Monde
Algérie : les caricaturistes et le hirak
Ahmed Bensaada
Vendredi 31 mai 2019
Dans un article dithyrambique publié le
2 mai dernier dans les colonnes de
l’Humanité, la journaliste Rosa
Moussaoui a encensé certains
caricaturistes algériens, les plus en
vue dans l’effervescence
« révolutionnaire » du moment. « Crayon
au poing, ils brisent tous les tabous,
franchissent toutes les lignes rouges
», nous dit-elle[1].
Et elle ne pouvait si bien dire. Ils en
ont franchi des lignes rouges, mais pas
uniquement celles auxquelles elle fait
référence dans son panégyrique.
Situons tout
d’abord le personnage de l’auteure de
l’article. Rosa Moussaoui est reporter
(souvent affublée de l’épithète
« grand ») à l’Humanité. Très active
depuis le début du mouvement de
contestation, elle suit de sa prose les
évènements politiques qui animent la
scène politique algérienne. Prose qui
trahit parfois un alignement idéologique
tendancieux comme on peut s’en rendre
compte à la lecture de ce titre : « En
Kabylie, un peuple debout pour
ressusciter le pays »[2].
D’ailleurs, n’avait-elle pas affiché son
soutien au MAK (Mouvement pour
l'Autonomie de la Kabylie) lors de la
polémique entourant la participation de
ce mouvement à la fête de l’Humanité en
2017[3]?
La « grand »
reporter nous présente donc trois
caricaturistes algériens qui,
précise-t-elle, « tiennent la
chronique d’une joyeuse révolution
». Il s’agit de Ali Dilem, Hicham Baba
Ahmed, alias Le Hic, et Ghilas Aïnouche.
Moussaoui et ces
trois dessinateurs ont un trait commun :
celui de parler au nom du « peuple »,
tout en galvaudant ce noble concept.
Voici trois
caricatures qui illustrent ce propos :
Premièrement, ils
utilisent la notion de « peuple » comme
s’il s’agissait d’un bloc monolithique,
sphérique, uniforme et lisse.
Ensuite, ils se
donnent la liberté de parler au nom de
ce « peuple », comme s’ils en étaient
les porte-paroles officiels, mandatés
par je ne sais quelle institution
fictive.
Finalement, ils
utilisent la voix de ce « peuple » pour
faire passer leurs idées personnelles ou
l’idéologie de leur groupe
d’appartenance.
Cette légèreté,
voire frivolité, avec laquelle ces
caricaturistes s’approprient la voix
d’une nation soulèvent de nombreuses
questions importantes concernant le
hirak.
Qui compte le
nombre de manifestants? Qui recense les
messages scandés ou écrits sur les
banderoles ou pancartes? À partir de
quel nombre de slogans le message
devient celui du peuple? Est-ce qu’un
slogan prononcé le vendredi équivaut à
celui scandé un autre jour de la
semaine? Est-ce qu’un slogan véhiculé
par les médias sociaux équivaut à celui
porté à bout de bras dans la rue? Est-ce
que le message d’une pancarte bien
visible sur les escaliers de la Grande
Poste à Alger est équivalent à un autre
exhibé dans une petite ville de
province? Lorsque certaines chaînes de
télévision affirment que le « peuple »
veut ceci ou cela, sur quel travail
scientifique se sont-elles basées?
Il est clair qu’au
début du soulèvement populaire, il n’y
avait aucune d’ambiguïté sur la demande
du peuple : « Pas de 5e
mandat ». L’adhésion de la population
était unanime car la demande était
simple, compréhensible et juste.
Mais à mesure que
l’inflation des demandes a progressé,
les réponses se sont multipliées et
l’unicité des voies de sortie de crise a
disparu.
Prenons pour
exemple la position actuelle des
citoyens vis-à-vis de l’institution
militaire : la scission du hirak sur ce
point est bien consommée. On n’est plus
sur la longueur d’onde de l’unanimisme
initial : « Djeich Chaab Khawa Khawa »
(Armée Peuple Frères, Frères).
Que veut alors dire
la notion de « peuple » à ce moment? Un
groupe qui a un accès facile aux médias?
Un groupe qui arrive à mobiliser plus de
personnes sur le terrain? Un groupe qui
produit plus de décibels dans les
manifestations? Un groupe plus organisé
et mieux formé pour véhiculer son
idéologie? Un groupe qui a plus de
moyens financiers?
