Opinion
Quels sont les buts de la mise en scène
de l'invasion de l'Irak par l'EIIL ?
Amin Hoteit

Lundi 30 juin 2014
1. Général Hoteit,
ne craignez-vous pas que Daech [EIIL :
État Islamique en Irak et au levant] se
déplace au Liban ?
Considérons les évènements tels qu’ils
sont et ne tombons pas dans les pièges
des médias occidentaux qui nous laissent
à penser que Daech est ce géant nanti
d’une force contre laquelle nous ne
pourrions résister. Ce n’est pas vrai.
2. Comment cela ?
Nous disposons de suffisamment de
renseignements sur les forces de cette
organisation. Les évènements qui se sont
succédés m’ont conduit à rédiger, il y a
quelques jours, un article que j’ai
intitulé « Mossoul : une mise en scène
daechienne » [1].
Car nous avons bel et bien assisté à une
mise en scène !
Savez-vous que 25 000 hommes de la
police et de l’armée de l’État irakien
étaient présents à Mossoul et que Daech
ne comptait que 500 combattants ? Par
conséquent, ce qui s’est passé à Mossoul
n’était pas une guerre, mais un cas de
trahison et de capitulation associé à
une guerre médiatique menée par les
chaines TV Al-Jazeera [qatarie] et Al-Arabiya
[saoudienne], lesquelles chaines ont
annoncé la capitulation de Mossoul six
heures avant sa chute réelle ! Ceci,
exactement comme elles avaient procédé
pour Bab al-aziziya en Libye, annonçant
la défaite de Mouammar Kadhafi trois
jours avant qu’il ne tombe et sa mort
trois jours avant qu’il ne soit
assassiné.
Il faut savoir qu’en cas de « guerre
psychologique », la règle veut qu’une
bonne partie de la population, plongée
dans le « brouillard médiatique »,
attend de savoir qui est le plus fort
pour décider de quel côté se ranger. Il
était donc évident que si les Irakiens
des régions à prédominance sunnite des
quatre provinces concernées [Ninawa,
Salah Ad Din, Diyala, et Al-Anbar]
avaient su que les forces attaquantes de
Daech ne comptaient que 500 éléments
face à 25 000, ils ne se seraient jamais
résignés à leur servir de « couveuse ».
Il fallait donc « exagérer » les forces
de Daech pour en arriver à la situation
souhaitée avant que le brouillard des
médias complices ne se dissipe.
Daech, en tant qu’organisation, a été
créée en Irak en 2004. Lorsque
l’« incendie arabe » a été déclenché en
Tunisie fin 2010, elle est restée
cantonnée en Irak où elle a fini par
compter, au grand maximum, 5200
éléments. Daech n’a été expédiée en
Syrie qu’après le premier véto
sino-russe d’Octobre 2011 et une fois
que « Jabhat al-Nosra », créée
spécialement pour alimenter la crise
syrienne, s’est révélée incapable de
renverser le gouvernement en place.
Il est de notoriété publique que Daech
et Jabhat al-Nosra sont liées à
l’organisation Al-Qaïda, elle-même créée
par l’administration américaine, de
l’aveu même de Mme Hilary Clinton [2].
C’est en Syrie que Daech est passée de
5200 à 7000 éléments en 2012, alors
qu’elle en compte aujourd’hui 15 000
contre 10 000 en Irak, d’où 25 000
combattants au total.
3. Et voilà que
Daech et Jabhat al-Nosra se battent en
Syrie !
Non… tout cela relève de la « tactique »
du maestro qui mène le jeu. Ainsi, nous
avons appris ce midi [25 Juin] qu’à Abu
Kamal [localité frontalière entre la
Syrie et l'Irak] Al-Nosra a été obligée
de déclarer son allégeance à Daech [3],
pour la doter d’une « puissance
cumulée » et faciliter sa besogne dans
les provinces irakiennes. Et ceci, parce
que le terrain principal de cette guerre
s’est déplacé en Irak.
4. Qui commande
Daech ?
C’est toujours le même maestro qui pense
que le « contrat sécuritaire
américano-irakien » qu’il a conçu [4][5],
fera de l’Irak une colonie américaine
qu’il dirigerait à distance depuis
Washington. Mais il se trouve que trois
ans après le retrait américain, l’Irak a
cherché sa route, dictée par sa
condition géopolitique ; autrement dit,
celle qui le mène à une certaine
harmonisation avec l’Iran et la Syrie.
