Réseau Voltaire
Le dossier des
mercenaires du Fatah al-Islam est clos
Thierry Meyssan *
Shaker al-Absi, chef du Fatah al-Islam, sur
une vidéo diffusée par la chaîne al-Jazeera.
Photo Réseau Voltaire.
Ancien colonel de l’armée de l’air jordanienne,
Shaker al-Absi était également adjoint d’al-Zarkaoui
en Afghanistan puis au Nord-Irak contrôlé par les États-Unis.
23
juin 2007 L’armée
libanaise a vaincu les mercenaires du Fatah al-Islam retranchés
depuis un mois dans le camp palestinien de Nahr el-Bred. Leur
reddition est une victoire pour le président Lahoud, tandis que
la mort de leur chef est un soulagement pour le clan Hariri qui
les avait indirectement engagés pour combattre le Hezbollah et
avait été contraint d’interrompre le versement de leurs soldes
à la demande du roi d’Arabie saoudite. Thierry Meyssan revient
sur cette opération secrète qui a mal tourné.
Les derniers survivants du Fatah
al-Islam ont annoncé un cessez-le-feu unilatéral, le 21 juin
2007 à 23 h 30. Elias Murr, ministre de la Défense du « gouvernement »
libanais, a confirmé le lendemain la cessation définitive des
combats au camp palestinien de Nahr el-Bared. À cette occasion,
il a confirmé que les insurgés avaient eu l’intention de créer
un mini-Émirat islamique au Nord du Liban. Au moins 143 personnes
(76 militaires libanais, 50 insurgés, 17 civils palestiniens) ont
péri au cours des 32 jours d’affrontement.
La presse occidentale s’est
montrée particulièrement mal à l’aise pour rendre compte des
évènements. Elle a hésité entre les rumeurs successives selon
lesquelles le Fatah al-Islam aurait été financé par le clan
Hariri, ou par le Hezbollah, ou par les services secrets syriens,
serait lié à la nébuleuse Al-Qaïda et serait responsable de
l’attentat contre un autobus à Ain Alaq. En définitive, les
journaux occidentaux ont repris la version qui les arrangeait,
selon leur couleur politique, sans travail de vérification.
C’est que la vérité n’est pas très reluisante.
L’existence du Fatah al-Islam
n’est attestée que depuis novembre 2006 [1],
bien que les autorités syriennes affirment qu’il s’est
constitué en août 2002 [2].
En définitive, il semble que le
Fatah al-Islam est né d’une scission à l’intérieur du Fatah
al-Intifada, un groupe palestinien soutenu par la Syrie, et
qu’il ait immédiatement fusionné avec un groupe informel venu
de Jordanie et constitué, lui, depuis août 2002.
En 2005, un conflit avait surgit
entre les deux principaux chefs du Fatah al-Intifada, le colonel
Abu Musa et Abu-Khalid al-Imlah. Ce dernier s’était alors retiré
chez lui et n’avait plus rendu compte de ses activités [3].
Informées de ce que Abu-Khalid al-Imlah recrutait hors de tout
contrôle de nouveaux combattants en utilisant les subsides
syriens, les autorités syriennes le firent arrêter et incarcérer [4].
Cependant, cette ingérence syrienne dans les affaires
palestiniennes suscita une vive contestation parmi les
Palestiniens et des démissions en cascade au sein du Fatah
al-Intifada. Finalement, la Syrie accepta de continuer à financer
le Fatah al-Intifada si Abu-Khalid al-Imlah en était exclu, et
les membres de cette organisation acceptèrent de rester dans le
giron syrien si Abu-Khalid al-Imlah était relâché, ce qui fut
fait [5].
Dès lors, chacun s’attendait à ce que les Palestiniens lavent
leur linge sale en famille.
À la mi-décembre, le Fatah
al-Islam reçoit le renfort de nouveaux combattants et prend le
pouvoir au sein du camp de Nahr el-Barid, au Nord du Liban. Les
porte-paroles du groupe insistent pour dire que les renforts sont
exclusivement composés de Palestiniens, venus de Syrie, de
Jordanie, d’Égypte, etc. Mais de nombreux témoins palestiniens
assurent que les renforts sont des mercenaires arabes ayant
participé à des combats en Irak.
Le leader du groupe est un des
hommes venus en renfort : Shaker al-Absi, un Palestinien résidant
en Jordanie. L’homme est connu depuis les années 50 pour ses
diatribes anti-US. Colonel dans l’armée de l’air jordanienne,
il a été condamné par contumace par un tribunal militaire pour
l’assassinat de Lawrence Foley, un agent de la CIA qui
travaillait à Aman sous couverture diplomatique de l’USAID, tué
le 28 octobre 2002 à la sortie de son domicile.
Or, selon le département d’État,
ce meurtre aurait été commandité par Abou Moussab al-Zarkaoui [6].
Ce dernier aurait vécu en Afganistan sous les Talibans. Il serait
revenu en Jordanie commettre son crime, puis aurait constitué un
groupe armé dans le Nord de l’Irak, dans la zone kurde
interdite de survol et contrôlée par les forces anglo-saxonnes.