Et ces questions se
posent aussi pour les caricaturistes qui
doivent, par honnêteté intellectuelle et
éthique journalistique refléter le débat
tel qu’il est vécu par les citoyens.
Pour bien
comprendre l’orientation idéologique de
ces caricaturistes qui parlent au nom
d’un « certain peuple », il est
essentiel et judicieux de nous
intéresser à chacun d’eux.
Ali Dilem
Le plus influent
d’entre eux est très certainement Ali
Dilem. J’en veux pour preuve le nombre
de câbles Wikileaks américains qui
citent son nom : pas moins de dix!
Dans le câble
08ALGIERS504_a (daté du 5 mai 2008),
on peut voir à quel point il est
apprécié par les diplomates américains
en poste à Alger : « Dans le cas de
Liberté, la plupart des lecteurs
aujourd'hui ne regarde pas la une du
journal en premier, mais la dernière
page pour savourer la caricature
quotidienne de Dilem qui est souvent une
critique caustique du gouvernement
».
Mais cette remarque
ne relève pas uniquement de l’admiration
candide. Des contacts ont bien eu lieu
entre le caricaturiste et les
fonctionnaires de l’ambassade américaine
comme clairement mentionné dans le câble
09ALGIERS370_a (daté du 13 avril
2009) : « Le caricaturiste politique
Ali Dilem nous a dit que les bureaux de
vote qu’il a visité avec un journaliste
français étaient presque vides. Dans un
cas, il a rencontré un chômeur qui a
déclaré qu'il votait parce qu'on lui
avait demandé de présenter sa carte
d'électeur afin d'obtenir un passeport
».
Un caricaturiste
algérien qui « dit » des choses aux
diplomates américains en poste à Alger
durant des élections présidentielles
algériennes? Comment peut-on appeler
cela? Je vous laisse le soin d’y
répondre.
Dilem fait partie
de « Cartooning For Peace » (CFP -
Caricature pour la paix), organisme qui
se définit comme « un réseau
international de dessinateurs de presse
engagés qui combattent, avec humour,
pour le respect des cultures et des
libertés ». C’est sans doute pour
cette raison qu’on l’a vu officier sur
TV5 aux côtés de deux autres
caricaturistes pour la paix : le
Français Plantu (fondateur de CFP) et
l’Israélien Kichka.
Plantu, Dilem,
Nadia Khiari (alias Willis From Tunis)
et Kichka:
quatre membres de “Cartooning
For
Peace” au 66e Festival de
Cannes.
C’est aussi dans ce
cadre que Dilem s’est rendu en Israël
avec ses deux compagnons de TV5. Dans la
vidéo immortalisant la visite[4] on le
voit rire à éclats devant un dessin de
l’israélien Shay Charka (membre de CFP)
véhiculant des stéréotypes négatifs et
tendancieux sur les Palestiniens (voir
ci-après). Précisons que Charka est un
caricaturiste sioniste faisant partie
d’une « armée » de dessinateurs
israéliens qui luttent contre la
campagne internationale BDS (Boycott,
désinvestissement et sanctions)[5].
-Papa, peux-tu
fabriquer une fusée qui peut aller sur
la lune?
-Y a-t-il des
Israéliens sur la lune ?! Alors
pourquoi? Pense de manière productive!
Ensuite, arrivé
devant le mur des lamentations, il fait
une déclaration stupéfiante qu’il est
important de reporter au complet
tellement elle représente la
quintessence de la propagande sioniste :
« Pour quelqu’un
qui a grandi dans la haine de l’autre,
la haine du juif, en fait la haine de ce
qu’il ne connait pas, de ce qu’il a
ignoré et dans l’acceptation de tout ce
qu’on lui foutait dans le crâne… Ça
donne pas envie ici d’être terroriste,
ça donne pas envie de haïr l’autre, ça
donne pas envie de, de…Ça donne envie
d’aimer, de connaitre… ».
No comment!
Vidéo de la visite
La vidéo se termine
avec des notes mélodieuses de piano et
une danse de notre illustre
caricaturiste, bras dessus, bras
dessous, avec un personnage portant une
kippa qui doit connaitre et, surtout,
aimer beaucoup de Palestiniens!