Résultat : les Américains sont furieux
que l’Irak se rapproche de l’axe qui lui
résiste, et les Pays du Golfe sont
encore plus furieux contre Al-Maliki qui
refuse de se plier à leurs diktats.
Ce qui s’est passé en Irak, est la
conséquence de leur échec en Syrie ;
surtout qu’Obama a sonné le glas de la
prétendue opposition syrienne [sur CBS],
en admettant publiquement qu’« il n’y a
pas d’opposition syrienne capable de
renverser le Président Al-Assad » [6].
L’administration américaine a donc admis
son échec en Syrie, mais n’a pas
abandonné son plan initial. Nuance !
Elle s’est donc déplacée vers l’Irak où
ses intérêts se sont recoupés avec ceux
de l’Arabie saoudite d’une part, du
Qatar et de la Turquie d’autre part ;
lesquels ont mis leurs désaccords de
côté car ils se sont tous trouvés
confrontés à une même catastrophe et à
une même urgence : empêcher l’Irak de
rejoindre le front du refus et donc,
l’axe de la Résistance.
La question est : comment ont-ils
procédé pour l’en empêcher ? Al-Maliki
faisant partie de l’« Alliance nationale
irakienne » habilitée, selon la
Constitution, à former le gouvernement,
ils lui ont mis en scène l’invasion
daechienne ! Mais, aujourd’hui, nos
renseignements disent que plus du tiers
des sunnites de Mossoul et d’ailleurs se
sont retournés, en à peine 24 heures,
contre cette engeance qui a déplacé 750
000 des leurs ; ce qui correspond à un
sunnite sur sept, le nombre de sunnites
irakiens oscillant entre 5,5 et 6
millions.
Cette mise en scène daechienne a donc
deux raisons : l’échec subi en Syrie, et
aussi la lutte pour le pouvoir.
Terroriser Al-Maliki ainsi que les
membres de la coalition autorisée à
décider de la Constitution et du
Gouvernement, devrait permettre de
proposer un gouvernement qui négligerait
les résultats des dernières élections
législatives. D’où la proposition d’un
« Gouvernement de salut
national » présentée par John Kerry [7][8].
Ce que suppose la proposition de John
Kerry c’est, en effet, de mettre de côté
les résultats des dernières élections
législatives remportées par le bloc Al-Maliki
et de distribuer le pouvoir à égalité
entre les chiites, les sunnites et les
kurdes; donc, sur une base
confessionnelle et ethnique ! Ce qui
reviendrait à un tiers pour les chiites
[60 à 65% de la population], un tiers
pour les sunnites [15 à 18% de la
population], et un tiers pour les Kurdes
[<
20% de la population]. Résultat : les
deux-tiers sunnite et kurde sont aux
mains des Pays du Golfe et des USA. Et,
c’est le but de cette mise en scène en
Irak !
5. Mais alors,
comment devons-nous comprendre l’appel à
l’aide des États-Unis de la part d’Al-Maliki
[9] ?
C’était plutôt intelligent, étant donné
le « contrat sécuritaire
américano-irakien » qui stipule que si
l’un des deux pays [ici, il s’agit
évidemment de l’Irak] fait face à un
danger menaçant son existence, ses
frontières, son unité territoriale… à
lui de demander à l’autre partie son
aide dans les limites, le lieu et la
durée qu’il aura fixés. Or, Al-Maliki
sait parfaitement que les USA sont
derrière toute cette opération, comme il
sait que ni les Saoudiens, ni les Turcs
n’auraient jamais osé encourager
l’invasion daechienne sans que la
décision, et non simplement l’accord, ne
soit venus des États-Unis. Il les a donc
appelés à l’aide !
