pas intéressés dans la
disparition de l’AP.
Shikaki a déclaré qu’il avait demandé
aux Israéliens « dans quelles
circonstances Israël pourrait perdre de
ses intérêts dans le maintien de l’AP,
et leur estimation était que les
Palestiniens n’étaient pas stupides et
qu’ils ne voulaient pas aller trop loin
et risquer que nous [Israël] ne
modifiions nos priorités ». Cette
perspective israélienne semble renforcer
la position des critiques palestiniennes
qui prétendent que l’AP sert les
intérêts d’Israël. En effet, ajoute
Shikaki, « tous les Palestiniens qui
ont participé à la discussion
partageaient le point de vue selon
lequel Israël et l’AP ont un intérêt
commun à maintenir le fonctionnement de
l’AP. La société palestinienne en
général comprend que l’AP est en mesure
d’exister tant qu’Israël sera satisfait
de cette existence et tant que les
Palestiniens estimeront qu’elle leur est
utile ».
Les personnes israéliennes interrogées
ont-elles compris que les mesures
israéliennes étaient susceptibles de
faire culbuter l’AP ? Oui, a répondu
Shikaki. « Elles pensent qu’elle [la
politique israélienne] pourrait durcir
considérablement les conditions, mais
qu’Israël compte intervenir en dernière
minute et éviter un effondrement. »
Shikaki a fait remarquer que tous les
participants estimaient qu’« à tous
les niveaux, il y aura une tentative
d’éviter un effondrement ».
Paradoxalement, a-t-il ajouté, «
cela donne à chacun des acteurs la
consolation de croire qu’ils pourront
faire beaucoup de mal à l’autre partie
sans risquer l’effondrement de cette
autre partie ». Par conséquent, la
relation entre Israël et l’AP se mue en
une sorte de remue-ménage, une chasse au
poulet, pour reprendre l’analogie
utilisée dans les discussions qui se
sont concentrées sur les manières dont
les Palestiniens pourraient forcer les
Israéliens à céder les premiers.
S’il existe une décision volontaire de
démantèlement de l’AP, « les
Palestiniens pourraient chercher à
forcer Israël soit à accroître son
occupation en revenant à la situation
existant avant 1994, soit à changer de
politique en négociant sérieusement la
fin de cette occupation, soit à se
retirer unilatéralement de la majeure
partie de la Cisjordanie », estime
le document final du centre.
Alternativement, dans l’éventualité d’un
effondrement résultant de pressions
externes ou internes, « cette
instabilité [sécuritaire] attendue
pourrait forcer Israël à réexaminer ses
options ».
Le rapport conclut que les conséquences
d’une cessation de l’AP dépendraient
largement de la question de savoir si
les diverses composantes de la direction
palestinienne vont rompre avec leurs
vieilles habitudes de planification
insuffisante, de manque de transparence,
de centralisation excessive, d’absence
de consultation des corps et de la
gratification immédiate des intérêts
personnels et sectaires. Il serait
préférable que la direction
palestinienne décide de restaurer le
statut de l’OLP et d’inclure les
mouvements islamiques dans ses rangs ;
de décentraliser la planification et le
management et de transférer ces
responsabilités à des organisations et
institutions civiles ; de mettre sur
pied un mécanisme de management
alternatif ; ou d’établir un
gouvernement en exil.
Le Hamas
serait le grand gagnant
Il y a certaines des démarches
préliminaires que les participants à
l’étude ont recommandées afin de mitiger
les répercussions sévères de
l’effondrement de l’AP. Parmi celles-ci,
les dommages économiques dans les
secteur public et privé ; une pauvreté
largement répandue ; une désintégration
sociale et politique ; la propagation de
maladies, avec des dégâts particuliers
pour la santé des enfants ; le pillage
des équipements d’infrastructure ; le
renforcement des tribus et des clans ;
l’élargissement de la faille entre la
bande de Gaza et la Cisjordanie ;
l’apparition de gangs armés et d’un
chaos sécuritaire ; et un retour à la
violence comme premier effet de la
lutte. Un résultat certain, c’est que le
Hamas, et en particulier le gouvernement
du Hamas à Gaza, en serait renforcé.
Parmi les participants à l’étude
figuraient des professeurs d’université,
des actuels et anciens ministres du
gouvernement, des législateurs de toutes
les factions, des hommes d’affaires et
des exécutifs d’organisations non
gouvernementales. Ils ont étudié l’effet
d’une cessation de l’AP sur la sécurité,
l’économie, les relations entre le Fatah
et le Hamas et la vie politique, la
santé, l’éducation, les infrastructures,
la téléphonie et les communications, les
gouvernements locaux, la justice et
l’avenir de la lutte pour
l’indépendance.
Le centre a également réalisé les
interviews de 180 Palestiniens afin
d’obtenir une meilleure compréhension
des attitudes prévalentes. En outre,
Shikaki a interviewé 12 Israéliens en
provenance de l’armée, de
l’administration civile, de diverses
factions politiques (mais pas de
l’extrême droite) et d’institutions de
recherche. Toutefois, Shikaki a refusé
de les citer nommément.
Publié sur
Haaretz le 21 mars 2014. Traduction
: JM Flémal.
Amira Hass est une
journaliste israélienne, travaillant
pour le journal Haaretz. Elle a été
pendant de longues années l'unique
journaliste à vivre à Gaza, et a
notamment écrit "Boire la mer à Gaza"
(Editions La Fabrique)
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