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ISM Italia
Je
persiste à croire à l'action de masse, consciente, constante,
méticuleuse et démocratique
Wasim Dahmash publié par ISM-Italia, 22 octobre 2007
Je persiste à croire à l’action de masse, consciente,
constante, méticuleuse et démocratique, qui, comme en cette année
1987 désormais loin derrière nous, a conduit à cette
insurrection populaire non armée et non violente, qui avait
effrayé les dirigeants de l’OLP et le gouvernement Shamir au
point d’inciter les uns et les autres à entreprendre des
actions visant à porter l’affrontement sur le terrain
militaire.
Dans un article paru dans la presse immédiatement après
la victoire du Hamas aux élections de l’ainsi dite “Autorité
Nationale Palestinienne” (ANP), j’écrivais : « Dans
le système d’occupation, le rôle du Fatah n’est pas remis en
cause par la victoire électorale du Hamas. Le Fatah continue à
avoir un rôle hégémonique dans les territoires occupés. Les
risques d’une guerre fratricide en sont augmentés. Les
dirigeants israéliens font de leur pire pour parvenir à ce résultat.
A ce sujet, il convient de rappeler qu’après la victoire du
Hamas aux élections administratives, l’ANP a subi de fortes
pressions américaines et israéliennes visant à lui interdire
d’ajourner les élections législatives. Il faut aussi rappeler
qu’aux élections en vue de la présidence de l’ANP, après la
mort d’Arafat, les sièges électoraux étaient restés ouverts
durant deux heures supplémentaires, au-delà de l’heure de
fermeture prévue, et exclusivement aux hommes des services
secrets et de la police du Fatah / ANP, au motif de « raisons
de service » et de leur permettre de voter.
« Comment se fait-il donc que l’on n’ait pas jugé
nécessaire une telle prolongation, cette fois-ci ? Une fois
les élections terminées, l’homme fort du Fatah se retrouvant
à la tête de l’ANP, un éventuel « gouvernement »
Hamas pourra contrôler les formations militaires de l’ANP
elle-même, à savoir la police et les nombreux services secrets,
composés exclusivement d’hommes des diverses factions du Fatah ?
Il y a suffisamment d’éléments pour penser que les puissances
qui soutiennent activement la politique israélienne, et au
premier chef les Etats-Unis, encourageront le Fatah à prendre des
initiatives contre le « fondamentalisme » et le
« terrorisme », pour démontrer l’existence de
forces « laïques » dans la société palestinienne et
faire émerger celles-ci. La crainte que divers secteurs de
l’organisation palestinienne ne se sentent autorisées à agir
en recourant aux techniques déjà expérimentées avec succès en
Algérie, est une crainte tout-à-fait réaliste. » [Politica
domani, février 2006]. Hélas, au résultat tellement redouté et
largement prévu d’un affrontement armé entre le Hamas et le
Fatah, nous y sommes ! Ce n’est pas une quelconque fainéantise
mentale qui m’amène à proposer à nouveau ces quelques réflexions.
Non, la raison, c’est le fait que le scénario d’aujourd’hui
est, tout simplement, celui qui s’était profilé alors, et que
beaucoup d’auteurs palestiniens avaient décrit dès 1993.
L’affrontement entre les deux factions est un motif supplémentaire
pour pousser les Palestiniens au désespoir.
