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La « question
iranienne » :
politiques du Moyen-Orient et propagande de guerre (1/2)
Willy Beauvallet
Photo RIA Novosti
Lundi 17 novembre 2008
L’année 2008 a vu l’intensification
des menaces de guerre visant l’Iran et par extension l’ensemble
du Moyen-Orient. Si la perspective d’une guerre de grande
ampleur semble désormais s’éloigner à la faveur d’une
conjonction de facteurs économiques, géopolitiques et politiques
(transition gouvernementale en Israël, élections présidentielles
aux USA), il n’en demeure pas moins que la problématique
iranienne demeure très présente et très structurante de rapports
de force en pleine recomposition au Moyen-Orient.
La fuite en avant constituant
malheureusement l’une des portes de sortie du nouveau leadership
américains aux blocages qui s’annoncent, il apparaît utile de
revenir sur la genèse de la « question iranienne », d’une part
en la resituant dans le cadre des jeux politiques, diplomatiques
et stratégiques du Moyen-Orient actuel, d’autre part en revenant
sur les principales accusations portées contre l’Iran. Ces
dernières sont avancées comme autant de justifications à une
guerre dont tout indique qu’elle demeure inscrite en pointillé,
malgré l’incertitude qui les entoure, sur les agendas
israélo-américains.
La problématique iranienne dans le nouveau Moyen-Orient
Les charges actuelles visant le
régime iranien font suite aux profondes transformations qui
agitent la région depuis le repositionnement américain
consécutif aux attentats du 11 septembre et au triomphe des
perspectives néoconservatrices sur cette région du monde.
Depuis 2001, le gouvernement
américain applique au Moyen-Orient une stratégie construite au
cours des années 1990 dans les différents cercles politiques
constitutifs de la mouvance dite néoconservatrice. A
l’international, cette mouvance se traduit par la volonté
d’imposer un réengagement américain destiné à s’assurer du
contrôle effectif de certaines zones géopolitiques.
Le Moyen-Orient (entendu ici comme
la région allant de l’Egypte à l’Afghanistan) occupe dans ce
cadre une place essentielle pour des raisons stratégiques
évidentes liées aux réserves de pétrole (Golfe Persique) et de
gaz (Mer Caspienne) ainsi qu’aux débouchés terrestres et
maritimes de ces matières premières ; aux concurrences qui se
font jour entre les pays les plus riches et les puissances
émergentes quant à l’accès à ces ressources ; au vide
stratégique engendré par la disparition de l’URSS, disparition
qui laisse le champ libre à une offensive majeure de la
désormais seule « superpuissance ».
Les attentats du 11 septembre ont
donné l’occasion aux groupes néoconservateurs - parvenus au
sommet de l’Etat dans la foulée de l’élection de G. Bush - de
mettre à exécution les perspectives stratégiques construites au
cours des années précédentes. Sous couvert de lutter contre « le
terrorisme », ils lancent une vaste opération, que l’on
désignera progressivement comme une volonté affichée d’imposer
un « Grand Moyen-Orient », au prix d’un contournement et d’un
affaiblissement sans précédent des règles à la base du système
international de sécurité collective, lui-même hérité de la
seconde guerre mondiale et de la guerre froide.
Justifié au nom de la
« démocratisation » et de la lutte contre la « terreur », cette
opération a surtout pour objectif la prise de contrôle de la
région sur la base d’une clientélisation accentuée d’un certain
nombre de régimes (Egypte, Jordanie, Autorité palestinienne) et
du renversement de certains autres (Irak, Syrie, Iran). Elle se
fonde sur une alliance centrale associant les USA à Israël et,
de façon plus ambivalente, l’Arabie Saoudite et le Pakistan.
Cette offensive géostratégique américaine va ainsi profondément
modifier les jeux et (dés)équilibres hérités de la période
antérieure.
Dès 2001, les USA positionnent des
troupes en Afghanistan et, parallèlement, dans une grande partie
des Etats qui constituaient par le passé la zone sud de l’URSS.
En 2003, l’invasion de l’Irak et le changement de régime auquel
a conduit cette invasion permet aux USA d’implanter plus de
100 000 hommes au cœur même d’une zone stratégique essentielle
et d’un pays détenant une grande partie des ressources
pétrolières disponibles dans cette région. La volonté d’y
instaurer une sorte de protectorat similaire à ceux qui
caractérisaient la période coloniale ne fait pas de doute. La
chute de l’Irak offre aux armées américaines une frontière avec
l’Iran et l’Arabie saoudite, un accès direct au golfe persique
tout en facilitant l’établissement d’un rapport de force plus
favorable vis-à-vis d’un allié ambigu, l’Arabie Saoudite.