Dans le cas où les États-Unis se
seraient décidés à appliquer les termes
de l’accord sécuritaire, ils envoyaient
leur aviation. À ce propos, je vous fais
part d’un sujet que je divulgue pour la
première fois : lorsqu’Al-Maliki a parlé
de bombardements US sur des centres de
Daech dans la région d’Al-Anbar, ce
n’était pas vrai ! Mais cela a obligé
les États-Unis à démentir et a permis au
Chef de l’alliance nationale irakienne,
Ibrahim al-Jaafari, de rétorquer aux
Américains qu’ils n’avaient rédigé leur
accord sécuritaire bilatéral que dans
leurs propres intérêts, puisqu’ils se
sont abstenus de l’appliquer à la
première occasion, ce qui autoriserait
désormais l’Irak à le réviser et à faire
face, par lui-même, aux dangers qui le
menacent. D’où la « fatoua » prononcée
aussi bien par les autorités religieuses
chiites et sunnites contre cette mise en
scène « dirigée pas les Américains en
association avec la Turquie, le Qatar et
l’Arabie saoudite »…
En pleine interview, tombe la nouvelle
d’une explosion lors d'une perquisition
dans un hôtel à Beyrouth : 10 blessés
[10] ; ce qui ramène le sujet vers la
première question de cet extrait.
6. Général Hoteit,
ne craignez-vous pas que DAECH se
déplace au Liban ?
La réponse du Général Hoteit à ces actes
terroristes qui frappent le Liban
revient à dire qu’au Liban le système de
Sécurité prend des coups mais ne cède
pas ! Réponse développée, par ailleurs,
dans un article du 26 Juin, dont voici
les points essentiels [NdT].
-
L’occident tente de briser l’axe de
la Résistance depuis l’an 2000. Il a
commencé avec la Résolution 1559,
est passé à la guerre de 2006, puis
à la provocation de la discorde au
Liban en 2008 et en Iran en 2009,
pour ensuite s’attaquer à la Syrie
en 2011, avant d’en arriver à
l’Irak aujourd’hui ; dernière carte
américano- sioniste… Par conséquent,
nous pouvons nous demander si le
passage à l’Irak, après fermeture de
la frontière libano-syrienne, est la
raison qui éloigne le Liban du feu
de l’incendie. Sinon, est-il destiné
à jouer un autre rôle?
-
Maintenant que l'Irak est devenu le
théâtre principal de l’agression,
nous pensons que l’Occident s’est
légèrement mis en retrait de la
Syrie devenue un théâtre auxiliaire,
tandis que le Liban est désormais
« le théâtre de pression » sur les
composantes de l’axe de la
Résistance en général, et sur le
Hezbollah en particulier. Mais le
problème de l’Occident réside dans
son incapacité à pénétrer la société
de la Résistance vu le bouclier de
sécurité qui s’est formé autour
d’elle. C’est pourquoi de nombreuses
tentatives terroristes ont échoué
les unes après les autres… [Celle-ci
est passée].
-
Certes, les tentatives se répètent
mais nous notons une nette baisse
des niveaux de préparation et
d’exécution, d’autant plus qu’il
semble que la fabrication soit
devenue locale depuis que les
terroristes ont été privés de leurs
« usines de la mort » dans le
Qalamoun.
-
À ce
stade, nous pouvons dire que l’échec
de nombreuses autres tentatives
terroristes est dû à l’incessante
collaboration entre les institutions
officielles de la Sécurité et de
l’Armée libanaises d’une part, et
les composantes de la société civile
de la Résistance et des citoyens
d'autre part. Ceci, sans oublier la
complémentarité avec l'Armée arabe
syrienne de l'autre côté de la
frontière. Tant que cette
coopération se poursuivra, la
sécurité du Liban ne cèdera pas,
malgré les secousses causées par une
attaque terroriste ici ou là pour
tenter de mettre fin à l'équation
libanaise en vigueur : « Peuple,
Armée, Résistance ».
7. Et que
pensez-vous du danger qui guetterait la
Jordanie ?
Daech a communiqué sa
carte géographique qui correspond, en
réalité, à un avertissement américain
adressé à cinq pays, plus un sixième
pour mystification !
Cette carte inclut
l’Irak et le Koweït à l’Est, la Syrie et
la Jordanie au centre, le liban et la
Palestine occupée à l’Ouest. Bien
évidemment, Israël n’est pas concerné
par Daech, car le haut commandement de
Daech est américain et soucieux de ses
intérêts. Par conséquent, ni le
commandant, ni Daech ne porteront
atteinte à Israël.
oweit a été ajouté à
la carte, car certaines informations ont
fait état de ses tentatives de retour
vers la Syrie et l’Iran depuis « l’échec
du projet ». L’avertissement est venu
lui dire : ne bouge pas !