Ce désespoir ne naît pas de la conscience – constatée
jour après jour sur le terrain – de la volonté qui est celle
de l’establishment israélien de déposséder totalement les
Palestiniens de leur patrie historique, de les chasser, de les
disperser et, si nécessaire, de les exterminer. Non ; il naît
du sentiment de solitude, d’abandon, dans lesquels les
Palestiniens ont été laissés, à partir de la Première guerre
mondiale, c’est-à-dire à partir du moment où a débuté
l’occupation de leur terre et où ont commencé l’implantation
des colonies, l’expulsion et la destruction de la société
palestinienne. Aujourd’hui, ce sentiment de solitude est plus
net : les Palestiniens se sentent abandonnés y compris par
eux-mêmes. Les affrontements entre les deux factions – Fatah /
ANP vs Hamas – a fait perdre à ce dernier une crédibilité
qu’il semblait pourtant avoir conquise grâce à son écrasante
victoire électorale de l’année dernière. L’erreur, de la
part du Hamas, ne réside pas dans le fait d’avoir accepté les
provocations des milices collaborationnistes du Fatah / ANP ;
en effet, elle remonte plus haut. Le fait d’avoir participé à
des élections tenues sous le régime des accords d »’Oslo,
stipulées entre le Fatah et la puissance occupante, a tout
simplement signifié l’acceptation des limites imposées par
lesdits accords à l’action politique palestinienne.
L’ANP, née sur la base de ces accords, n’est pas
amendable. Elle n’est pas réformable, en dépit des illusions
des dirigeants du Hamas ayant décidé de participer à ces élections,
et comme se le figurent encore aujourd’hui de trop nombreux
Palestiniens. L’ANP est, désormais, un engrenage central du mécanisme
de l’occupation, sans lequel celle-ci cesserait de fonctionner.
L’invitation à dissoudre l’ANP qu’ont adressée certains
intellectuels palestiniens au Hamas, après les élections, est
une requête romantique, irréalisable. Elle équivaut à demander
à l’occupant de bien vouloir avoir l’amabilité de mettre fin
à l’occupation. La requête de dissoudre l’ANP peut devenir
plausible, à condition qu’elle soit adoptée comme objectif de
la lutte pour l’autodétermination, une fois éclairci le point
que cet organe palestinien n’est rien de plus qu’un instrument
de l’occupation israélienne. Même le Palestinien le plus ingénu
qui soit ne pense pas que les affrontements actuels opposeraient
on ne sait trop quels « intégristes extrémistes » et
« modérés laïques », ou encore qu’il s’agirait
d’une confrontation politique qui aurait dégénéré en conflit
armé. Le Fatah n’est en rien le pendant « laïc »,
bien que corrompue, du Hamas, qui n’est en rien
un mouvement « clérical », ou « intégriste » !
Les deux groupes sont nés dans des conditions similaires,
et ils ont des matrices communes. Le programme politique du Hamas,
tout du moins celui avec lequel le Hamas s’est présenté à
l’étranger, est le décalque, point pour point, du programme
initial du Fatah, puis de celui de l’OLP, mais les deux groupes
ont eu des parcours divergents. Le Fatah est perçu,
aujourd’hui, comme à la merci des mafias placées au pouvoir
dans les pays arabes par le système colonial. Le pouvoir colonial
a, en effet, partout, élevé, dressé, éduqué des groupes
d’indigènes qui adoptent le costume, les mœurs, les
comportements, le langage et la « culture » (appelons
ça comme çà !) du pays colonial concerné. Ces groupes, détachés
de leur ambitus social qu’ils apprennent à mépriser, sont
manifestement plus manipulables, en tous les cas plus ductiles et
malléables, et avec eux, quoi qu’il en soit, il est plus facile
de traiter.
L’adjectivation négative des indigènes non « acculturés »
a accompagné l’intervention coloniale dès son origine. Au XIXème
siècle, et dans la première moitié du XXème, l’adjectif
« fanatique » accompagnait régulièrement, dans la
presse et dans les discours politiques, le terme « musulman ».
De nos jours, on préfère « intégriste », « fondamentaliste »,
« terroriste », etc., et, à « musulman »,
a été substitué « islamique » ou « islamiste ».