Une relation
singulière relie nos caricaturistes à
Charlie Hebdo comme nous allons le
constater par la suite. À peine un mois
après l’attentat contre ce journal
satirique, Dilem a rejoint son équipe de
dessinateurs. À la question : « Qu’aviez-vous
pensé à l’époque de la publication
par Charlie Hebdo des caricatures de
Mahomet ? », il répondit : « Je
savais qu’ils s’exposaient à des
réactions. Je savais qu’on ne pouvait
pas s’amuser avec l’image du Prophète
aux yeux de certains. Mais en tant que
professionnel de la caricature, je me
disais aussi que c’était un sujet comme
un autre, et qu’il ne fallait pas
s’arrêter à ce qui est considéré comme
sacré […][6].
Dilem a reçu de
nombreuses distinctions soulignant la
qualité de son travail, mais c’est la
France qui l’a le plus gâté. En 2010, il
a reçu les insignes de Chevalier des
Arts et Lettres à l’ambassade de France
à Alger, des mains de Noëlle Lenoir,
ancienne ministre des Affaires
européennes et en présence de
l'ambassadeur de France en Algérie,
Xavier Driencourt[7].
Rappelons que
l’Ordre des Arts et des Lettres (qui
comprend trois grades) est une
décoration honorifique française qui,
gérée par le ministère de la Culture,
récompense « les personnes qui se
sont distinguées par leur création dans
le domaine artistique ou littéraire ou
par la contribution qu'elles ont
apportée au rayonnement des arts et des
lettres en France et dans le monde
».
En 2017, notre
caricaturiste a été promu au rang
d’Officier des Arts et des Lettres par
la présidence de la République
française.
Dans un livre qu’il
a consacré à Ali Dilem, son ami Mustapha
Benfodil cite Mohamed Benchico, présenté
comme le maître à penser du
caricaturiste: « Dilem a une âme de
justicier. Il ne dessine pas pour passer
le temps mais pour faire mal, pour
écorcher les crapules et les puissants
»[8] .
Avec ce qu’on vient
de voir sur le trajet de Dilem, une
question se pose : qui sont les crapules
et qui sont les puissants?
Le Hic
La caricature du
Hic qui figure au début de cet article
pose de nombreux problèmes. En effet, en
plus de discourir au nom du peuple comme
mentionné précédemment, l’auteur fait
preuve d’une totale ignorance en matière
de géostratégie, de techniques de
déstabilisation des pays ou de
révolutions non-violentes. Pourtant, ce
ne sont pas les exemples qui manquent
depuis quelques décennies. Mais, vous
allez me dire, on ne peut pas demander à
un caricaturiste de faire rire et d’être
versé dans les sciences demandant un peu
de sérieux. À moins, bien sûr,
d’exceller dans l’art de la
dissimulation et dans la dextérité du
mensonge par omission.
Le plus grave,
cependant, dans ce dessin, c’est son
indécence. Le « digitus impudicus » ou
doigt d’honneur est un geste obscène.
Avec cette caricature, Le Hic a non
seulement usurpé l’identité du peuple,
mais lui fait faire des gestes grossiers
et orduriers qui ne concernent que sa
personne!
Ce n’est
certainement pour des dessins de ce
genre que Le Hic fut « élevé », en 2016,
au rang de Chevalier de l’ordre des Arts
et des Lettres des mains de Bernard
Émié, à la villa des Oliviers,
résidence de l’ambassadeur de France à
Alger[9].
Vidéo de l'événement
Notons, que tout
comme Dilem, Le Hic est membre de « Cartooning
For Peace ». Cependant, il n’a pas
collaboré avec Charlie Hebdo, mais
reconnait avoir rencontré et travaillé
avec Charb et Wolinski[10], deux
dessinateurs vedettes du magazine
humoristique français, qui ont perdu la
vie lors des attentats de janvier 2015.
Petite précision:
Bernard Émié, l’ambassadeur qui a
décoré Dilem et Le Hic, a été nommé en
2017 par le président Emmanuel Macron à
la tête de la direction générale de la
Sécurité extérieure (DGSE), en
remplacement d’un autre ancien
ambassadeur de France en Algérie
(2006-2008), M. Bernard Bajolet[11].
Ghilas Aïnouche
La palme de
l’indécence, de l’impudeur et du mauvais
goût revient sans aucun doute à Ghilas
Aïnouche. Scatologie, obscénité,
racisme, tout y passe! Comparé à ceux de
Aïnouche, le dessin du Hic discuté
auparavant passerait pour celui d’un
enfant de chœur.
