Propagande
Quelques mensonges
sur la guerre de Libye
Thierry Meyssan
Hillary Clinton, Nicolas Sarkozy
et Alain Juppé, lors du sommet de Paris pour la Libye.
Beyrouth, le mardi 22 mars 2011
Thierry Meyssan, qui soutient l’insurrection contre le régime
de Mouammar Kadhafi, s’oppose pourtant à la résolution 1973 et à
la guerre. Dans des articles précédents, il a montré les
objectifs impérialistes de cette opération. Ici, il revient sur
les principaux mensonges de la propagande atlantiste.
On dit que la première victime d’une guerre, c’est la vérité.
Les opérations militaires en Libye et la résolution 1973 qui lui
sert de base juridique ne dérogent pas à la règle. Elles sont
présentées au public comme une nécessité pour protéger les
populations civiles victimes de la répression aveugle du colonel
Kadhafi. Elles ont en réalité des buts impérialistes classiques.
Voici quelques éléments de clarification.
Crimes contre l’humanité
Pour noircir le tableau, la presse atlantiste a fait croire
que les centaines de milliers de personnes qui fuyaient la Libye
cherchaient à échapper à un massacre. Des agences de presse ont
évoqué des milliers de morts et parlé de « crime contre
l’humanité ». La résolution 1970 a saisi la Cour pénale
internationale de possibles « attaques systématiques ou
généralisées dirigées contre la population civile ».
En réalité, le conflit libyen peut se lire à la fois en termes
politiques et en termes tribaux. Les travailleurs immigrés en
ont été les premières victimes. Ils ont été brutalement
contraints au départ. Les combats entre loyalistes et insurgés
ont été certes meurtriers, mais pas dans les proportions
annoncées. Il n’y a jamais eu de répression systématique contre
des populations civiles.
Soutien au « printemps arabe »
Lors de son discours au Conseil de sécurité, le ministre
français des Affaires étrangères Alain Juppé a fait l’éloge du
« printemps arabe » en général et de l’insurrection libyenne en
particulier.
Ce discours lyrique masquait de noires intentions : il n’a pas
dit un mot sur la répression sanglante au Yémen et à Bahreïn,
tandis qu’il a loué le roi Mohammed VI du Maroc comme étant un
de ces militants révolutionnaires [1].
Ce faisant, il a contribué à renforcer l’image désastreuse de la
France qui s’est installée dans le monde arabe avec la
présidence Sarkozy.
Soutien de l’Union africaine et de la
Ligue arabe
Depuis le début des événements, la France, le Royaume-Uni et
les États-Unis ne cessent d’affirmer que cette guerre n’est pas
occidentale (encore que le ministre français de l’Intérieur,
Claude Guéant, a évoqué une « croisade » de Nicolas
Sarkozy [2].
Ils mettent donc en avant le soutien dont ils disposeraient de
la part de l’Union africaine et de la Ligue arabe.
En réalité, l’Union africaine a condamné la répression et
affirmé la légitimité des revendications démocratiques, mais
s’est toujours opposée à une intervention étrangère armée [3].
Quant à la Ligue arabe, elle rassemble principalement des
régimes menacés de révolutions identiques. Ceux-ci ont soutenu
le principe de la contre-révolution occidentale —certains y
participent même à Bahreïn— , mais ils ne peuvent aller jusqu’au
soutien à une véritable guerre occidentale sans accélérer les
mouvements de contestation interne susceptibles de les
renverser.
Reconnaissance du CNLT
Il existe trois zones insurgées en Libye. Un Conseil national
de transition s’est constitué à Benghazi. Il a fusionné avec un
Gouvernement provisoire mis en place par le ministre de la
Justice de Kadhafi qui a rejoint les insurgés [4].
C’est cette personnalité qui, selon les autorités bulgares,
avait organisé les tortures des infirmières bulgares et du
médecin palestinien longuement détenus par le régime.
En reconnaissant ce CNLT et en blanchissant son nouveau
président, la Coalition se choisit des interlocuteurs et les
impose comme dirigeants aux insurgés. Cela leur permet d’écarter
les révolutionnaires nassériens, communistes ou khomeinistes.