Décrire en termes de « laïcité » ou de « cléricalisme »
les formations politiques ou les organisations terroristes, voilà
qui dénote une incapacité de lire les phénomènes politiques
propres au monde islamique, dans lequel l’histoire des rapports
entre « religiosité » et « pouvoir »,
à travers les diverses époques historiques, n’est en rien
l’histoire d’un rapport entre une « église » ou
un « clergé » (qui d’ailleurs n’existe pas) et un
« Etat », qui souvent n’existe pas et qui,
lorsqu’il existe, n’est pas perçu comme représentatif des
intérêts d’une « nation ». L’invocation de
valeurs islamiques présumées et de comportements islamiques présumés
de la part de certains mouvements politiques ne fait qu’exprimer
le besoin qu’ont les masses du sous-prolétariat de défendre
leur identité propre présumée, et peu importe si celle-ci est
quelque chose d’entièrement neuf, qui n’a jamais existé
auparavant !
L’échec des mouvements maximalistes et nationalistes
– où j’aurais tendance à classer le Fatah – est évident.
Les groupes issus de ces mouvements qui, dans certains cas, ont
guidé la lutte contre le colonialisme, une fois arrivés au
pouvoir, se sont transformés en instruments de l’impérialisme,
ou si l’on préfère, en « lobbies » de banquiers,
de dirigeants de multinationales, de l’industrie militaire américaine,
du marché cinématographique et éditorial, des commandements
militaires et des services secrets américains ou israéliens, etc….
Cette transformation a produit de nombreux enrichissements
– de fait, tous les dirigeants de ces mafias sont devenus
milliardaires – au prix de féroces répressions. Partout, la
coterie des collaborationnistes se sert de la terreur et de la
torture comme instruments de pouvoir, je dirais, presque de manière
idéologique. La torture est non seulement pratiquée, enseigne,
imposée, mais elle est même théorisée par certains
universitaires israélo-américains. Dans certains cas, elle est
admise légalement, comme dans la loi israélienne, qui stipule la
légitimité du recours à des « pressions physiques »
et, après les attentats de New York, y compris dans l’arsenal légal
des Etats-Unis. On sait que la torture est largement employée
pour terroriser les populations asservies, mais le fait de la légaliser
n’en demeure pas moins extrêmement grave. On ne saurait
concilier les expectatives populaires avec les choix politiques de
bourreaux, fussent-ils « patriotes ».
Tout le monde comprend bien qu’à Gaza, les milices
collaborationnistes du Fatah / ANP, entraînées en Egypte par des
instructeurs américains et israéliens, ont reçu d’importantes
quantités d’armes dans le but de provoquer une confrontation
avec les milices du Hamas. L’affrontement militaire, dans
l’optique israélienne, vise à créer un nouvel état de fait,
des faits accomplis irréversibles : la séparation de Gaza,
du point de vue politique, outre l’aspect géographique,
d’avec le reste des territoires occupés. Il suffit de regarder
la carte des implantations israéliennes et des zones militarisées
fermées pour remarquer aisément de quelle manière Israël procède
pour grignoter le territoire et enfermer progressivement la
population palestinienne dans des zones fermées : Gaza au
sud, une zone au nord de la Cisjordanie, autour de Naplouse, et
une autre, dans le triangle Hébron-Bethléem-Jéricho. Ces deux
dernières zones sont, à leur tour, fragmentées en une série de
colonies israéliennes édifiées sur le sommet des collines et
reliées entre elles de façon à constituer un système de contrôle
militaire du territoire.
Le mur en cours de construction autour de ces zones
devrait servir à renfermer définitivement les indigènes restés
sur place, dans l’attente de conditions plus favorables à leur
expulsion. A l’intérieur des enceintes ainsi créées, une
autorité indigène, financée, armée par l’étranger et en dépendant,
rendrait plus simple le contrôle d’une population irrédentiste.
L’objectif, à court terme, est de déplacer le conflit sur le
terrain palestinien. Dans une phase transitoire, les zones indigènes
fermées pourraient servir à faire surgir une structure étatique
palestinienne éphémère. Cela permettrait, entre autres choses,
et dans le cadre d’un programme d’ « échange de
populations », de « transférer » les ainsi-dits
« Arabes israéliens », c’est-à-dire les
Palestiniens restés dans les territoires où a surgi l’Etat
d’Israël. Toutefois, les résultats obtenus jusqu’ici ne
satisfont pas le gouvernement israélien, qui ambitionne de précipiter
les Palestiniens dans une véritable guerre civile. Le scénario
est le même que celui qui avait été expérimenté avec le succès
que l’on connaît, au Liban, ou encore, aujourd’hui, en Irak.
