L’ONGisme : du néolibéralisme au «
regime change »
Ahmed Bensaada
Photo :
Patrick Deschamps - MontréalExpress
Jeudi 28 mai 2020
Bien que leur genèse soit beaucoup plus
ancienne, les entités regroupées sous le
vocable d’organisations non
gouvernementales (ONG) ont eu un essor
fulgurant dans les années 80 et 90 du
siècle dernier et leurs domaines
d’intervention se sont diversifiés :
urgence humanitaire, alimentation,
droits de l’homme ou environnement.
D’après les
spécialistes, cet accroissement coïncide
avec la montée du néolibéralisme impulsé
durant les années Reagan-Thatcher. Selon
la militante Ana Minski, « la
prolifération des ONG au Sud, dans les
années 1990, est indubitablement liée à
l’affaiblissement des capacités
gouvernementales à fournir des services
publics, résultat des politiques
néolibérales qui se sont imposées dans
le contexte d’un capitalisme mondialisé
et fortement financiarisé ».
À cause des
politiques d’austérité et de réduction
des dépenses publiques, les
gouvernements se sont tournés vers les
ONG pour fournir des services à bas
prix, services qu’ils assuraient naguère
dans les secteurs de la santé, de
l’éducation, de la culture, etc.
Abondant dans ce sens, l’écrivaine
indienne Arundhati Roy précise que les
ONG distribuent « au compte-gouttes,
sous forme d’aide ou de bénévolat, ce à
quoi les gens devraient normalement
avoir droit ». Ce qui amène certains
spécialistes à qualifier les ONG de
« cheval de Troie » du néolibéralisme.
Extrait d'une
conférence donnée à San Francisco,
Californie, le 16 août 2004
Avec la fin de la
Guerre froide, les ONG ont été utilisées
à d’autres desseins. Il s’agissait de la
« démocratisation » des pays de l’Est
anciennement dans le giron soviétique,
afin de les extraire de l’influence
russe. Dans cet objectif, les États-Unis
ont déployé un arsenal d’organismes
spécialement dédiés à cette tâche.
Citons, à titre d’exemple : l’USAID
(United States Agency for International
Development), la NED (National Endowment
for Democracy) et ses quatre satellites,
Freedom House et l’Open Society de G.
Soros. À part ce dernier qui est privé,
tous les autres organismes sont financés
directement ou indirectement,
partiellement ou entièrement par le
gouvernement américain.
Les satellites de
la NED sont bien connus : l’IRI
(International Republican Institute), le
NDI (National Democratic Institute), le
Solidarity Center et le CIPE (Center for
International Private Enterprise).
Pour se prévaloir
de la dénomination d’ONG, une
organisation doit satisfaire au moins
aux cinq conditions suivantes :
l'origine privée de sa constitution, le
but non lucratif de son action, son
indépendance financière, son
indépendance politique et la notion
d'intérêt public de sa mission. Dans le
cas de ces organismes américains et des
groupes qu’ils financent dans les pays
visés, ces conditions ne sont jamais
réunies.
L’utilisation de
ces organismes a prouvé l’efficacité du
« soft power » étasunien dans les
opérations de « regime change ». Cela a
été manifeste dans les révolutions
colorées en Serbie, en Géorgie ou en
Ukraine. Lors du « printemps » arabe,
ces mêmes organismes américains
d’« exportation » de la démocratie ont
été impliqués en Tunisie, en Égypte, en
Libye, en Syrie et au Yémen et le
résultat désastreux de leur implication
est maintenant connu, tout
particulièrement dans les trois derniers
pays.
Le modus operandi
de cette « démocratisation » est
toujours le même. Des activistes locaux,
regroupés ou non dans des ONG locales
sont choisis, financés, formés et
réseautés dans leur région
d’appartenance (dans le cas des pays
arabes, il s’agit de la région MENA –
Middle East and North Africa). Lors
d’éventuelles protestations populaires
légitimes causées par de réels problèmes
sociaux, ces activistes se mettent aux
premières loges des manifestations et
tentent de les diriger selon des agendas
concoctés à l’étranger.
Pour illustrer ce
propos, citons des activistes comme Slim
Amamou (Tunisie), Mohamed Adel
(Mouvement du 6 avril – Égypte), Ali
Ramadan Abouzaakouk, (Libya Human and
Political Development Forum – Libye),
Aussama Monajed (Movement for Justice
and Development – Syrie) et Tawakkol
Karman (Women Journalists Without Chains
– Yémen).
En Algérie,
plusieurs ONG locales financées par les
organismes américains ont été très
visibles lors des manifestations, aussi
bien en 2011 que lors du Hirak, en
2019-2020. Il s’agit, entre autres, de
la Ligue algérienne de défense des
droits de l’homme (LADDH), du
Rassemblement Actions Jeunesse (RAJ), du
Collectif des familles de disparus en
Algérie (CFDA), etc. Il est quand même
curieux de constater que les ONG qui
reçoivent des subsides étrangers sont
toutes sur la même longueur d’onde
concernant leurs revendications. Pas un
seul petit bémol?
Qualifiés d’ONG -
Organisations Non Grata-, les organismes
américains d’« exportation » de la
démocratie ont été bannis de certains
pays comme la Russie qui a interdit
USAID pour « ingérence dans la vie
politique russe ». La liste des ONG
« indésirables » en Russie s’est
allongée et englobe actuellement la NED,
le NDI, l’IRI, Freedom House et l’Open
Society de Soros.
En Amérique du Sud,
les pays de l’ALBA (Alianza Bolivariana
para los Pueblos de Nuestra América) ont
signé une résolution en 2012 demandant
l’expulsion immédiate de l’USAID des
pays membres de l’alliance (la Bolivie,
Cuba, l’Équateur, la Dominique, le
Nicaragua et le Venezuela).
D’autre part,
certains pays du BRICS (Brésil, Russie,
Inde, Chine et Afrique du Sud) se sont
dotés de lois interdisant ou renforçant
le contrôle des ONG sur leurs sols.
Depuis 2014, les
ONG travaillant en Égypte ont
l’obligation de s'enregistrer auprès des
autorités sans quoi, elles risquent la
saisie de leurs biens ou des poursuites
judiciaires. En outre, les autorités
doivent également approuver tout
financement venant de l’étranger.
Parmi les autres
pays arabes, les Émirats arabes unis
(EAU) ont procédé, en 2012, à la
fermeture des bureaux de plusieurs ONG
étrangères dont le NDI. De son côté, le
député jordanien Zakaria Al-Cheikh a
demandé, en janvier 2016, à la chambre
basse du Parlement de Jordanie de mettre
fin aux activités de ce même organisme
arguant qu’il « constitue un danger
pour la sécurité nationale ».
Il faut savoir que
de telles activités sur le sol américain
sont régies par le « Foreign Agents
Registration Act » qui est une loi
américaine exigeant l’enregistrement des
lobbyistes représentant des intérêts
politiques ou économiques étrangers.
Finalement, il ne
faut absolument pas croire que les ONG
américaines sont les seules actives sur
le sol algérien. D’autres, européennes,
y sont très présentes.
Faut-il alors
légiférer pour encadrer, contrôler voire
interdire le financement étranger des
ONG en Algérie? C’est certainement un
point sur lequel il est impératif de se
pencher sérieusement dans un avenir très
proche.
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