Nouvelles d'Orient
Egypte, la fin de l’alliance du
30 juin ?
Alain Gresh
Alain
Gresh - Photo: D.R.
Dimanche 2 mars 2014
Parfois, on peut en rire. L’armée
égyptienne ne se contente pas de
conduire les autobus de transport public
du Caire pour casser la grève des
chauffeurs, elle s’investit à fond dans
la recherche scientifique et technique
et réalise des avancées qui stupéfient
le monde. Ainsi, un porte-parole de
l’armée a déclaré que les services de
recherche de celle-ci avaient réalisé
une percée dans la lutte contre le sida
et l’hépatite C (Pour une revue
détaillée de cette « percée
scientifique » et des pitreries du
porte-parole de l’armée, lire
Egyptian chronique, 28 février).
L’officier responsable de cette
découverte affirme même qu’il obtient un
taux de 100 % de réussite avec son
traitement et a déclaré : « Nous
avons vaincu le sida et j’ai enlevé le
sida à un patient et lui l’ai rendu sous
forme de kofta (boulette de viande). »
Une partie de la presse a qualifié cette
farce de « koftagate ». Et
le porte-parole de la présidence a
dû prendre ses distances (à partir des
Etats-Unis il est vrai). Sur les
développements de ce feuilleton, lire
aussi la suite de
Egyptian Chronicle du 1er mars, avec
des extraits du show hilarant de
Bassem Youssef.
Mais le plus souvent on en pleure. A
la mi-février, un groupe de jeunes
touristes égyptiens avaient été pris
dans le froid et la tempête à l’occasion
d’une visite au monastère de
Sainte-Catherine, dans le Sinaï. Ils ont
tenté de faire appel à la police pour
les sauver, mais, après avoir appris
qu’ils étaient égyptiens et non
étrangers, celle-ci a dit qu’il leur
fallait une autorisation. Quand,
finalement, l’armée est intervenue,
quatre des jeunes gens étaient morts
(lire Hany El-Asmar and Osman El
Sharnoubi, « Outrage,
accusations of neglect, confusion reign
over deaths of St. Catherine hivers »,
AhramOnline, 19 février). Et pour
ajouter la calomnie au deuil des
familles et des proches, les médias en
ligne favorables à l’armée ont bruissé
de rumeurs selon lesquelles ces jeunes
appartenaient à un groupe des Frères
musulmans engagé dans une opération
terroriste visant à provoquer et
discréditer l’armée (Egyptian
Chronicles, 19 février) !
Il est vrai que rien n’effraie les
médias gouvernementaux et les médias
privés dans une campagne délirante de
soutien aux militaires et
d’identification de toute forme
d’opposition à l’« organisation
terroriste des Frères musulmans ».
Pourtant, huit mois après
les immenses manifestations hostiles au
président Mohammed Morsi, le 30 juin
dernier, et le coup d’Etat du 3 juillet
qui a suivi, un semblant de raison
semble revenir parmi les militants et
les intellectuels qui, obnubilés par
leur haine des Frères musulmans, ne
voyaient pas le retour de l’ancien
régime, les arrestations arbitraires
qui frappent nombre de militants de
gauche, l’usage de la torture, la
volonté de revanche de l’appareil
policier.
Le célèbre comique Bassem Youssef,
virulent critique des Frères musulmans
mais aussi de l’armée, et dont le
spectacle avait été interdit, a repris
son émission. Et sa côte de popularité
remonte sensiblement (« Egyptian
satirist Bassem Youssef popularité
rebonds », Egypt.com, 24 février ;
lire aussi son entretien avec
l’excellent site Madamasr, une des rares
voix libres en Egypte : « Breakfast
with Mada : Bassem Youssef on cracking
thé walls », 28 février).
