Réflexions sur le péril démographique
musulman russe
Alexandre Latsa
Photo: RIA
Novosti
Mercredi 5 février 2014
Nombre de
commentateurs souvent proche de certains
milieux d’extrême droite européens ou
néoconservateurs américains mettent en
avant comme faiblesse fatale pour la
Russie le fait que le pays devrait
rapidement devenir un Etat
majoritairement musulman. Sa population
comprendrait déjà de 13 % à 15 % de
musulmans (soit 19 à 22 millions de
personnes) et ce nombre devrait
rapidement grossir puisque, toujours
selon ces experts américains
principalement, les femmes du Caucase
musulman auraient
10 enfants !
Pour d’autres analystes
journalistiques, la Russie
comprendrait 30 à 40
millions de musulmans, soit jusqu’à 25 %
de la population de Russie, condamnant
de façon irréversible le pays à devenir
un califat. Pour eux à l’horizon 2050 la
Russie devrait se transformer en une
sorte de Russabia, pendant russe de l’Eurabia
de l’Ouest du continent.
Ces théories se sont
brusquement développées lorsque durant
les 2 ou3 dernières années sont apparues
des vidéos sur les prières de rue de la
communauté musulmane à Moscou qui selon
certains sites laïcistes «
submergeraient Moscou »
comme Paris ou d’autres villes d’Europe.
En réalité il n’en est
rien.
Ces prières ont lieu une
fois par an dans la capitale de Russie
et contrairement à la situation dans
d’autres pays européens, elles sont
organisées volontairement « par » les
autorités municipales russes « pour »
les croyants musulmans. La capitale de
Russie comprend en effet quatre mosquées
pour les quelques deux millions de
musulmans que la ville connaît et dont
la grande majorité sont issus d’Asie
centrale mais travaillent dans la
capitale. Il faut noter que les
musulmans ne sont pas les seuls à être «
mal logés » puisque
selon Alexandre Boroda de
la fédération des juifs de Russie,
500.000 juifs vivraient à Moscou alors
que la ville ne
comprendrait actuellement
que quatre synagogues.
D’un point de vue des
évolutions démographiques internes à la
fédération de Russie, force est de
constater que les chiffres et les faits
vont aussi pour l’instant à l’encontre
de ces prévisions catastrophistes.
Le recensement de 2002
annonçait le chiffre de
14,64 millions de musulmans en Russie
soit un peu moins de
10 % de la population du
pays à cette époque. Selon
une analyse du Pew Research Center,
un think-tank américain spécialisé sur
les questions démographiques et
sociales, on serait arrivé à 16,4
millions en 2010. Toujours selon ce
think-tank, en 2030 on devrait arriver à
18,6 millions de musulmans en Russie
(sur une population de
plausiblement 150 millions
soit 12 % de la population totale du
pays) mais cela seulement si leur
progression se maintient à 0,6 % / an
selon Didier Chaudet. La
population musulmane passerait donc de
9% de la totalité de la population du
pays en 2002 à autour de 12 % en 2030.
Qu’en est-il des chiffres
dont on dispose ?
Le district du Caucase du
Nord qui représente 6,7 % de la
population de Russie n’a « produit » (en
2013) « que » 8,7 % des naissances du
pays, incluant les minorités russes
présentes dans cette région. Les trois
républiques les « moins russes» du grand
Caucase Nord que sont la Tchétchénie, le
Daghestan et l’Ingouchie (qui
comprennent à elle trois moins de 3 % de
Russes ethniques) ont connu à elle trois
98.801 naissances en 2013 (contre 99.909
en 2012 soit une baisse de 1,7 %) c’est
à dire 5,5 % des naissances de toute la
fédération de Russie, un taux presque
identique à celui de 2006 comme on peut
le constater
ici.
L’ensemble de toutes les
républiques musulmanes de Russie, du
Caucase (Tchétchénie, Daguestan,
Ingouchie, Adygué, Kabardino-Balkarie et
Karatchaïévo-Tcherkessie) ainsi que de
la Volga (Tatarstan et Bachokorstan) ont
connu cette année 286.402 naissances
pour 14.443.611 millions d’habitants,
soit un total de
15 % du total des
naissances du pays pour 13,2 % de la
population de la fédération de Russie.
Il ne faut pas cependant
pas oublier que nombre de ces
républiques « musulmanes » ont en outre
de fortes minorités russes (36 % au
Bachokorstan, 33 % en Karatchaïévo-Tcherkessie,
30 % au Tatarstan, 25 % en
Kabardino-Balkarie) voir une majorité
russe comme c’est le cas en Adygué avec
63 % de russes.
Bien sûr, nombre de
citoyens de ces républiques sont à
Moscou et aussi de façon moindre à
Saint-Pétersbourg, ce qui contrebalance
un peu la tendance. Mais en même temps
ce ne sont pas les minorités tatares ou
caucasiennes moscovites (russifiées et
urbanisées) qui ont dans leur intérêt de
bâtir un nouveau califat ou de faire
sécession bien au contraire.
En effet selon une étude
de Gallup de
2007 49 % des Russes
musulmans ne priaient jamais (66 % pour
les jeunes générations), 46 % ne
sauraient pas prononcer la profession de
foi musulmane, 50 % boiraient de
l'alcool et 27 % mangeraient du porc.
Nulle surprise dés lors que selon les
derniers sondages de 2013
« seulement » 7 % de la population se
déclare musulmane (contre 4 % en 2002 et
6 % en 2007) pendant que 68% des sondés
se déclarent eux orthodoxes contre 50 %
en 2002.
Ce retour en religion des
Russiens et des habitants de la Russie
est sans doute l’une des principales
raisons du renouveau démographique russe
et de la hausse du nombre de naissances
ces dernières années, avec la forte
propagande d’Etat entamée en 2005 et
évidemment la hausse continue de
l’amélioration des conditions de vie,
qui incluent l’obtention des primes à la
naissance.
Par conséquent et à ce
jour, une Russabia ne se profile
vraisemblablement pas d’un point de vue
démographique interne et sans une
potentielle immigration extra-russienne
soutenue comme cela pourrait cependant
être le cas en provenance d’Asie
centrale, comme abordé
ici et
là.
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