L’Irak constituait par ailleurs le
maillon faible de « l’axe du mal » dénoncé par G. Bush. Il était
totalement isolé sur le plan diplomatique, en situation
d’hostilité avec l’ensemble de ses voisins immédiats (Syrie,
Iran, Arabie Saoudite). Son économie, son appareil d’Etat et sa
cohésion nationale étaient considérablement affectés par la
guerre de 1991 et ses conséquences ainsi que par les 10 années
d’embargo que l’ONU lui avait infligé. L’Irak constituait ainsi,
à la différence de l’Iran ou de la Syrie, une cible militaire
facile.
Dès 2003, les avantages stratégiques
acquis par les Etats-Unis sont donc considérables. Profitant de
l’affaiblissement de la Russie, ils cernent à la fois le Golfe
Persique et la Mer Caspienne, se repositionnant aux portes de la
Chine et de la Russie. Dans ce tableau, trois Etats demeurent
comme des « cancers » stratégiques : la Syrie et le Liban d’une
part, l’Iran d’autre part. Tous deux liés à la Russie, l’Iran et
la Syrie renforcent dans ces conditions l’alliance militaire et
défensive que leurs dirigeants avaient mise en place au cours
des décennies précédentes.
La Syrie et le Liban
La Syrie et le Liban constituent
l’ensemble le plus faible. La Syrie est farouchement attachée à
son indépendance tout en étant soumise à des contraintes
économiques, politiques et géographiques très fortes. Ses
dirigeants ont pour objectif la récupération de ses terres
occupées par Israël en 1967 et annexées en 1982. Du fait
d’intérêts communs, le régime soutient activement les
organisations palestiniennes opposées aux logiques du Grand
Moyen-Orient, ainsi que les organisations libanaises et
entretient de bonnes relations tant avec l’Iran qu’avec la
Russie.
En 2003, la Syrie continue à exercer
sur le Liban un contrôle direct, tout en lui offrant un
parapluie stratégique face aux ambitions d’Israël. Le Liban a,
quant à lui, trois intérêts essentiels pour la coalition qui va
le prendre pour cible : plusieurs centaines de milliers de
palestiniens (dont on doit obtenir l’implantation et qui, comme
sunnites, sont considérés comme susceptibles de grossir le
réseau de clientèle du clan Hariri, lui-même proche de la
famille régnante saoudienne) ; le Hezbollah (dont ont doit
obtenir le démantèlement) ; sa région sud, riche en eau
notamment, sur laquelle Israël est soupçonné de vouloir rétablir
un contrôle plus ou moins direct.
Le déclenchement des hostilités a
lieu en décembre 2003, peu de temps après l’invasion irakienne,
avec le vote du Syria Accountability and Lebanese Sovereignty
Restoration Act. La France ayant raccroché les Etats-Unis,
elles se poursuivent avec le vote de la résolution 1559 en
septembre 2004, puis s’accélèrent après l’assassinat, en février
2005, de Rafic Hariri,
l’homme d’affaire libano-saoudien qui avait dirigé le pays de
1992 en 2004 dans le cadre d’une sorte de condominium
syro-saoudien sur le Liban.
Peu de temps après cet assassinat, sous la pression conjuguée de
l’ONU, des Etats-Unis, de la France et des manifestants
libanais, les syriens retirent leurs troupes du Liban.
Il demeure pourtant un obstacle de
taille, tout à la fois militaire et politique, pour que le Liban
tombe définitivement dans l’escarcelle américaine (et donc
israélienne) et serve de base arrière aux entreprises de
déstabilisation et / ou d’invasion de la Syrie : le Hezbollah.
Après que les « fausses nouvelles élites »
libanaises eurent tenté de l’isoler sur la scène politique
interne, l’armée israélienne a été chargée d’en assurer le
« nettoyage » militaire : c’est l’invasion de l’été 2006. Cette
opération, et au-delà l’ensemble de la stratégie visant à couper
le Liban de la Syrie, a échoué pour quatre raisons essentielles.
La première raison réside dans
l’efficacité et le professionnalisme du dispositif militaire mis
en place par le Hezbollah (avec le soutien plus ou moins
explicite de l’armée libanaise) et le poids constant de ses
soutiens stratégiques (syriens et iraniens mais aussi très
probablement russes).
La seconde raison réside dans la très
forte implantation sociale de ce conglomérat d’organisations
dans la zone que le Hezbollah s’est donné pour objectif de
défendre (le sud du Liban). Le Hezbollah constitue de ce point
de vue, et à proprement parler, une armée populaire émanant
directement de son environnement. Il s’agit-là d’une dimension
que les stratèges, trop occupés à présenter le Hezbollah comme
un simple instrument étranger, syrien et/ou iranien, semblent
avoir négligé.