Les options pratiques sont nombreuses : faire exploser des
voitures piégées contre des objectifs appartenant aux milices
collaborationnistes et en attribuer la responsabilité au Hamas,
afin d’inciter les milices du Fatah/ANP à une réaction encore
plus sanguinaire, comme l’assassinat de quelque chef
collaborateur, afin de pousser ses affidés à le venger, etc.
L’assassinat aux fins de modifier le scénario politique est un
instrument utilisé de manière très large et constante par le
système du pouvoir israélien. Les exemples abondent. Le plus
connu est celui de l’assassinat de Bashir Gemayel, en 1982.
Gemayel avait été financé par les Américains, en vue
de la mise sur pied de sa milice. Les miliciens des ainsi dites
« Forces Libanaises », plus connus sous l’intitulé
de « phalangistes », avaient été formés en Israël.
L’armée israélienne ayant envahi le Liban, Gemayel avait été
nommé président de la République, et immédiatement tué dans
un attentat dont on n’a jamais découvert ni les exécutants, ni
les mandants. Les milices phalangistes avaient été incitées,
par les troupes israéliennes qui assiégeaient les camps de réfugiés
palestiniens de Sabra et Chatila, à Beyrouth, à venger leur chef
assassiné en participant au massacre de triste mémoire perpétré
dans ces deux camps. Les affrontements entre les milices du
Fatah/ANP et le Hamas fournissent un nouvel alibi pour occulter
les responsabilités historiques israéliennes dans la création
des conditions inhumaines dans lesquelles croupissent des millions
de Palestiniens.
Ces responsabilités, qui perdurent encore aujourd’hui,
n’atténuent en rien celles des dirigeants des deux groupes armés
palestiniens, et en particulier pas celles des dirigeants du
Fatah, la formation qui a en permanence joui de la structure la
plus solide, de la sympathie de la majorité des Palestiniens et
du soutien économique des gouvernements arabes, et aujourd’hui,
y compris du soutien économique israélien, américain et européen.
Lorsqu’on parle des responsabilités du Fatah, il faut bien
entendu faire le distinguo entre le comportement honnête et la
bonne foi de milliers de militants, qui, avant la signature des
(tristement) célèbres accords d’Oslo, s’étaient faits les
porteurs des souffrances et des aspirations des masses, et celui
des dirigeants en exil, qui ont liquidé la longue lutte du peuple
palestinien en échange d’un pouvoir éphémère. Les
responsabilités du groupe dirigeant du Fatah/ANP ne se limitent
pas purement et simplement à la répression, pour le compte de la
puissance occupante, de ceux qui se battent en vue de la libération
et de la justice.
Le pouvoir du Fatah s’est distingué par la
collaboration des milices (les ainsi-dits services de sécurité)
de l’ANP avec les services israéliens, par la pratique de
l’incarcération et de la torture à mort des prisonniers
politiques. Les responsabilités vont encore bien au-delà,
jusqu’à investir et à frapper la totalité du processus de libération
des peuples palestinien et israélien, ainsi que des peuples
arabes, dans la mesure où la collaboration du groupe Fatah au
pouvoir au projet de « grand Moyen-Orient » imaginé
par les ainsi-dits « néocons » aujourd’hui au
pouvoir aux Etats-Unis et en Israël, a mis au service des
gouvernements israélien et américain un appareil administratif
et policier capable d’influer sur les dynamiques en action, tant
sociales que politiques.