Au cours de son célèbre discours
au Conseil de sécurité de l’ONU, le général Colin Powell
accusera Zarkaoui de fabriquer des poisons pour Saddam Hussein,
puis il admettra que c’était faux, ce mensonge servant à
justifier de l’invasion de l’Irak. Plus tard, Zarkaoui
deviendra l’icône d’Al Qaida dans la « triangle sunnite »
pour la presse occidentale, tandis que la Résistance dénoncera
ses liens avec l’Occupant. On lui attribuera toutes sortes de
crimes, dont l’exécution de Nick Berg [7].
Il serait mort en juin 2006. Bref, pour de nombreux observateurs,
Zarkaoui serait de longue date un agent provocateur des États-Unis
et par conséquent, un fort doute pèserait sur Shaker al-Absi qui
l’a suivi en Afghanistan et en Irak.
Le 13 février 2007, à la veille
de la commémoration de l’assassinat de l’ex-Premier ministre
Rafic Hariri, une double attentat détruit deux autobus et tue
leurs occupants à Ain Alaq, dans le fief de la famille Gémayel.
Un mois plus tard, six suspects (dont quatre de nationalité
syrienne) avouent avoir perpétré l’attentat, qui aurait dû en
principe toucher la permanence du parti fasciste Kataëb. Ils déclarent
tous appartenir au Fatah al-Islam [8].
Mais le groupe palestinien dément énergiquement [9]
Cependant, entre temps, le
journaliste états-unien Seymour Hersh publie un long reportage
sur le Fatah al-Islam dans le New Yorker [10].
L’auteur montre que le vice-président Dick Cheney, le
conseiller de sécurité nationale Elliott Abrams [11]
et l’ambassadeur à l’ONU Zalmay Khalizad ont planifié un réalignement
de la politique arabe des États-Unis en vue de l’attaque de
l’Iran. Désormais, les bons seront les sunnites et les méchants
seront les chiites. Dans ce contexte, le Conseil national de sécurité
financerait des groupes armés sunnites, à l’insu du département
de la Défense et de la CIA [12].
Le Fatah al-Islam serait l’un de ces groupes, mis en place avec
l’aide de Saad Hariri et du prince Bandar, le conseiller
national de sécurité séoudien. Sa fonction serait de déstabiliser
le pays et d’aider à éliminer le Hezbollah. Mais Saad Hariri
et ses amis démentent énergiquement [13].
Le problème est que,
contrairement à ses dénégations, Saad Hariri n’en est pas à
sa première manipulation de terroristes. Il est établi qu’en
juin 2005 il versa 48 000 dollars de caution pour la libération
de quatre terroristes d’Asbat al-Ansar, un groupe de mercenaires
musulmans ayant combattu en Afghanistan, en Bosnie-Herzégovine et
en Tchétchénie aux côtés des États-Unis contre les Russes.
Ils étaient impliqués dans les affrontements de Dinniyeh, en 1999 [14].
De même, le bloc parlementaire de Saad Hariri a voté
l’amnistie de Samir Geagea, le leader fasciste qui assassina le
Premier ministre Rashid Karame, ainsi que celle de 29 mercenaires
musulmans impliqués dans des tentatives d’attentat contre les
ambassades d’Italie et d’Ukraine à Beyrouth [15].
Mais le plan de réalignement est
remis en cause par le roi Abdahallah d’Arabie séoudite. Il reçoit
le 4 mars la visite de son homologue iranien, le président
Mahmoud Ahmadinejad. Les deux hommes sont conscients que
l’opposition politique entre populations chiites et sunnites est
artificielle, même si le contentieux théologique entre religieux
wahhabites et chiites est fort lourd [16].
Informé par la partie iranienne des initiatives du prince Bandar
pour financer le Fatah al-Islam, le roi lui interdit de poursuivre
l’opération [17].
Le lendemain, le président chiite de la Chambre des députés
libanaise, Nabih Berri, déclare que les violences sectaires au
Liban peuvent être réglées dans les 48 heures.
Sur instruction du procureur général
du Liban, les forces de sécurité reçoivent l’ordre
d’interpeller les membres du Fatah al-Islam. Compte tenu du
statut particulier des camps palestiniens, l’armée libanaise
n’entre pas à Nahr el-Bared, mais établi un cordon de sécurité
pour interpeller les suspects s’ils en sortent. De son côté,
l’OLP prend oficiellement ses distances avec le Fatah al-Islam
et dénonce les attentats d’Ain Alaq [18].
Les incidents entre le fatah al-islam d’une part, les groupes
palestiniens dans le camp et l’armée libanaise à l’extérieur,
d’autre part, se multiplient. La population du camp est prise en
étau [19].
Le 1er avril 2007, un rapport des
Forces intérieures de sécurité libanaises confirme que le Fatah
al-Islam est bien l’auteur des attentats d’Ain Alaq [20].
Il note que le groupe n’est pas aussi nombreux qu’il le laisse
entendre et que ses membres sont effectivement pour l’essentiel
des mercenaires recrutés dans les camps palestiniens du
Proche-Orient.
