Opinion
La visite d’Etat de Hollande à
Washington:
la France adhère à la guerre
néocoloniale mondiale
Alex Lantier
Vendredi 14 février 2014
Hier a marqué la
fin d’une visite d’Etat de trois jours
du président français François Hollande
à Washington, DC. Cette visite était
censée représenter l’enterrement
définitif des conflits diplomatiques qui
avaient éclaté il y a plus d’une
décennie entre les Etats-Unis et la
France lorsque le président de droite,
Jacques Chirac, s’était opposé en 2003 à
l’invasion de l’Irak par le gouvernement
Bush.
Dans une tribune
commune publiée lundi, en début de
visite, par le Washington Post et
Le Monde, Obama et Hollande ont
clairement mis en évidence une nouvelle
alliance franco-américaine.
Ils écrivent: « Il
y a dix ans à peine, peu nombreux
étaient ceux qui pensaient que nos deux
pays allaient travailler ensemble aussi
étroitement dans tant de domaines. Mais
notre alliance s’est transformée au
cours des dernières années. Depuis le
retour de la France dans la structure de
commandement de l’OTAN, il y a quatre
ans, nous avons développé notre
coopération à tous les niveaux dans le
cadre de notre engagement à renforcer
constamment le partenariat entre l’OTAN
et l’Union européenne. Nous sommes deux
nations souveraines et indépendantes qui
prenons nos décisions en nous fondant
sur nos intérêts nationaux respectifs.
Mais c'est précisément parce que nos
intérêts et nos valeurs sont si proches
que nous avons été en mesure de faire
franchir un nouveau cap à notre
alliance. »
Par cette
déclaration, le Parti socialiste (PS) de
Hollande adhère en tant que partenaire
minoritaire au programme américain de
domination mondiale, lancé sous Bush et
qui s 'est poursuivi sous Obama après
qu'il eut succédé à Bush en janvier
2009. Au mépris à la fois de l'opinion
publique et des traditions de sa propre
diplomatie impérialiste d'après la
Deuxième Guerre mondiale, Paris est en
train de renoncer à toute prétention de
vouloir poursuivre une politique
étrangère indépendante de Washington.
La Stratégie
nationale de sécurité des Etats-Unis de
2002 qui visait à justifier l’agression
américaine contre l’Irak, prônait une
politique « fondée sur une approche très
américaine de l’action internationale,
synthèse de nos valeurs et des intérêts
de notre pays. »
Actuellement, Obama
et Hollande citent des « intérêts et des
valeurs » partagés pour s’engager non
pas dans la conquête d’un pays mais dans
un nouveau partage néocolonial de la
planète entière par l’impérialisme.
Washington est en train d’aider Paris
dans ses guerres au Mali et en
République centrafricaine tandis que
Paris promet de renforcer le soutien au
« pivot vers l’Asie » d’Obama et qui
vise la Chine. Tous deux appuient la
campagne menée par l’Allemagne pour
isoler et découper la Russie, à
commencer par les actuelles
protestations de rue de l’extrême-droite
réclamant un changement de régime en
Ukraine.
Au mois de
septembre, la France était la seule
puissance européenne prête à participer
à une guerre agressive que les
Etats-Unis ont presque lancée contre la
Syrie, et qui aurait pu entraîner un
conflit avec les alliés de la Syrie,
l'Iran et la Russie. Hollande avait fait
pression pour la guerre après que le
parlement britannique avait voté contre
et en dépit d'une massive opposition
populaire en France. Ceci avait valu à
Hollande d'être comparé à l'ancien
premier ministre britannique, Tony
Blair, qui avait été ridiculisé et
traité de << caniche >> de Bush pour son
soutien servile à la guerre en Irak.
Lors de leur
conférence de presse conjointe, mardi à
Washington, Obama a félicité Hollande en
disant : « Du Mali et de la République
centrafricaine en passant par la Syrie
et l’Iran, vous avez fait preuve de
courage et de détermination et je veux
vous remercier pour votre leadership et
votre partenariat avec les Etats-Unis. »
Il a aussi annoncé une aide accrue à
l’opposition islamiste liée à al Qaïda
en Syrie.
Obama a aussi fait
l'éloge de Hollande, qui vient tout
juste d’annoncer un allègement fiscal de
30 milliards d’euros pour les patrons,
impliquant des coupes dans les dépenses
sociales, pour le lancement de nouveaux
pourparlers en vue d’un nouvel accord de
libre-échange. Il a dit qu’ils avaient
convenu de poursuivre un partenariat
transatlantique TTIP (Partenariat
transatlantique de commerce et
d’investissement), en ajoutant vouloir
remercier le président Hollande pour son
engagement sur ces négociations.
Hollande s’est
solidarisé avec le programme de guerre
et d’austérité défini par Obama, dont il
a salué l’élection comme la preuve que
l’Amérique progressait une fois de plus.
Il a ajouté que l’Amérique était capable
de rendre quelque chose possible, de
faire progresser les choses.
La déclaration par
Hollande que ce programme conjoint
d’austérité et de guerre représente un «
progrès » est un mensonge absurde. Paris
a réagi à la crise de sa propre position
dans le monde – sa perte de
compétitivité au profit de l’Allemagne,
la diminution de son influence
économique dans ses anciennes colonies
et l’effondrement de son économie minée
par de dures coupes sociale – par un
retour en arrière, en empruntant la voie
d’une politique mondiale du pillage. La
crise de l’ordre impérialiste mondial a
irrévocablement ébranlé l’équilibre de
classe qui existait en France durant la
période qui a suivi la Deuxième Guerre
mondiale.