La troisième raison réside dans le
soutien et les réseaux dont bénéficie ce parti auprès du reste
de la population, toutes confessions confondues.
Il faut souligner que si l’agression israélienne a facilité dans
un premier temps la mise en cause de l’autonomie militaire du
Hezbollah (accusé de l’avoir déclenché) auprès d’une partie de
l’élite politique, l’ampleur des destructions et des mouvements
de population que cette même agression a suscitée a aussi, à
l’inverse, contribué à légitimer le maintien de l’arsenal
militaire auprès d’une autre partie de la population libanaise.
C’est cette conception qui s’est
réimposée à la tête de l’Etat libanais comme en témoignent aussi
bien les déclarations du nouveau président libanais que la
feuille de route du nouveau gouvernement. Pour beaucoup en
effet, l’ampleur de cette agression et le fait qu’elle ait été
manifestement préméditée constitue la preuve, non seulement de
la permanence du risque stratégique que le régime israélien fait
peser sur le Liban, sa population et son intégrité territoriale
mais aussi – comparativement au sous-équipement de l’armée
régulière – de la capacité du Hezbollah à y faire face.
La quatrième raison réside dans le
rapprochement inattendu du Hezbollah et du Courant patriotique
libre (CPL), dirigé par le général Aoun (un opposant de longue
date à la domination syrienne sur le Liban). Sans être à
proprement parler un parti confessionnel, ce dernier n’en
constitue pas moins la formation la plus populaire chez les
chrétiens du pays. En février 2006, alors que les deux partis
connaissaient une marginalisation commune, ils avaient signé un
« document d’entente » s’apparentant à un véritable programme
pour la reconstruction politique du pays.
Issu de multiples convergences, ce ralliement et celui de la
quasi-totalité de la gauche laïque et panarabe ont empêché
l’isolement du Hezbollah sur la scène politique libanaise tout
en formant à partir de septembre 2006 un front relativement
cohérent face aux offensives israéliennes et américaines.
En fait et paradoxalement, le retrait syrien du Liban a permis
la reconstruction, dans une large partie de la population
(regroupée autour de « l’opposition »), d’un nouveau consensus
anti-impérialiste et souverainiste, fondé tant sur le refus de
l’occupation syrienne que de la tutelle américaine, israélienne
ou encore saoudienne.
Ce consensus repose sur le soutien à
la Résistance incarnée par le Hezbollah, le respect de
l’indépendance nationale du Liban par la Syrie, le maintien sur
cette base du Liban dans l’environnement stratégique syrien
(l’interdépendance économique et stratégique des deux pays étant
perçue comme inhérente à leur survie réciproque) et la
reconstruction de l’Etat libanais comme Etat social unifié,
démocratique et multiconfessionnel, assumant son arabité.
Rendu possible par le retrait syrien,
dont le Hezbollah a rapidement pris acte, ce rapprochement entre
le nouveau leadership chrétien maronite et le parti de Hassan
Nasrallah constitue pour nombre de commentateurs un tel
paradoxe, une telle remise en cause des postures dominantes,
qu’il est à proprement parler indicible, presque totalement
passé sous silence, au mieux compris comme un rapprochement
purement opportuniste et temporaire.
Les deux années qui viennent de
s’écouler ont au contraire montré que cette entente avait su
résister à toutes les tentatives de la faire échouer, qu’elle
était durable et qu’elle semblait même s’approfondir avec le
temps, tel un nœud qui se durcit à chaque fois qu’on essaie de
le défaire.
La forte base sociale dont bénéficie le général Aoun en milieu
chrétien, loin de s’être réduite, paraît plutôt s’élargir,
contrairement à toutes les prévisions. Plus proche désormais
d’une alliance, elle en est venue à constituer une donnée
structurelle de l’espace politique libanais et proche-oriental.
En lui-même, le front qui s’est
constitué autour de la « Résistance » constitue donc une preuve
cinglante des erreurs d’analyse auxquelles conduisent les
« lunettes » habituellement endossées par les médias européens
pour lire la réalité politique et sociale du monde
arabe. Héritées d’une vision orientaliste, elles conduisent tant
à sur-dimensionner les clivages religieux, qu’à méconnaître la
complexité de l’espace formé par les organisations islamiques.