Il faut savoir
qu’en humour, lorsque le talent fait
défaut, on se focalise sur ce qui se
trouve en dessous de la ceinture ou bien
sur ce qui se passe dans les toilettes.
Lorsque la députée
Naima Salhi, fidèle représentation de la
décadence politique qu’a connue
l’Algérie ces dernières années, a tenu
des propos choquants sur les Kabyles et
leur langue, une monumentale levée de
boucliers s’en est suivie. Aïnouche,
quant à lui, a choisi de réaliser
plusieurs caricatures de la députée où
les matières fécales sont à toutes les
sauces! À donner la nausée!
Pour voir les caricatures scatologiques
de Aïnouche
(à vos risques et
périls!)
Sur ce sujet, Dilem
s’est aussi laisser aller au dessin
facile, mais comme produit biologique,
il a préféré les crachats aux
excréments.
Allons,
« chevalier » ou plutôt « officier » des
Arts (avec un A majuscule), un peu de
retenue digne de votre rang! On peut
exprimer notre mécontentement de manière
plus civilisée! N’est-ce pas vous qui
avez déclaré à votre ami Mustapha
Belfodil : « Le danger pour nous, et
je ne parle pas que pour la caricature,
c’est que, à force de vouloir trop en
faire, on en fait trop. Il faut que ce
qui est irrespectueux, que ce qui est
irrévérencieux, ne devienne pas vulgaire
»[12]?
Et bien, nous y
voilà : Dilem, Le Hic et Aïnouche se
vautrent dans la vulgarité et ont l’air
d’y prendre plaisir!
Non satisfait de
ses trouvailles scatologiques, Aïnouche
poursuit son périple dans les bas-fonds
de la caricature en s’essayant à
l’obscénité avec un dessin représentant
un migrant africain dans le plus simple
appareil, ne laissant aucun doute sur
son anatomie masculine stéréotypée.
Pour voir les caricatures obscènes de Aïnouche
(à vos risques et
périls!)
Cette obscénité
n’est pas nouvelle dans le monde de la
caricature algérienne. C’était une
pratique usitée par le chroniqueur d’El
Watan, Chawki Amari, qui fut, dans une
autre vie, caricaturiste. Il avait
raconté à Mustapha Belfodil, non sans
une pointe de fierté, qu’il s’amusait à
cacher des parties intimes masculines
dans ses dessins. Pourquoi? Juste comme
ça, pour le fun. Et d’ajouter : « Personne
ne relevait ces petits détails, et le
lendemain, je me marrais. J’étais
vraiment un sale gosse »[13].
Dans le cas de
Chawki Amari, il est intéressant de
noter qu’il a été emprisonné, en 1996,
pour une caricature jugée offensante
pour l'emblème national [14]. Objet du
délit? Le dessin représentait « deux
passants qui regardent les drapeaux
algériens déployés à l'occasion de
l'anniversaire de l'indépendance. «
C’est pour le 5 juillet? », demande
l'un. « Non, ils étendent le linge sale
», répond son compagnon »[15].
Pour voir la caricature délictueuse de
Chawki Amari
Mais même en ce
temps-là, l’ambassade américaine d’Alger
n’était pas très loin des journaux et de
leurs caricaturistes.
Des documents
d’époque montrent que l’organisme
américain Cartoonists Rights Network
International (CRNI) avait dénoncé son
emprisonnement, ce qui est en soi
louable. En effet, selon son site, la
mission du CRNI est de « défendre la
liberté créative et les droits de
l’Homme des caricaturistes éditoriaux
menacés dans le monde entier »[16].
Mais le CNRI
précise aussi que « pendant son
séjour en prison, l’organisme a
également envoyé de l'argent à Chawki
pour l'aider à payer ses frais légaux
»[17].
En regardant de
plus près les sponsors de CRNI, on y
trouve aussi bien la NED (National
Endowment for Democracy) et l’Open
Society Foundations du milliardaire
américain, George Soros[18], des
commanditaires étasuniens très impliqués
dans l’« exportation de la
démocratie »[19].