Le commentaire
conjoint de Hollande et d’Obama souligne
l’importance considérable de la décision
prise en 2009 par le prédécesseur de
Hollande, le président de droite,
Nicolas Sarkozy, de réintégrer la France
dans l’OTAN après 43 ans d’absence du
commandement militaire de l’OTAN. Cette
décision d'intégration de la politique
étrangère française et américaine,
entretenue par Hollande et
silencieusement soutenue par ses alliés,
le Parti communiste français (PCF) et le
Nouveau parti anticapitaliste de
pseudo-gauche (NPA), a des conséquences
politiques d’une portée considérable.
L’écart
traditionnel qui existe entre la
politique étrangère américaine et
française, tel que l’avait formulée le
général de Gaulle, est né de la crise
révolutionnaire de la France
d’après-guerre. De Gaulle et le PCF,
avaient tous deux cherché à réprimer le
sentiment anticapitaliste au sein de la
classe ouvrière et qui avait éclaté
après l’effondrement en France du régime
de collaboration avec les nazis. De
Gaulle, qui dirigeait la majorité des
forces droitières dans la Résistance et
le reste de l’armée coloniale française,
comptait sur le soutien du PCF pour
fonder un nouveau régime capitaliste et
garder la mainmise sur les colonies
françaises.
Cette stratégie et
de Gaulle personnellement furent
toutefois confrontés à une opposition
émanant de puissantes forces à
Washington. L’impérialisme américain
s’opposait au PCF et avait ses propres
vues sur les colonies de la France. De
Gaulle craignait que si Washington le
mettait à l’écart en gardant un
responsable de Vichy à la tête de
l’Etat, la colère populaire pourrait
s’avérer impossible à contrôler.
La contrepartie
extérieure à son exercice d’équilibre
entre des éléments droitiers et le PCF
fut la poursuite, au sein de l’OTAN,
d’une politique étrangère indépendante,
dont des ouvertures restreintes vers
Moscou et des efforts pour empêcher que
les conflits entre Washington et Moscou
ne s’exacerbent trop. En 1945, de Gaulle
préconisa « une politique française
d’équilibre entre deux très grandes
puissances, politique que je crois
absolument nécessaire pour l’intérêt du
pays et même pour celui de la paix. »
De Gaulle était un
impérialiste impitoyable, et certaines
de ses idées préfiguraient la résurgence
mondiale de l'impérialisme aujourd'hui.
Méditant la défaite de son gouvernement
lors de la guerre d'Algérie et sa
décision de permettre un référendum en
1962 qui mènerait à l'indépendance de
l'Algérie, il écrit dans ses Mémoires
: << Tout nous commande de reparaître au
Caire, à Damas, à Amman, à Bagdad, à
Khartoum, comme nous sommes restés à
Beyrouth. >>
Les concessions
qu’il fit à la classe ouvrière et les
conflits entre les intérêts français et
américains l’obligèrent toutefois à
poursuivre une politique indépendante de
Washington, notamment dans le contexte
de tensions franco-américaines
grandissantes dans les années 1960. De
hauts responsables français ainsi que
des publications ont accusé la CIA
d’avoir encouragé le putsch avorté de
1961 contre de Gaulle, qui visait
l’indépendance algérienne et qui était
conduit par l’ancien responsable de
l’OTAN, le général Maurice Challe, dans
le but de maintenir l’Algérie française
et d’empêcher qu’elle ne tombe sous
influence soviétique.
Ceci, ainsi que
l’opposition américaine au programme
nucléaire français, amena de Gaulle à
retirer en 1966 la France des
commandements intégrés de l’OTAN et à
restreindre les opérations de
renseignement en France.
Cette politique
s'est pourtant effondrée une fois pour
toute après l'éclatement de l'Union
soviétique et avec la crise grandissante
du capitalisme européen. Les concessions
sociales faites à la classe ouvrière qui
avaient formé la base de la
collaboration du PCF avec de Gaulle
ainsi que les limitations militaires
imposées à l'impérialisme européen du
fait de l'existence de l'URSS
disparaissent. Un nouveau conflit
révolutionnaire émerge entre la classe
ouvrière et une classe dirigeante
déterminée à préserver sa richesse au
moyen d'une régression sociale sur le
plan intérieur et de guerres prédatrices
à l'extérieur.
Le virage à droite
brutal des partis bourgeois de « gauche
» en faveur d’une politique de guerre
d'agression irresponsable est un signe
sans équivoque de la crise
révolutionnaire qui est en train
d’émerger et du fossé qui est en train
de se creuser entre la classe ouvrière
et tous les représentants de la classe
capitaliste.
Le PCF et le NPA
ont utilisé leur soutien à l’opposition
syrienne, soutien qui a été cyniquement
justifié par des motifs « de droits
humanitaires », pour se ranger derrière
la politique irresponsable du Parti
socialiste au péril d’une guerre avec la
Syrie, l’Iran et même avec la Russie et
la Chine. Ils ont préféré ignorer la
divulgation des opérations d’espionnage
de masse perpétrées tant par les
services de renseignement américains que
français, et que l’ancien agent de la
NSA, le lanceur d’alerte Edward Snowden,
a révélées. Ils sont complices de tous
les crimes qui sont en train d’être
planifiés à Washington, Paris et par
tous les autres alliés impérialistes des
Etats-Unis.
(Article original
paru le 13 février 2014)
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Publié le 16 février 2014 avec l'aimable
autorisation du WSWS
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