Beyrouth, le dimanche 21 juin 2009
De nombreux lecteurs ont réagi avec colère au dernier article de
Thierry Meyssan. Il se devait de leur répondre. Malheureusement
incorrigible, non seulement celui-ci ne fait pas amende
honorable, mais il persiste et signe.
Mon récent article, « La
CIA et le laboratoire iranien », m’a valu un abondant
courriel, principalement injurieux. Il y avait bien longtemps
que je n’avais pas reçu tant de protestations outrancières. La
plupart de mes correspondants me reprochent d’être aveuglé par
un « anti-américanisme viscéral » au point de défendre la
« dictature des mollahs » et d’ignorer la vague de jeunes
Iraniens luttant à main nue « pour la liberté ». À y regarder de
plus près ces courriels sont peu argumentés, mais empreints
d’une passion irrationnelle ; comme si on ne pouvait parler de
l’Iran sans être emporté par ses émotions.
C’est que l’Iran n’est pas un État comme les autres. À
l’instar de la France de 1789 et de l’URSS de 1917, l’Iran de
1979 a lancé un processus révolutionnaire qui conteste des
aspects fondamentaux du modèle « occidental » triomphant ; et il
l’a fait à partir d’une foi religieuse. Trente ans plus tard,
nous, « Occidentaux », continuons à ressentir la parole du
Peuple iranien comme une condamnation morale de notre mode de
vie, c’est-à-dire de la société de consommation et de
l’impérialisme. A contrario, nous ne parvenons à trouver
le repos qu’en nous persuadant que la réalité n’est qu’un rêve
et que nos rêves sont la réalité. Les Iraniens aspireraient à
vivre comme nous et en seraient empêchés par un affreux clergé
enturbanné.
Pour expliquer l’Iran moderne à ceux qui veulent la
comprendre, je ne sais par où commencer. Trente ans de
propagande ont forgé tant d’images fausses qu’il faut
déconstruire une à une. La tâche est grande pour s’extraire du
mensonge et le moment ne s’y prête guère. Je voudrais juste
soulever quelques observations préalables.
La révolution islamique a accompli de grands progrès : les
châtiments corporels sont devenus exceptionnels, le droit à
remplacé l’arbitraire, les femmes sont de plus en plus éduquées,
les minorités religieuses sont toutes protégées —à l’exception
malheureusement des Baha’is—, etc. Sur tous ces sujets, où nous
trouvons le régime actuel exécrable, les Iraniens pensent, eux,
qu’il est autrement plus civilisé que la cruelle dictature du
Shah imposée par Londres et Washington.
La révolution islamique a encore beaucoup à accomplir et doit
en outre maîtriser ce système politique si oriental qui, pour
donner une place à chacun, multiplie les structures
administratives et conduit à la paralysie institutionnelle.
Bien sûr, à l’époque du Shah, il y avait aussi une
bourgeoisie occidentalisée qui trouvait la vie plus belle. Elle
envoyait ses enfants suivre des études en Europe et gaspillait
sans compter aux fêtes de Persépolis. La révolution islamique a
aboli ses privilèges. Ses petits-enfants sont aujourd’hui dans
la rue. Avec le soutien des États-Unis. Ils veulent reconquérir
ce dont leurs familles ont été privées et qui n’a rien à voir
avec la liberté.
En quelques années, l’Iran a retrouvé le prestige qu’elle
avait perdu. Son Peuple s’enorgueillit d’avoir prêté assistance
aux Palestiniens et aux Libanais auxquels il a offert la
reconstruction de leurs maisons détruites par Israël et des
armes pour se défendre et retrouver leur dignité. Il a secouru
les Afghans et les Irakiens, victimes de régimes pro-occidentaux
puis des Occidentaux eux-mêmes. Cette solidarité, les Iraniens
l’ont payée au prix fort avec la guerre, le terrorisme et les
sanctions économiques.
Pour ma part, je suis démocrate. J’attache de l’importance à
la volonté populaire. Je n’avais pas compris pourquoi il fallait
proclamer la victoire de George W. Bush avant de dépouiller les
votes des citoyens états-uniens en Floride. Je n’avais pas non
plus compris pourquoi, avec la bourgeoisie de Caracas, il
fallait féliciter Pedro Carmona d’avoir placé Hugo Chavez en
prison, quand le Peuple vénézuélien l’avait élu. Je ne comprends
pas pourquoi il faut appeler Mahmoud Abbas, « Monsieur le
président », alors qu’il empêche l’élection de son successeur en
faisant séquestrer les représentants du Peuple palestinien dans
les geôles israéliennes. Je ne comprends pas pourquoi on prépare
l’application du Traité constitutionnel européen, sous une autre
dénomination, alors que les électeurs l’ont rejeté. Et
aujourd’hui, je ne vois pas au nom de quels fantasmes, je
devrais encourager la population des quartiers nord de Téhéran à
piétiner le suffrage universel, et à imposer Mousavi quand le
Peuple a majoritairement choisi Ahmadinejad.
Thierry Meyssan, analyste
politique, fondateur du Réseau Voltaire. Dernier ouvrage paru :
L’Effroyable imposture 2 (le remodelage du
Proche-Orient et la guerre israélienne contre le Liban).