Dans une interview
accordée au Washington Post, la question
suivante a été posée au directeur
exécutif du CRNI, Robert Russell : «
Avez-vous déjà travaillé en
collaboration avec le Département
d'État, des ambassadeurs ou d'autres
agences / départements américains pour
atteindre vos objectifs dans le monde
entier? […] ». Ce à quoi il
répondit : « Nous sommes toujours
prêts à travailler avec un ambassadeur
ou même un bureau au Département d'État
[…] »[20].
D’ailleurs, après
cette affaire, certains câbles Wikileaks
ont révélé une proximité entre
l’ambassade américaine à Alger et Chawki
Amari, El Watan (où il travaille
actuellement avec Le Hic) ainsi que son
ancien directeur Omar Belhouchet[21].
Mais ça, c’est une
histoire qui mériterait qu’on y consacre
plus de temps.
Revenons à Ghilas
Aïnouche. Certaines de ses caricatures
dénotent une affinité non dissimulée
avec le Mouvement pour
l'Autodétermination de la Kabylie (MAK),
affinité partagée avec Rosa Moussaoui
qui a encensé le jeune caricaturiste
dans son article.
Cette sympathie
pour la cause sécessioniste du MAK a été
confirmée lors d’un voyage effectué par
Aïnouche en 2017 aux États-Unis, invité
par le Département d’État. Il y a
défendu la liberté d’expression pour les
militants du MAK « constamment
harcelés et leurs passeports bloqués
»[22].
Et le MAK le lui
rend bien. Lorsque Aïnouche a été
victime de violence policière lors d’une
manifestation interdite, le président du
MAK, Ferhat Mehenni, lui a
personnellement téléphoné pour
s’enquérir de sa santé et l’assurer de
son soutien[23].
Il est indéniable
qu’une des conséquences fâcheuses du
hirak est la tension actuellement
perceptible entre certains citoyens
kabyles et le reste des Algériens. Le
MAK, naguère imperceptible dans la vie
politique du pays, a repris du poil de
la bête avec ses idées toxiques. Ferhat
Mehenni s’est même fait inviter à
l’université de Tizi-Ouzou pour
disserter, par vidéoconférence, rien de
moins que du « combat kabyle face à
l’Algérie »[24]. Jamais cette
tension n’a été aussi exacerbée, très
certainement instrumentalisée aux dépens
de la cohésion de la nation algérienne.
Le plan Yinon[25]
pour l’Algérie serait-il activé via le
MAK en cette période d’instabilité
politique? Rappelons que, tout comme
Dilem, Mehenni s’est rendu en Israël,
s’y est entretenu avec des politiciens
de haut rang de l’État hébreu et, dans
une entrevue au Jérusalem Post, il n’a
pas été avare de formules aplaventristes
et provocatrices. Florilège : « Les
Kabyles ont toujours eu de la sympathie
pour Israël »; « Pendant la
guerre de 1967, la Kabylie a applaudi à
la défaite des Arabes »; « Les
femmes kabyles ne portent pas de voile
et les Kabyles vivant en France n'ont
pas participé à la campagne de
légalisation du voile dans les écoles
»; « Liberté pour la Kabylie,
éternité pour Israël »[26].
Entrevue de Ferhat Mehenni à la chaine
israélienne Guysen TV lors de son séjour
en Israël
Sur les médias
sociaux, cette tension a généré une
confrontation orageuse. Pourtant, le
hirak n’était-il pas censé nous
solidariser contre les politiciens
véreux, les voleurs de la richesse de
notre pays, les bradeurs de sa
souveraineté et les liquidateurs de son
unité?
La différenciation
entre les Kabyles et le reste de la
société algérienne a été poussée par
Aïnouche à un niveau jamais atteint.
Plus que du racisme, certaines
caricatures sont la représentation d’un
suprémacisme kabyle. Jugez-en.
Une question se
pose là encore: avec quelle procuration,
Aïnouche et Mehenni, se permettent-ils
de parler au nom de tous les Kabyles?
Dilem s’est lui
aussi essayé à la caricature raciste, ce
qui lui a valu une volée de bois
vert[27].
À l’instar de Dilem
et Le Hic, Aïnouche a eu des contacts
avec Charlie Hebdo et ses dessinateurs.
Il a même été pigiste pour cet
hebdomadaire. Dans une entrevue publiée
après les attentats de Charlie Hebdo, il
a déclaré : « Je ne vois pas comment
l’on peut dire que Charlie Hebdo est
islamophobe »[28].