Il s’agit de prendre les devants et d’éviter ce qui s’est passé
en Tunisie et en Égypte lorsque les Occidentaux imposèrent un
gouvernement RCD sans Ben Ali, ou un gouvernement Suleiman sans
Moubarak, mais que les révolutionnaires les renversèrent aussi.
Embargo sur les armes
Si l’objectif était de protéger les populations, un embargo
aurait été institué sur les mercenaires et les armes à
destination du régime de Kadhafi. Au lieu de cela, il a été
étendu aux insurgés de manière à prévenir leur possible
victoire. Il s’agit bien de stopper la Révolution.
Zone d’exclusion aérienne
Si l’objectif était de protéger les populations civiles, la
zone d’exclusion aérienne se limiterait aux territoires insurgés
(comme cela avait été fait avec le Kurdistan en Irak). C’est en
fait le survol de tout le pays qui est interdit. De la sorte, la
Coalition espère figer le rapport de forces au sol et diviser le
pays en quatre (les trois zones insurgées et la zone loyaliste).
Cette partition de facto de la Libye doit être mise en
perspective avec celles du Soudan et celle de la Côte d’Ivoire,
premières étapes du « remodelage de l’Afrique ».
Gel des avoirs
Si l’objectif était de protéger les populations civiles,
seuls les avoirs personnels de la famille Kadhafi et des
dignitaires du régime auraient été gelés pour les empêcher de
contourner l’embargo sur les armes. Mais ce blocage a été étendu
aux avoirs de l’État libyen. Or la Libye, riche État pétrolier,
dispose d’un trésor considérable qu’il a partiellement placé
dans la Banque du Sud, une institution de financement de projets
de développement dans le Tiers-monde.
Comme l’a fait remarquer le président vénézuélien Hugo Chavez,
ce blocage ne protégera pas les civils. Il vise à rétablir le
monopole de la Banque mondiale et du FMI.
Coalition de volontaires
Si l’objectif était de protéger les populations civiles, la
résolution 1973 serait mise en œuvre par les Nations Unies. Au
lieu de cela, les opérations militaires sont actuellement
coordonnées par l’US Africom et devraient passer aux mains de
l’OTAN [5].
C’est pourquoi la ministre turc des Affaires étrangères, Ahmet
Davutoglu, s’est indigné de l’initiative française et a exigé
des explications de l’OTAN.
De manière plus abrupte, le Premier ministre russe, Vladimir
Poutine, a déclaré que la résolution est « viciée et
inadéquate. Dès qu’on la lit, il devient évident quelle autorise
n’importe qui à prendre des mesure contre un État souverain.
Dans l’ensemble, cela me rappelle l’appel médiéval à la croisade »,
a t-il conclu [6].
[1]
Le lecteur trouvera le texte intégral du discours d’Alain Juppé
et des débats du Conseil de sécurité après le texte de la
résolution in « Résolution
1973 »,
Réseau Voltaire,
17 mars 2011.
[2]
« La
croisade de Nicolas Sarkozy »,
Réseau Voltaire,
22 mars 2011.
[3]
« Communiqué
de l’Union africaine sur la Libye »,
Réseau Voltaire,
10 mars 2011.
[4]
Pour plus de détail, on se reportera à « Proche-Orient :
la contre-révolution d’Obama »,
par Thierry Meyssan, Réseau
Voltaire, 16 mars 2011.
[5]
« Washington
regarde se lever "l’aube de l’odyssée" africaine »,
par Thierry Meyssan, Réseau
Voltaire, 19 mars 2011.
[6]
« Remarks
on the situation in Libya », par
Vladimir V. Poutine, Réseau
Voltaire, 21 mars 2011.
Thierry Meyssan, Analyste
politique français, président-fondateur du
Réseau Voltaire et de la conférence
Axis for Peace. Il publie chaque semaine des chroniques de
politique étrangère dans la presse arabe et russe. Dernier
ouvrage publié :
L’Effroyable imposture 2, éd. JP Bertand (2007).
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