La désarticulation du mouvement palestinien de libération,
évidente dans les accords passés entre le Fatah et les
gouvernements israéliens successifs depuis 1993, a été acceptée
non tant en raison d’une cécité politique que d’un appétit
de pouvoir d’un groupe impatient de détenir un pouvoir quel
qu’il fût, et effrayé par la montée en puissance d’un
mouvement de masse dans les territoires occupés. Pendant qu’une
délégation palestinienne unitaire participait, en plein jour et
avec la bénédiction de l’OLP, aux négociations de Madrid,
puis de Washington, et rendait compte publiquement, dans les
territoires occupés, de la marche des négociations, la camarilla
du Fatah stipulait dans le plus grand secret à Oslo, de surcroît
aux conditions israéliennes, des accords qui, de fait, mettaient
la plus importante faction politico-militaire palestinienne à la
merci de l’occupation israélienne et – encore plus grave –
introduisait dans les territoires occupés, à travers la
constitution de la police de l’ANP, une énorme quantité
d’armes et d’hommes armés provenant de l’étranger, dans le
but manifeste de déplacer sur la scène militaire la
confrontation entre le mouvement – non armé et pacifique – de
la résistance populaire palestinienne et l’armée
d’occupation.
L’implantation
de l’administration Fatah / ANP a créé de nouvelles dynamiques
sociales
Dans une situation caractérisée par une misère noire,
un solde, aussi minable soit-il, est pour un milicien une bouchée
d’oxygène permettant à toute sa famille de vivre. Ce solde
n’est donné, bien évidemment, qu’à ceux qui « obéissent ».
Le commerce, et donc la vente de produits à l’étranger,
fondamental pour n’importe quelle économie, et a fortiori pour
une économie assiégée, passe nécessairement par des « agences »
créées par des chefs du Fatah / ANP ou leurs enfants et épouses
– des « agences » soumises au contrôle du
gouvernement d’occupation. Le gouvernement israélien, tout en
percevant les taxes indirectes et directes des Palestiniens, n’a
jamais payé les coûts de l’administration et de l’occupation
des territoires palestiniens. Les coûts induits par les services,
les écoles, les hôpitaux, les administrations communales, les
routes et communications, la voirie et tout le reste ont toujours
été payés par le travail des Palestiniens vivant tant dans les
territoires occupés que dans le reste du monde.
Les financements extérieurs – on l’a vu de manière
très claire après les affrontements entre le Fatah et le Hamas
– servent exclusivement à équiper les milices armées et à créer
des prébendes que les mêmes milices sont formées et armées à
défendre. Formellement, les financements étrangers devraient
couvrir les coûts de l’administration, et sont versés dans le
but déclaré de faciliter le processus de paix qui devrait
aboutir à réaliser la séparation entre Israéliens et
Palestiniens, reléguant ceux-ci dans une réserve d’Indiens. A
ce sujet, il convient de souligner que cette doctrine séparatiste
[du ‘divorce’ entre les deux peuples, ndt] est une véritable
entourloupe. Bien loin de la libération et de la réconciliation
entre Palestiniens et Israéliens, ce sont des idées de divorce,
de séparation et de ségrégation qui sont popularisées, et qui
alimentent les conflits, bien loin de les éteindre, tout en créant
des situations difficiles à dépasser et aux conséquences imprévisibles
sur un niveau plus général, comme la construction du « mur
de séparation », qui fait des Palestiniens, c’est-à-dire
des habitants autochtones de ce qui fut la Terre Sainte, des
intrus, un corps étranger à rejeter et à expulser à la première
occasion.
Ce mur a des effets néfastes non seulement pour les Israéliens
et les Palestiniens, mais aussi sur le concept même de la
convivialité civique à l’échelle mondiale. Aujourd’hui, la
majorité des Palestiniens nous semble encore convaincue que la
libération réside dans la constitution d’un « Etat ».
Voilà qui déplace les termes de l’équation : cela place
cette question avant l’autre question, autrement plus urgente,
des droits fondamentaux de l’Homme, cela fait oublier qu’un
« Etat » n’a de raison d’être que pour peu
qu’il est garant de droits, qu’il est un « Etat de droit ».