Avec toutes ces
frasques figurant sur son CV, parions
que Aïnouche finira, comme ses ainés,
par être invité à la villa des Oliviers
pour une solennelle cérémonie où ses
faits d’armes chevaleresques seront
reconnus, récompensés et applaudis.
En guise de
conclusion, mentionnons que toute
caricature véhicule, à travers son
écorce humoristique, des messages qui
sont en phase avec l’orientation du
caricaturiste ou du journal qui
l’emploie. Il est impératif de retourner
chaque caricature et d’en regarder le
sceau sur le verso pour en connaitre le
commanditaire, le destinataire, la base
idéologique ou la vision politique. Ou
pourra alors comprendre que la notion
galvaudée de « peuple » figurant dans
certaines caricatures n’est pas
fortuite, bien au contraire.
En ces moments de
soubresauts politiques et de tentative
d’édification d’une nouvelle république
algérienne, les caricaturistes devraient
jouer l’apaisement au lieu de pousser à
la confrontation.
Cette période
nécessite un humour qui nous unit et non
un humour qui nous divise, un humour qui
construit des ponts et non un humour qui
bâtit des murailles.
Références
-
Rosa Moussaoui, « Rire des puissants
pour les déboulonner » L’Humanité, 2
Mai 2019,
https://www.humanite.fr/algerie-rire-des-puissants-pour-les-deboulonner-671661
-
Rosa Moussaoui, « En Kabylie, un
peuple debout pour ressusciter le
pays » L’Humanité, 15 avril 2019,
https://www.humanite.fr/algerie-en-kabylie-un-peuple-debout-pour-ressusciter-le-pays-670818
-
Mohand Beloucif, « Notre mouvement
est "pacifique et n’émarge pas aux
extrêmes" », Le Matin d’Algérie, 1er
novembre 2017,
https://www.lematindalgerie.com/notre-mouvement-est-pacifique-et-nemarge-pas-aux-extremes
-
Dailymotion, « Dilem, Kichka et
Plantu à Jérusalem »,
https://www.dailymotion.com/video/xe9lzn
-
The Times Of Israel, « Une armée de
caricaturistes lutte contre le
mouvement BDS », 13 juillet 2015,
https://fr.timesofisrael.com/une-armee-de-caricaturistes-lutte-contre-le-mouvement-bds/
-
Hassina Mechaï, Interview : «
"Charlie Hebdo" - L'Afrique réagit -
Dilem : "Ce n’est pas qu’un titre,
c’est un esprit" », Le Point, 8
janvier 2015,
https://www.lepoint.fr/culture/charlie-hebdo-l-afrique-reagit-dilem-ce-n-est-pas-qu-un-titre-c-est-un-esprit-08-01-2015-1894965_3.php
-
Liberté, « Dilem : “Je suis fier
d'être Algérien” - Il a été fait
hier chevalier des arts et des
lettres », 12 octobre 2010,
https://www.djazairess.com/fr/liberte/144123
-
Mustapha Benfodil, « Dilem Président
», Editions INAS (Alger), 2008, p. 3
-
Ambassade de France à Alger, «
Décoration d’Ahmed Bedjaoui et
Hicham Baba Ahmed », 16 mai 2016,
https://dz.ambafrance.org/Decoration-d-Ahmed-Bedjaoui-et-Hicham-Baba-Ahmed
-
Nejma Rondeleux. « Le Hic: "J'ai été
triplement choqué: en tant qu'être
humain, dessinateur et Algérien" »,
Huffington Post Maghreb, 8 janvier
2015,
https://www.huffpostmaghreb.com/2015/01/08/le-hic-charlie-hebdo_n_6436212.html
-
Amine Kadi, « Bernard Emié, de
l’ambassade d’Alger à la DGSE », La
Croix, 27 juin 2017,
https://www.la-croix.com/Monde/Afrique/Bernard-Emie-lambassade-dAlger-DGSE-2017-06-27-1200858548
-
Voir réf. 8, p. 7
-
Ibid., p. 99
-
José Garçon, « Crime de lèse-drapeau
en Algérie - Pour un dessin «
offensant », Alger maintient en
prison le journaliste Chawki Amari
», Libération, 13 juillet 1996,
https://www.liberation.fr/planete/1996/07/13/crime-de-lese-drapeau-en-algeriepour-un-dessin-offensant-alger-maintient-en-prison-le-journaliste-ch_177216
-
Ibid.