Les membres du Fatah al-Islam, qui
déclarent publiquement être des militants sans appui extérieur,
reconnaissent bientôt qu’ils touchaient jusque là une solde
mensuelle et que celle-ci est interrompue depuis la rencontre
Ahmadinejad-Abdallah. Leur traitement était versé via la banque
des Hariri (qui ne pouvait évidemment ni ignorer la provenance,
ni la destination de ces sommes). Le 19 mai, ils décident donc
d’aller chercher eux mêmes leurs soldes : ils attaquent la
banque des Hariri à Tripoli. L’armée intervient. Il y a 11
morts.
Le président de la République,
le général Emile Lahoud, considère que le moment est venu de désarmer
cette armée privée des Hariri qui menace la stabilité du pays.
Il ordonne l’intervention de l’armée libanaise. Au titre des
accords d’ex-territorialité, l’OLP autorise les Libanais à
entrer dans le camp. L’armée annonce qu’elle va attaquer et
demande aux civils de fuir. La plupart refusent, ne sachant où
aller. La bataille s’engage. Abandonné par ses anciens
employeurs, qui tentent de se refaire une virginité en les
conspuant, le Fatah al-Islam combat seul. Un groupe d’oulémas,
conduits par Fatih Yahkan, s’interpose et négocie l’évacuation
des civils. Les mercenaires refusent de se rendre et d’être
traduits en justice. Ils croient jusqu’au dernier moment que
ceux qui les ont fait entrer au Liban sauront les en faire sortir.
Erreur.
Leur mort efface les traces les
plus visibles de l’implication du clan Hariri. Ils avaient été
engagés pour combattre le Hezbollah. Il convenait de les
sacrifier pour clore ce dossier malheureux.
Thierry Meyssan
Journaliste et écrivain, président du Réseau
Voltaire.
[1]
La dénomination « Fatah al-Islam apparaît pour la première
fois dans Al-Nahar le 22 novembre 2006.
[2]
D’après le ministre syrien de l’Intérieur, Bassam
Abdul-Majid, cité dans « Syrians, Palestinians deny links
to Ain Alaq blast » par Rym Ghazal, Daily
Star, 15 mars 2007.
[3]
D’après Al Watan (Syrie) du 13 décembre
2006, cité dans « Fatah-the Uprising deputy head reportedly
dismissed, detained in Syria, BBC Monitoring
Middle East, 13 décembre 2006.
[4]
D’après Al-Quods al-Arabi du 11 décembre
2006, cité dans « Lebanon-based Fatah group fragmenting as
Syria frees its official », BBC Monitoring
Middle-East, 13 décembre 2006.
[5]
Al Quods al-Arabi, op. cit. et Al-Jazera du 12
décembre 2006.
[6]
« Abou
Moussab al-Zarkaoui, super-héros du Mal », par Vladimir
Alexe, Réseau Voltaire, 19 juillet 2005.
[7]
« L’affaire
Nicholas Berg », Réseau Voltaire,
18 mai 2004.
[8]
« Police announce arrests, confessions in Ain Alaq bus
bombing » par Nour Samaha, Daily Star,
14 mars 2007.
[9]
« Syrians, Palestinians deny links to Ain Alaq blast »
par Rym Ghazal, Daily Star, 15 mars 2007.
[10]
« The Redirection. Is the Administration’s new policy
benefitting our enemies in the war on terrorism ? »,
par Seymour M. Hersh, The New Yorker, daté
du 5 mars 2007, disponible Online le 26 février 2007.
[11]
« Elliott
Abrams, le "gladiateur" converti à la "théopolitique" »,
par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 14 février
2005.
[12]
Nous avions noté dans ces colonnes que le « réalignement »
avait également été adoptée par Israël : « À
Herzliya, Israël dévoile sa stratégie contre l’Iran »,
par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 2 février
2007.
[13]
« Siniora denies arming Sunni groups » par Iman Azzi, Daily
Star, 27 février 2007. Lire aussi l’éditorial outragé du
pro-Hariri Michael Young : « Sy Hersh : the dark
side of spun a lot », Daily Star, 3 mars
2007.
[14]
Voir Lebanon : managing the gathering storm,
Middle East Report #48, International Crisis Group, 5 décembre
2005. Cette source est d’autant plus inattendue sur ce sujet que
l’ICG est un think tank de George Soros.
[15]
Ibid.
[16]
« Ahmadinejad et Abdallah veulent contrer les rivalités
entre sunnites et chiites », AFP ; « Ryad et Téhéran
s’engagent contre les violences sectaires », Reuters ;
« Les dirigeants saoudien et iranien s’accordent pour
combattre les tensions entre sunnites et chiites au Proche-Orient »,
Associated Press, 4 mars 2007.
[17]
Selon un témoignage recueilli par le Réseau Voltaire.
[18]
« PLO distances Palestinian cause from suspects in Ain Alaq
bus bombing » par Maroun Khoury, Daily Star,
20 mars 2007.
[19]
« Nahr al-Bared pris en étau entre Fatah al-Islam et
l’armée libanaise », AFP, 24 mars 2007.
[20]
« ISF claims evidence that links Ftah al-Islam to bus
bombing », Daily Star, 2 avril 2007.
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