Depuis lors, le camp pro-américain au
Liban n’a pas réussi à imposer le tournant attendu. La lutte
politique (parfois militaire ou clandestine) continue de faire
rage comme en témoigne l’attentat qui a couté la vie, courant
septembre, à un proche collaborateur de T. Arslan (opposition)
ou les derniers attentats contre l’armée, dans le nord du Liban.
Parallèlement pourtant, un changement de perspective vis-à-vis
de la Syrie et des acteurs libanais se confirme de jour en jour,
suscitant des repositionnements plus ou moins spectaculaires
dans le jeu libanais.
L’option militaire ayant
lamentablement échoué, le nouveau jeu diplomatique semble
désormais consister à raccrocher le régime syrien au nouvel
ordre régional, via Paris. On fait donc miroiter à la Syrie une
stabilisation du front libanais ainsi qu’un retrait du Golan, le
tout en échange de la rupture de ses accords de défense avec
l’Iran, l’arrêt du soutien qu’elle est supposée fournir au
Hezbollah et à la résistance palestinienne et son implication
dans un ensemble (l’Union pour la Méditerranée, UPM) très
clairement dirigé contre l’Iran et les rivaux stratégiques des
puissances atlantiques. Mais les discours occidentaux masquent
mal ce qui s’apparente surtout à une fragilisation des positions
américaines (qui risque de s’accentuer avec la crise financière
puis économique), laquelle se superpose à la réaffirmation de la
Russie (manifeste depuis cet été) et au renforcement des
alliances que cette dernière entretient avec les rivaux
stratégiques des puissances atlantiques (Syrie notamment).
Le bouleversement des jeux régionaux
qui découle de cette situation nouvelle se décline très
directement au niveau local, particulièrement au Liban. La
contre-offensive limitée du Hezbollah et de ses alliés en mai
dernier (manifestement coordonnée avec l’armée libanaise
régulière et dirigée contre les milices loyales aux familles
Hariri et Jumblatt) a constitué le facteur déclenchant des
repositionnements qui s’effectuent en ce moment même dans le
pays. Etats-Unis et Arabie Saoudite paraissent avoir
successivement levé les obstacles qu’ils posaient à l’élection
du président Suleiman, à la formation du gouvernement d’union
nationale demandé par l’opposition depuis près de deux ans, à la
réforme de la loi électorale et à l’établissement de relations
cordiales entre la Syrie et le Liban (accords de Doha).
Dès juin, Walid Jumblatt rompait
avec une rhétorique très agressive pour affirmer que la
reconstruction de l’Etat n’était pas incompatible avec le
maintien des acquis de la Résistance tandis que le clan Hariri
se résignait courant septembre à renouer avec le Hezbollah dans
le cadre d’un processus national dit de « réconciliation ». Plus
que jamais – et c’est là le résultat inattendu du retrait syrien
- Hassan Nasrallah et le Hezbollah sont donc placés au centre du
jeu politique libanais, au grand dam des israéliens qui ne
cessent depuis lors de menacer l’ensemble pays, sa nouvelle
direction et son armée d’actions militaires
« disproportionnées ».
L’Iran
Le second Etat hostile aux stratégies
américaines et placé au cœur même de la zone en question est
l’Iran. Il faut souligner plusieurs éléments importants le
concernant. Ils permettent de comprendre à la fois les
convoitises dont il fait l’objet et les dynamiques complexes qui
le caractérisent.
La position stratégique de l’Iran est
évidemment centrale. C’est un Etat qui, pour la région,
bénéficie d’une profondeur stratégique très appréciable. Il est
situé en plein centre de la zone allant de la méditerranée
orientale à l’Inde. Son sol renferme d’importantes ressources
pétrolières et gazières. Il a un accès large et privilégié au
Golfe « Persique », débouché essentiel des matières premières
extraites de la zone et par conséquent la possibilité de
perturber la circulation des hydrocarbures.
Il a encore un accès privilégié à la
Mer Caspienne, elle-même considérée comme zone d’importantes
réserves de gaz notamment. Dans la guerre de l’énergie qui
ravage actuellement le Moyen-Orient, l’Iran actuel constitue
ainsi un atout essentiel pour une alliance stratégique
concurrente autour de la Chine, de l’Inde, de la Russie ou même
du Venezuela. Des Etats-Unis ou d’Europe, mais aussi d’Israël ou
d’Arabie Saoudite, la durabilité de la République islamique est
donc perçue comme une entrave majeure au nouvel ordre régional
auquel aspire la coalition formée autour des néoconservateurs.