-
Cartoonists Rights Network
International, « Who we are – Our
mission »,
https://cartoonistsrights.org/mission/
-
Cartoonists Rights Network
International, « Middle East/North
Africa »,
http://archive.cartoonistsrights.org/cartoonists_rights_free_speech.php--id=33.html
-
Cartoonists Rights Network
International, « Foundation and
corporate support »,
https://cartoonistsrights.org/category/cnri-gratefully-acknowledges-major-support-from/
-
Pour plus de détails, lire : Ahmed
Bensaada, « Huit ans après : la «
printanisation » de l’Algérie »,
ahmedbensaada.com, 4 avril 2019,
http://www.ahmedbensaada.com/index.php?option=com_content&view=article&id=475:2019-04-04-22-50-13&catid=46:qprintemps-arabeq&Itemid=119
-
Michael Cavna, « Crowdfund of the
week: Free-speech cartoonists vs.
legal and mortal threats »,
Washington Post, 2 avril 2015,
https://www.washingtonpost.com/news/comic-riffs/wp/2015/04/02/crowd-fund-of-the-week-free-speech-cartoonists-vs-legal-and-mortal-threats/?utm_term=.0eae6ab200c1
-
Lire, par exemple, le câble
08ALGIERS388_a:
https://wikileaks.org/plusd/cables/08ALGIERS388_a.html
ou le câble 08ALGIERS521_a :
https://wikileaks.org/plusd/cables/08ALGIERS521_a.html
-
KDirect.info, « Invité par le
Département d’Etat américain à
Washington, le dessinateur Ghilas
Aïnouche a parlé aussi du MAK », 7
novembre 2017,
http://archive.wikiwix.com/cache/?url=https%3A%2F%2Fk-direct.info%2F2017%2F11%2F07%2Finvite-par-le-departement-detat-americain-a-washington-le-dessinateur-ghilas-ainouche-a-parle-aussi-du-mak-k-direct%2F
-
Siwel, « Ghilas Aïnouche agressé :
le Président de l’Anavad s’enquiert
de son état de santé », 23 juillet
2017,
https://webcache.googleusercontent.com/search?q=cache:QzrVanxcK3AJ:https://www.siwel.info/ghilas-ainouche-agresse-president-de-lanavad-sencquiert-de-etat-de-sante_49075.html+&cd=1&hl=fr&ct=clnk&gl=dz
-
Hakim Megatli, « Université de Tizi
Ouzou : Ferhat Mehenni a discouru
sur le « combat kabyle face à
l’Algérie », Algérie 1, 28 avril
2019,
https://www.algerie1.com/actualite/universite-de-tizi-ouzou-ferhat-mehenni-a-discouru-sur-le-laquo-combat-kabyle-face-a-l-algerie-raquo
-
Pour plus de détails sur le plan
Yinon, lire : Ahmed Bensaada, « La
géopolitique selon « Arab Idol »,
Reporters, 13 décembre 2014,
http://www.ahmedbensaada.com/index.php?option=com_content&view=article&id=300:la-geopolitique-selon-l-arab-idol-r&catid=46:qprintemps-arabeq&Itemid=119
-
Sharon Udasin et Jan Koscinski, «
Algeria’s Kabylie craves friendship
with Israel », The Jerusalem Post,
27 mai 2012,
https://www.jpost.com/Middle-East/Algerias-Kabylie-craves-friendship-with-Israel
-
Dehbia Ak, « Ali Dilem accusé de «
racisme anti-arabe » par des
chroniqueurs d’une chaîne privée
(VIDÉO) », ObservAlgérie, 19 janvier
2019,
https://www.observalgerie.com/actualite-algerie/dilem-ali-une-nouvelle-caricature-secoue-les-medias-algeriens/
-
Algérie Focus, « Ghilas Aïnouche,
caricaturiste algérien : "Je ne vois
pas comment l’on peut dire que
Charlie Hebdo est islamophobe"», 8
janvier 2015,
https://www.algerie-focus.com/2015/01/ghilas-ainouche-caricaturiste-algerien-je-ne-vois-pas-comment-lon-peut-dire-que-charlie-hebdo-est-islamophobe/#sthash.WSQngftu.uxfs
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