« Sous nos yeux »
Obama II : la
purge et le pacte
Thierry
Meyssan
M. et Mme
Kerry, M. et Mme Assad, lors d’un
déjeuner privé,
dans un restaurant damascène, en 2009.
Mardi 27 novembre
2012 Disposant d’une
légitimité renforcée par sa réélection,
le président Barack Obama se prépare à
lancer une nouvelle politique étrangère
: tirant les conclusions de
l’affaiblissement économique relatif des
États-Unis, il renonce à gouverner seul
le monde. Ses forces poursuivent leur
départ d’Europe et leur désengagement
partiel du Moyen-Orient pour se
positionner autour de la Chine. Dans
cette perspective, il veut à la fois
distendre l’alliance russo-chinoise en
formation et partager le fardeau du
Moyen-Orient avec la Russie. Il est par
conséquent prêt à appliquer l’accord sur
la Syrie, conclu le 30 juin à Genève
(déploiement d’une Force de paix de
l’ONU principalement composée de troupes
de l’OTSC, maintien au pouvoir de Bachar
el-Assad s’il est plébiscité par son
peuple). Cette nouvelle politique
étrangère se heurte à de fortes
résistances à Washington. En juillet,
des fuites organisées dans la presse
avaient fait capoter l’accord de Genève
et avaient contraint Kofi Annan à la
démission. Le sabotage semble avoir été
ourdi par un groupe d’officiers
supérieurs qui n’admettent pas la fin de
leur rêve d’empire global.
À aucun moment cette problématique
n’a été évoquée lors de la campagne
électorale présidentielle, les deux
principaux candidats s’accordant sur le
même virage politique et ne s’opposant
que sur la manière de le présenter.
Aussi Barack Obama a t-il attendu le
soir de sa victoire pour donner le
signal d’une purge discrètement préparée
depuis des mois. La démission du général
David Petraeus de ses fonctions de
directeur général de la CIA a été
largement médiatisée, mais elle n’était
que le hors d’œuvre. Les têtes de bien
d’autres officiers supérieurs vont
rouler dans la poussière.
La purge touche d’abord le Commandeur
suprême de l’OTAN et commandant de l’EuCom
(amiral James G. Stravidis), qui termine
son tour, et son successeur prévu (le
général John R. Allen). Elle se poursuit
avec l’ex-commandant de l’AfriCom
(général William E. Ward) et son
successeur depuis un an (général Carter
Ham). Elle devrait emporter également le
patron du Bouclier antimissile (général
Patrick J. O’Reilly) et d’autres encore
de moindre importance.
Chaque fois, les officiers supérieurs
sont soit accusés d’affaires de mœurs,
soit de détournements de fonds. La
presse US s’est rassasiée de détails
sordides sur le triangle amoureux
impliquant Petraeus, Allen et la
biographe du premier, Paula Broadwell,
en passant sous silence que celle-ci est
lieutenant colonel du Renseignement
militaire. Selon toute vraisemblance,
elle a été infiltrée dans l’entourage
des deux généraux pour les faire tomber.
La purge à Washington a été précédée,
en juillet, de l’élimination de
responsables étrangers qui s’opposaient
à la nouvelle politique et étaient
impliqués dans la Bataille de Damas.
Tout s’est passé comme si Obama avait
laissé faire le ménage. On pense par
exemple à la mort prématurée du général
Omar Suleiman (Égypte) venu effectuer
des examens dans un hôpital états-unien,
ou à l’attentat contre le prince Bandar
ben Sultan (Arabie saoudite), sept jours
plus tard.
Il reste à Barack Obama à composer
son nouveau cabinet en trouvant des
hommes et des femmes capables de faire
accepter sa nouvelle politique. Il
compte surtout sur l’ancien candidat
démocrate à l’élection présidentielle et
actuel président de la Commission des
affaires étrangères du Sénat, John
Kerry. D’ores et déjà Moscou a fait
savoir que sa nomination serait
bienvenue. Surtout, Kerry est connu pour
être « un admirateur de Bachar el-Assad
» (The Washington Post) qu’il a
souvent rencontré dans les années
précédentes [1].
Reste à savoir si les démocrates
peuvent accepter de perdre un siège au
Sénat, et si Kerry prendra le
secrétariat d’État ou celui de la
Défense.
Dans le cas, où il prendrait le
département d’État, la Défense échoirait
à Michèle Flournoy ou à Ashton Carter
qui poursuivraient les restrictions
budgétaires en cours.
Dans le cas ou Kerry prendrait la
Défense, le département d’État
reviendrait à Susan Rice, ce qui ne
manquerait pas de poser quelques
problèmes : elle s’était montrée fort
discourtoise lors des derniers veto
russe et chinois, et ne paraît pas avoir
le sang froid pour ce poste. Au
demeurant, les Républicains tentent de
lui faire barrage.
John Brennan, connu pour ses méthodes
particulièrement sales et brutales,
pourrait devenir le prochain directeur
de la CIA. Il serait chargé de tourner
la page des années Bush en liquidant les
jihadistes qui travaillèrent pour
l’Agence et en démantelant l’Arabie
saoudite qui n’est plus d’aucune
utilité. À défaut, la mission serait
confiée à Michael Vickers, voire à
Michael Morell, l’homme de l’ombre qui
se tenait aux côtés de George W. Bush un
certain 11-Septembre et lui dicta son
comportement.
Le sioniste et néanmoins réaliste
Antony Blinken pourrait devenir
conseiller national de sécurité. Il
pourrait réveiller le plan qu’il avait
élaboré, en 99 à Shepherdstown, pour
Bill Clinton : faire la paix au
Proche-Orient en s’appuyant sur… les
Assad.
Avant même la nomination du nouveau
cabinet, le virage politique s’est déjà
concrétisé avec la reprise des
négociations secrètes avec Téhéran. En
effet, la nouvelle donne exige
d’abandonner la politique d’isolement de
l’Iran et de reconnaître enfin la
République islamique comme une puissance
régionale. Première conséquence : les
travaux de construction du gazoduc qui
reliera South Pars, le plus grand champ
gazier du monde, à Damas, puis à la
Méditerranée et à l’Europe ont repris ;
un investissement de 10 milliards de
dollars qui ne pourra être rentabilisé
qu’avec une paix durable dans la région.
La nouvelle politique étrangère d’Obama
II va bouleverser le Moyen-Orient en
2013 dans le sens inverse de celui
annoncé par les médias occidentaux et du
Golfe.
[1]
«
For besieged
Syrian dictator Assad, only exit may be
body bag
», par Joby Warrick et Anne Gearan,
The
Washington Post,
1er août 2012. Et lire la piètre mise au
point de Jodi B. Seth, porte-parole du
sénateur Kerry : «
Why John Kerry
tested engagement with Syria
», The
Washington Post,
5 août 2012.
Thierry
Meyssan
Intellectuel français,
président-fondateur du
Réseau Voltaire
et de la conférence
Axis for Peace.
Professeur de Relations internationales
au Centre d’études stratégiques de
Damas. Dernier ouvrage en français :
L’Effroyable imposture : Tome 2,
Manipulations et désinformations
(éd. JP Bertand, 2007).
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