« Sous nos yeux »
L'ASL continue de
briller comme une étoile morte
Thierry
Meyssan
Mercredi 26
décembre 2012 Alors
que la presse française annonce plus que
jamais la « chute imminente » de la
Syrie et la « fuite de Bachar el-Assad
», la réalité sur le terrain s’est
complètement retournée. Si le chaos
s’est étendu sur la plus grande partie
du territoire, les « zones libérées »
ont fondu comme neige au soleil. Privée
de points d’ancrage l’ASL n’a plus
aucune perspective devant elle, tandis
que Washington et Moscou se préparent à
sonner la fin de la partie.
Le compte à rebours est commencé. Dès
que la nouvelle administration Obama
sera confirmée par le Sénat, elle
présentera un plan de paix pour la Syrie
au Conseil de sécurité. Juridiquement,
bien que le président Obama se succède à
lui-même, son ancienne administration
n’est habilitée qu’à expédier les
affaires courantes et ne peux prendre
d’initiative majeure. Politiquement,
Barack Obama n’avait pas réagi lorsque,
en pleine campagne électorale, certains
de ses collaborateurs avaient fait
échouer l’accord de Genève. Mais il a
procédé au grand nettoyage dès l’annonce
de sa réélection. Comme prévu, le
général David Petraeus, architecte de la
guerre en Syrie, est tombé dans le piège
qui lui a été tendu et a été contraint à
la démission. Comme prévu, les patrons
de l’OTAN et du Bouclier antimissile,
réfractaires à un accord avec la Russie,
ont été mis sous enquête pour corruption
et contraints au silence. Comme prévu la
secrétaire d’État Hillary Clinton a été
mise hors jeu. Seule la méthode choisie
pour l’éliminer a surpris : un grave
accident de santé qui l’a plongée dans
le coma. Côté ONU, les choses ont
avancé. Le département des opérations de
maintien de la paix a signé un Protocole
avec l’Organisation du Traité de
sécurité collective (OTSC) en septembre.
Il a supervisé en octobre au Kazakhstan
des manœuvres de l’OTSC simulant un
déploiement de « chapkas bleues »
en Syrie. En décembre, il a réuni les
représentants militaires des membres
permanents du Conseil de sécurité pour
leur présenter la manière dont ce
déploiement pourrait avoir lieu. Bien
qu’opposés à cette solution, les
Français et les Britanniques se sont
inclinés devant la volonté
états-unienne.
Cependant, la France a tenté
d’utiliser le représentant spécial des
secrétaires généraux de la Ligue arabe
et de l’ONU, Lakdhar Brahimi, pour
modifier le plan paix de Genève en
fonction des réserves qu’elle avait
émises le 30 juin. En définitive, il
s’est prudemment abstenu de prendre
position, se contentant de transmettre
des messages entre les différentes
parties au conflit.
C’est que sur le terrain, le
gouvernement syrien est en position de
force. La situation militaire s’est
inversée. Les Français eux-mêmes ont
cessé d’évoquer les « zones libérées
» qu’ils aspiraient à gouverner via un
mandat des Nations Unies. Ces zones
n’ont cessé de se réduire, et là où
elles persistent, elles sont aux mains
de salafistes peu présentables. Les
troupes de l’ASL ont reçu instruction
d’abandonner leurs positions et de se
regrouper autour de la capitale pour un
assaut final. Les Contras espéraient
soulever les réfugiés palestiniens,
majoritairement sunnites, contre le
régime pluriconfessionnel, à la manière
dont les Hariri tentèrent au Liban de
soulever les Palestiniens sunnites du
camp de Nahr-el-Bared contre le
Hezbollah chiite. Comme au Liban ce
projet a échoué parce que les
Palestiniens savent très bien qui sont
leurs amis, qui se bat vraiment pour la
libération de leur terre. Concrètement,
dans la récente guerre israélienne de 8
jours contre Gaza, ce sont des armes
iraniennes et syriennes qui ont fait la
différence, tandis que les monarchies du
Golfe ne bougeaient pas le petit doigt.
Quelques éléments du Hamas, fidèles à
Khaled Mechaal et financés par le Qatar,
ont ouvert les portes du camp de Yarmouk
à quelques centaines de combattants du
Front de soutien aux combattants du
Levant (branche syro-libanaise d’Al-Qaida),
également liés au Qatar. Ils se sont
battus principalement contre les hommes
du FPLP-CG. Le gouvernement syrien a
demandé par SMS aux 180 000 habitants du
camp de quitter les lieux au plus vite
et leur a offert des hébergements
provisoires dans des hôtels, des écoles
et des gymnases de Damas. Certains ont
préféré rejoindre le Liban. Dès le
lendemain, l’armée arabe syrienne a
attaqué le camp à l’arme lourde et en a
repris le contrôle. 14 organisations
palestiniennes ont alors signé un accord
proclamant le camp « zone neutre
». Les combattants de l’ASL se sont
retirés en bon ordre et ont repris leur
guerre contre la Syrie dans la campagne
environnante, tandis que les civils
rejoignaient leurs maisons. Ils ont
retrouvé un camp dévasté où les écoles
et les hôpitaux ont été systématiquement
endommagés.
En termes stratégiques, la guerre est
déjà terminée : l’ASL a perdu le soutien
populaire dont elle a un moment jouit et
n’a plus aucune chance de l’emporter.
Les Européens pensent toujours qu’ils
peuvent changer le régime en corrompant
des officiers supérieurs et en
provoquant un coup d’État, mais ils
savent qu’il ne le pourront pas avec
l’ASL. Des Contras continuent à arriver,
mais le flux d’argent et d’armes se
tarit. Une grande partie du soutien
international s’est arrêté bien qu’on
n’en voit pas encore les conséquences
sur le champ de bataille, un peu comme
une étoile peut continuer à briller
longtemps après sa mort.
Les États-Unis ont clairement décidé
de tourner la page et de sacrifier
l’ASL. Ils lui donnent des instructions
stupides qui envoient les Contras vers
la mort. Plusieurs milliers ont été tués
le dernier mois. Simultanément, à
Washington, le National Intelligence
Council annonce cyniquement que le «
jihadisme international » va
prochainement disparaître. D’autres
alliés des États-Unis devraient
maintenant se demander si la nouvelle
donne ne suppose pas qu’on les sacrifie
aussi.
Thierry
Meyssan
Intellectuel français,
président-fondateur du
Réseau Voltaire
et de la conférence
Axis for Peace.
Professeur de Relations internationales
au Centre d’études stratégiques de
Damas. Dernier ouvrage en français :
L’Effroyable imposture : Tome 2,
Manipulations et désinformations
(éd. JP Bertand, 2007).
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