Les Palestiniens ont été tirés sur le terrain insidieux de la
partition et de l’exclusivisme, et appelés à répondre à des
questions marginales visant à éluder le vrai problème :
celui de l’occupation de leur terre, de l’expulsion de la
majorité d’entre eux, de la dispersion de leur société, de
l’éradication de la Palestine de la carte. Avant l’Etat, et
avant toute autre question, ce dont les Palestiniens ont besoin,
c’est de droits : droit à la vie de chaque personne
palestinienne, droit à l’intégrité physique – contrairement
à la législation israélienne en vigueur aujourd’hui –,
droit à vivre sur son propre territoire – qui, de toute évidence,
contraste avec la loi israélienne sur la « judaïté de la
terre » et sur la « propriété des absents » -,
droit au logement – et non celui de voir détruire sa maison
sous ses propres yeux –, droit à la libre circulation dans son
propre pays, l’Isratine [je me plais à forger ce mot nouveau à
partir d’‘Israël’ et de ‘Palestine’, ndt], au travail,
aux études, droits civiques et droits politiques. Tout discours
qui tend à dévier l’attention loin des droits fondamentaux est
trompeur et doit être rejeté, y compris le discours sur les
frontières et sur les bantoustans. Les heurts entre le Hamas et
le Fatah / ANP ont non seulement lésé la crédibilité des deux
formations, mais mis en évidence l’inanité de la formule
« deux Etats pour deux peuples ». N’est certainement
pas étranger, à la perte de crédit du vieux projet politique de
l’OLP, l’usure mise en scène par le gouvernement israélien
à travers un processus de négociation inégal, dont l’objet
est la spoliation aux Palestiniens de leur espace physique.
La cohabitation avec le système de l’occupation
transforme nécessairement le partenaire en collaborateur. Je
persiste à croire en l’action de masse, consciente, constante,
méticuleuse, démocratique qui a conduit, comme en cette année
1987 désormais lointaine, à cette insurrection populaire non armée
et non violente, qui avait épouvanté la direction de l’OLP et
le gouvernement Shamir au point de les inciter à des actions
visant à déplacer l’affrontement sur le ring militaire.
Aujourd’hui, le désarmement des formations militarisées est
devenu une nécessité impérieuse, vitale pour le peuple
palestinien, en commençant par les bandes les plus dangereuses :
les multiples services secrets hétéroclites de l’ANP. Cela
semble un objectif utopique et inatteignable. Cela ne sera
certainement pas une promenade de santé, mais un processus long,
difficile, à l’issue incertaine. Il sera difficile d’isoler
les collaborationnistes armés, parce que, dans la situation de
misère où en sont réduits les Palestiniens, les milices
continuent à percevoir des financements rondelets de l’étranger
– raison pour laquelle elles continueront à trouver en
permanence de nouvelles recrues.
Il est toutefois plus réaliste de parler de désarmement
et de réconciliation que de structures étatiques trompeuses, armées
à seule fin d’aider à la réalisation du rêve sioniste d’hégémonie
sur une soi-disant « terre sans peuple ». Le désarmement,
non seulement des Palestiniens, mais aussi des Israéliens, est
possible, et permettrait une coexistence civile entre les deux
populations présentes sur le territoire de la Palestine
historique, c’est une perspective réaliste et atteignable du
simple fait que l’immense majorité des Israéliens et des
Palestiniens veut vivre, travailler, élever ses enfants en paix,
c’est une perspective dans un sens diamétralement opposé à la
politique des dirigeants israéliens, des collaborationnistes
palestiniens et de leurs sponsors américains, qui bercent
d’illusions les masses, avec leurs promesses de paix armée,
tandis qu’ils créent, sur le terrain, les conditions rendant
toute paix à jamais impossible.
Traduit de l’italien par Marcel Charbonnier
[* professeur à l’Université de Cagliari (Sardaigne
– Italie). Cet article a été publié dans la revue « L’Ernesto »]
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