Monde
J’ai mal au Québec
Ahmed Bensaada
Mardi 28 février 2017
J’ai mal au Québec comme
on peut avoir mal au cœur lorsqu’il est
écrasé par le poids d’une atrocité ou le
fardeau d’une horreur.
J’ai mal au Québec comme on peut
avoir mal à l’âme lorsqu’elle est
lacérée par les griffes de la haine et
les crocs de l’hostilité.
J’ai mal au Québec comme on peut
avoir mal à nos espérances lorsque nos
illusions se métamorphosent en mirages
et nos rêves en cauchemars.
J’ai mal au Québec comme on peut
avoir mal au corps lorsque des balles
meurtrières traversent notre chair et
que notre sang éclabousse un lieu de
culte.
J’ai mal au Québec comme une
épouse peut avoir mal lorsqu’elle
apprend que son conjoint vient d’être
lâchement assassiné et qu’elle ne pourra
plus se blottir contre lui, dans la joie
ou dans la peine.
J’ai mal au Québec comme un
enfant peut avoir mal lorsqu’il comprend
qu’il ne verra plus jamais son père, ne
pourra plus monter sur ses épaules ou
ravir son sourire.
J’ai mal au Québec comme j’ai eu
mal ce jour où une femme voilée,
accidentellement décédée dans le métro
montréalais, a été accusée par des
médias nécrophores d’avoir été « étranglée
par son hijab » alors que se
déchainait contre elle la blogosphère
islamophobe, la couvrant d’un linceul
d’insultes immondes.
J’ai mal au Québec comme j’ai eu
mal lorsqu’un parti québécois a érigé sa
politique sur le socle d’une charte des
valeurs spécialement conçue pour la
discrimination de la partie la plus
vulnérable de la société.
J’ai mal au Québec comme j’ai
toujours mal lorsque j’entends des « benhabibs »,
des « martineaux », des « mailloux »
ou des « janettes » hanter les
ondes en vomissant leur fiel sur les
musulmans, l’islam, le hijab, le halal,
les écoles musulmanes …
J’ai mal au Québec comme j’ai
régulièrement eu mal, depuis bientôt dix
ans, à la vue du sang de futures
victimes innocentes giclant des micros,
suintant des caméras et dégoulinant des
gueules de cuistres médiatiques
rivalisant dans la diffusion
acrimonieuse de l’intolérance et de la
xénophobie.
J’ai mal au Québec comme on peut
avoir mal lorsqu’on constate que des
moyens colossaux sont déployés pour la
lutte contre la radicalisation islamiste
et que rien n’est entrepris pour la
lutte contre la radicalisation
antimusulmane.
J’ai mal au Québec comme on peut
avoir mal lorsqu’on se rend à l’évidence
qu’après avoir été un havre de paix et
un exemple du vivre-ensemble, la Belle
Province exhale des relents
pestilentiels d’islamophobie
nauséabonde.
J’ai mal au Québec comme un père
peut avoir mal en pensant que ses
enfants ne seront plus en sécurité et
que, dès qu’ils auront le dos tourné,
les bras tendus vers le ciel, ils seront
à la merci de la cruauté d’un « bissonnette ».
Ce texte a été publié par le magazine Afrique
Asie (mars 2017)
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Publié avec l'aimable autorisation
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