Lire « En
Egypte, la révolution à l’ombre des
militaires », Le Monde
diplomatique, août 2013. Il est
vrai que la nature des transformations
en Egypte apparait de plus en plus
clairement et de récentes décisions
politiques confirment le retour à
l’ancien régime. Le président (potiche)
a reconstitué le Conseil supérieur des
forces armées (CSFA) de sinistre
mémoire, celui qui a dirigé l’Egypte
entre la chute de Moubarak en février
2011 et la victoire de Morsi à
l’élection présidentielle de juin 2012 ;
celui qui
a fait tirer sur les coptes à Maspero
et sur les jeunes de la révolution en
novembre-décembre 2011. Pour la première
fois, il n’est plus présidé par le
président de la République mais par le
ministre de la défense, le maréchal (qui
n’a jamais participé à aucune bataille
ni guerre) Abdel Fatah El-Sissi.
Celui-ci, maître de toutes les
décisions, hésite encore sur son avenir,
craignant, s’il se présente à l’élection
présidentielle (prévue en avril) de
perdre une partie de son emprise sur
l’armée, la plus influente institution
du pays (lire Dina Ezzat, « El-Sisi’s
silence provokes questions about
expected presidential run »,
Ahramonline, 1er mars 2014). Ce que
révèle aussi l’article, ce sont les
discussions entre Sissi et l’Arabie
saoudite (et les Emirats arabes unis) :
le maréchal ne veut pas prendre la
décision de se porter candidat à la
présidentielle sans un feu vert de
Riyad. Autant pour ceux qui voient en
Sissi un nouveau Nasser (j’avais écrit
dans l’article du mois d’août 2013 cité
plus haut que le coup d’Etat du
3 juillet avait été planifié avec Riyad,
qui avait promis son appui financier).
Dans ce contexte, le remaniement
ministériel marque la fin de l’alliance
entre les forces libérales et de gauche
d’un côté, l’ancien régime, la sécurité
d’Etat et l’armée de l’autre, telle
qu’elle avait été scellée le 30 juin
2013 (Ayat Al-Tawy, « Egypt
cabinet reshuffle hints at “dissolution
of 30 June alliance” », Ahramonline,
1er mars). Les premiers ont été éliminés
du gouvernement et le nouveau premier
ministre Ibrahim Mehleb a été un membre
dirigeant du Parti national démocratique
(PND) du président Moubarak. Le ministre
de l’intérieur, en charge de la
répression, a retrouvé son poste malgré
de nombreuses protestations. Et Sharaf
El-Din celui de ministre de
l’information ; elle est une autre
figure de l’ancien régime, responsable
de l’incroyable soumission des médias en
Egypte. Parmi les nouveaux venus
(nouvelles, faudrait-il dire), Nahed Al-Ashry,
ministre du travail, qui s’est
distinguée pour avoir pris position pour
les patrons dans les négociations
salariales (« New
Cabinet Sworn In », Madamasr,
1er mars).
Avec la rupture de l’alliance du
30 juin, avec le développement d’une
nouvelle vague de mouvements sociaux,
s’ouvre une nouvelle page de l’histoire
mouvementée et encore inachevée de la
révolution.
Les
Etats-Unis face à l’islam
politique
Université populaire, samedi
8 mars 2014
Séance
1 (10h30-12h30)
Dialogue introductif,
avec Jean-Paul Chagnollaud,
professeur des Universités,
directeur de l’iReMMO et de
la revue Confluence
Méditerranée, et Alain Gresh,
journaliste au Monde
diplomatique et
animateur du blog Nouvelles
d’Orient.
Séance
2 (14h-16h)
Le tournant de la guerre
en Afghanistan, avec Gilles
Donrrosoro, professeur en
science politique à
l’Université Paris I.
Séance
3 (16h-18h)
Positionnement politique
des Etats-Unis face aux
gouvernements post révoltes
arabes, avec Karim Emile
Bitar, directeur de
recherche à l’IRIS.
Contact et inscription :
universite-populaire@iremmo.org
Participation : 20 euros
pour la journée (12 euros
pour les étudiants et les
demandeurs d’emploi) ; carte
Intégrale 145/90€
Lieu : iReMMO 5, rue
Basse des Carmes, 75005
Paris (M° Maubert Mutualité)
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