Au delà de la nature religieuse du
régime iranien, ce dernier s’inscrit dans un continuum politique
et stratégique axé sur la préservation de son indépendance et de
son unité vis-à-vis des puissances impériales. Après avoir subi
les assauts des britanniques et des russes, les iraniens ont
subi, dès les années 1950, les assauts américains. En 1953, les
USA et la Grande-Bretagne ont imposé, via la CIA, un changement
de régime et la mise à l’écart de Mossadegh, qui avait
nationalisé les ressources pétrolières. Ils ouvraient ainsi la
voie au rétablissement de la monarchie et à l’instauration d’un
régime à la fois autoritaire, aristocratique et pro-occidental.
Jusqu’en 1979, l’Iran constitue ainsi l’un des piliers du
dispositif américain au Moyen-Orient. La chute du régime en 1979
constitue de ce point de vue une perte considérable.
Au-delà toujours de sa nature
religieuse, le régime iranien s’inscrit par ailleurs dans un
continuum modernisateur, centré sur une aspiration au
développement social, économique et technologique. D’une
certaine façon, le « régime des mollahs » a poursuivi une
modernisation autoritaire du pays. Le pays s’est fortement
urbanisé et, sous couvert d’un conservatisme religieux apparent,
les structures sociales du pays ont été profondément
transformées (comme en témoigne par exemple l’accès massif des
femmes à l’éducation, à l’université et au monde professionnel).
Le régime iranien actuel repose ainsi sur un apparent paradoxe
que résument parfaitement les expressions « République
islamique » et « Révolution islamique ».
Or, le rapport que les puissances
« atlantiques » entretiennent à l’égard de l’Iran est
inséparable du tropisme tiers-mondiste (soutien aux résistances
arabes qu’elles soient chiites ou sunnites),
anti-impérialiste et socialisant du régime (« welfariste » pour
reprendre l’expression de J.-F. Bayart). Ces dimensions, au-delà
des questions stratégiques, le rapprochent effectivement tant de
la Chine que de l’Inde, de l’Amérique latine ou d’autres
organisations issues du monde arabe.
Tout indique ainsi que ce n’est pas tant la nature religieuse ou
fondamentaliste du pouvoir central iranien, ni même les
atteintes aux droits de l’homme dont il est coupable qui
indisposent les Etats occidentaux, que la combinaison de ces
dimensions géopolitiques et tiers-mondistes /
anti-impérialistes. De fait, ni le conservatisme aristocratique
de l’Arabie Saoudite ou d’autres Etats du Golfe ni les multiples
violations des droits de l’homme dont se rendent coupables de
nombreux Etats de la région ne suscitent autant de virulence,
pour peu qu’ils apparaissent « modérés »… vis-à-vis des
perspectives américaines et israéliennes relatives au « Grand
Moyen-Orient » et à l’établissement d’une tutelle Atlantique sur
cette région.
L’aversion européenne, américaine
mais aussi saoudienne pour l’Iran prend donc d’autant plus
d’importance que ce pays en est venu, d’une certaine façon et
paradoxalement, à reprendre à son compte un certain nombre des
fondamentaux du nationalisme arabe, eux-mêmes abandonnés par des
régimes clientélisés. Auprès des opinions publiques de la
région, rien n’indique alors que les puissances atlantiques et
l’Arabie Saoudite parviendront à réimposer le prisme au
fondement de la géopolitique impériale, celui qui voudrait que,
comme puissance à la fois perse et chiite, l’Iran soit
« fatalement » conduit à se comporter comme l’ennemi héréditaire
des Arabes.
Au contraire, l’Iran en est arrivé à
constituer, pour nombre d’acteurs locaux par ailleurs en
parfaite opposition avec les logiques djihadistes de type
Alqaida,
l’une des matrices de la résistance politique et stratégique
au « nouveau Moyen-Orient » - celui que tentent d’imposer depuis
2001 américains, israéliens mais aussi saoudiens - et apparait
bien, en ce sens, comme un facteur de stabilisation du
Moyen-Orient.
Les raisons invoquées contre l’Iran et leurs significations
Dans le contexte décrit précédemment,
trois raisons sont très souvent invoquées pour justifier
l’invasion de ce pays ou, à tout le moins son agression
militaire et politique en vue d’y imposer un « changement de
régime » : les droits de l’homme et la démocratisation ; la
volonté qu’animerait l’Iran de se procurer l’arme nucléaire et
donc un potentiel de « destruction massive » ; la volonté
hégémonique qui caractériserait le régime, laquelle viserait à
la fois Israël, le monde arabe, les Etats-Unis et l’Europe.
A suivre…
Willy Beauvallet, Docteur en science politique
La « question
iranienne » : politiques du Moyen-Orient et ... (2/2)
Publié le 18 novembre 2008 avec l'aimable
autorisation d'Oumma.com
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