La Jordanie, qui a
été la carte maîtresse de la guerre
contre la Syrie tout le temps où Bandar
Bin Sultan était à l’œuvre, hésite à son
tour. Elle a reçu l’avertissement [mais
c’est une autre histoire, NdT]
Le Liban est sur la
carte depuis le début. Ceux qui
prétendent le contraire doivent avoir
des informations directes à partir des
chambres opératoires dirigées par les
États-Unis, les sionistes, les
jordaniens ou les Pays du Golfe, que
nous n’avons pas !
8. Finalement, et
vu le scénario que vous venez de nous
décrire, ne craignez-vous pas une guerre
régionale ?
Une guerre
traditionnelle, dont Israël ferait
partie en envoyant ses propres soldats
se battre sur tous les fronts n’est pas
à l’horizon, ni au Liban, ni au Golan,
ni en Iran. Si une telle guerre était
possible, Israël n’aurait pas attendu 8
ans pour lancer sa guerre !
Dr Amin Hoteit
26/06/2014
Sources : Synthèse
de 2 interventions
25/06/2014 : Vidéo TV
libanaise ANB
https://www.youtube.com/watch?v=-KKo4rS2MOI&feature=youtu.be
26/06/ 2014 : Article Al-Binaa
http://al-binaa.com/albinaa/?article=7961
Transcription et
Traduction par Mouna Alno-Nakhal
Notes :
[1] Mossoul : une
mise en scène daechienne
http://thawra.alwehda.gov.sy/_kuttab_a.asp?FileName=82199896920140616012105
[2] Hillary Clinton : Nous avons crée
Al-Qaïda, Nous avons financé les
Moudjahidin
http://www.dailymotion.com/video/xsgyjs_hillary-clinton-nous-avons-cree-al-qaida-nous-avons-finance-les-moudjahidin_news
[3] Al-Qaïda et
l’EIIL fusionnent à la frontière
syro-irakienne
http://rpdefense.over-blog.com/2014/06/al-qaida-et-l-eiil-fusionnent-a-la-frontiere-syro-irakienne.html
[4]
Les accords du 17 novembre 2008
établissant le cadre juridique de la
présence américaine en Irak et de la
coopération entre les deux États
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/afdi_00663085_
2009_num_55_1_4063
[5] L’escroquerie du contrat sécuritaire
américano-irakien
http://www.info-palestine.eu/spip.php?article5501
[6] Obama: Notion that Syrian opposition
could overthrow Assad a “fantasy”
https://www.youtube.com/watchfeature=player_embedded&v=4BwgRgRT4MY
Extrait traduit :
« Il n'y a pas d’opposition syrienne qui
soit en mesure de vaincre Al-Assad… Je
pense que l’idée selon laquelle il y
aurait actuellement une force
d’opposition modérée capable de vaincre
Al-Assad n'est tout simplement pas
vraie… Nous avons passé beaucoup de
temps à essayer de travailler avec
l’opposition modérée en Syrie… l’idée
qu'ils puissent tout à coup renverser
non seulement Assad, mais aussi les
impitoyables djihadistes hautement
entraînés, si nous envoyons quelques
bras, relève du fantasme… Je pense qu'il
est très important que le peuple
américain, et sans doute encore plus
important, que Washington et les
services de presse comprennent cela ! »
[7]Iraq crisis: Kerry in Irbil for talks
as crisis rages
http://www.bbc.com/news/world-middle-east-27991872
[8]Kerry calls for inclusive government
in Iraq
https://news.yahoo.com/video/kerry-calls-inclusive-government-iraq-172247668.html
[9]L'Irak appelle les Etats-Unis à
l'aide
http://www.europe1.fr/International/L-Irak-appelle-les-Etats-Unis-a-l-aide-2156539/#
[10]
De nouveau, le carnage évité de justesse
à Beyrouth
http://www.lorientlejour.com/article/873450/une-cellule-terroriste-demantelee-dans-le-nord-du-liban.html
Le Docteur
Amin Hoteit
est libanais,
analyste politique, expert en stratégie
militaire, et Général de brigade à la
retraite.
Le sommaire de Mouna Alna-Nakhal
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