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L'« Axe du Mal » de l'administration Obama
Iran/Nicaragua : nouveau mensonge d'Hillary Clinton
Thierry Meyssan
Le 1er mai 2009, la
secrétaire d’État Hillary Clinton dénonce la construction d’une
énorme ambassade iranienne à Managua, lors de son intervention
au Dean Acheson Auditorium (photo : Michael Gross/State
Department).
Beyrouth, le jeudi 16 juillet 2009 La
secrétaire d’État Hillary Clinton s’est publiquement inquiétée
de la construction d’une méga-ambassade iranienne au Nicaragua.
Sur les plateaux de télévision US, des « experts » ont disserté
sur les opérations militaires secrètes que les Gardiens de la
Révolution iranienne prépareraient en Amérique latine contre les
intérêts états-uniens et israéliens. Mais quelle est la base
factuelle de ce tintamarre médiatique ?
Alors que le complexe militaro-industriel et l’état-major
interarmes états-unien on révisé leur approche de l’Iran,
notamment depuis le rapport Baker-Hamilton et la « révolte des
généraux » [1],
les néo-conservateurs (israéliens et anglo-saxons) ont multiplié
les campagnes de communication contre l’Iran.
L’opinion publique occidentale a ainsi été largement
intoxiquée et croit aujourd’hui massivement que le président
Ahmadinejad ne veut pas en finir avec l’apartheid en Palestine,
mais avec les Israéliens [2] ;
ou encore, qu’il cherche à fabriquer une bombe atomique, bien
que l’imam Khomeiny ait déclaré cette arme de destruction
massive contraire aux valeurs de l’islam. En juin 2009,
l’opinion publique occidentale a été convaincue que l’Iran
actuel est une dictature cléricale qui a truqué l’élection
présidentielle et a réprimé dans le sang des manifestations
populaires, alors que l’on a assisté à une épreuve de force au
sein de la classe dirigeante où la haute bourgeoisie —dont le
haut clergé autour de l’ayatollah Rafsandjani— soutenue par les
Anglo-Saxons a tenté de renverser un parti populiste d’anciens
combattants de la guerre contre l’Irak, protégé par le Guide
suprême [3]
Néanmoins, un autre front dans la guerre contre la vérité a
été ouvert par les néco-cons : l’« Iranian Connection » en
Amérique latine.
Les présidents iranien et vénézuélien, Mahmoud
Ahmadinedjad et Hugo Chávez.
On sait que le
bloc révolutionnaire latino-américain (Cuba, Bolivie, Équateur,
Honduras, Nicaragua, Saint-Domingue, Venezuela ) et le bloc
révolutionnaire proche-oriental (Iran, Résistance libanaise,
Résistance palestinienne, Syrie) se sont rapprochés à la fois
pour contourner les restrictions qui leur sont imposées par les
États-Unis et pour créer des institutions internationales
alternatives à celles contrôlées par Washington. L’intox
consiste à faire accroire que ces États et groupes politiques,
qui développent une politique inspirée du mouvement des
non-alignés, auraient un plan expansionniste et un agenda
militaire cachés.
Le ballon d’essai de cette campagne est lancé par un article
du chroniqueur argentin basé aux États-Unis, Andrés Oppenheimer,
dans le Miami Herald [4].
Selon le journaliste, qui commente la tournée du président
Ahmadinejad en Amérique latine, l’Iran ne cherche pas seulement
à briser son isolement diplomatique, mais aussi à exporter son
idéologie « fasciste » (sic) pour prendre les États-Unis à
revers. Au passage, Oppenheimer dénonce la présence grandissante
d’obscurs personnels diplomatiques iraniens en Amérique latine,
notamment au Nicaragua.
Le scoop est d’autant plus frappant qu’il provient d’un
journaliste ayant construit sa réputation sur la révélation de
l’Irangate, lorsque l’administration Reagan soutenait les
Contras du Nicaragua à l’insu du Congrès, grâce à un montage
israélien complexe ayant assuré la fortune personnelle de
l’ayatollah Rafsandjani.
Ce scoop aurait pu passer inaperçu, s’il n’avait été relayé
lors d’une audition au Congrès par Nancy Menges. Cette
« experte » avait été invitée par le sénateur Eliot Engel à
témoigner le 5 mars 2008 sur l’évolution de Cuba après la
maladie de Fidel Castro. Elle fut présentée aux parlementaires
comme membre du Center for Security Policy, le think tank des
faucons à Washington [5].
Ceux qui connaissent le microcosme washingtonien savent que,
malgré la différence d’âge, elle est la veuve de Constantin
Menges. Ce personnage haut en couleur fut le directeur Amérique
latine de la CIA et conseiller de Ronald Reagan. Son nom reste
surtout attaché au soutien aux Contras nicaraguayens et à
l’invasion de la Grenade. Mme Menges entretient la mémoire de
son époux et poursuit la publication de son bulletin, l’Americas
Report.
Mme Menges a assuré à ses auditeurs qu’ils ne devaient pas se
réjouir trop vite de la maladie du Commandante Castro, la Cuba
socialiste étant remplacée par le Venezuela bolivarien dans les
cauchemars du « monde libre ». Pis, Hugo Chávez aurait ouvert la
porte du continent aux révolutionnaires islamistes iraniens et
aux guérilleros du Hezbollah et du Hamas. Après avoir évoqué
toutes sortes de rumeurs effrayantes, y compris la possible
livraison d’uranium par le Venezuela et la Bolivie à l’Iran ou
l’influence éventuelle du Protocole des sages de Sion sur
Hugo Chávez, Nancy Menges déclara :
« La présence iranienne peut aussi être trouvée au Nicaragua.
L’Iran a récemment établi une énorme ambassade à Managua. Des
diplomates disposant de l’immunité vont et viennent et le
bâtiment est sécurisé de tout espionnage. Il n’y a pas de
contrôle des mouvements des diplomates iraniens. A la mi-2007,
on a découvert que [le président] Ortega a autorisé 21 Iraniens
à entrer dans le pays sans visa. Ceci montre clairement que le
régime d’Ortega, comme celui de Chavez, ne surveille pas qui
entre dans leurs pays respectfis. Cela peut avoir des
conséquences sérieuses sur la sécurité de notre région. » [6]
Au moment où Nancy Menges déposait à la Chambre, son ami
Michael Rubin publiait un bref rapport pour l’American
Enterprise Institute, intitulé « L’ambition globale de
l’Iran » [7].
Rubin fut conseiller du secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld
pour l’Irak et l’Iran. Il participa activement à la fabrication
des intoxications qui servirent à justifier l’invasion de
l’Irak, puis il rejoignit la direction de l’Autorité provisoire
de la Coalition. Il milita pour l’extension de la guerre d’abord
contre la Syrie, puis contre l’Iran, et préconisa publiquement
l’assassinat de leurs présidents.
S’adressant à un public ignorant de l’histoire proche-orientale,
Michael Rubin a beaucoup contribué à développer le mythe d’un
Iran expansionniste. Dans ce petit rapport, il accumule les
rumeurs glanées ici et là, pourvu qu’elles servent son objectif
de diaboliser l’Iran. Parmi elles, il reprend à sa manière le
scoop d’Oppenheimer : « L’ambassade d’Iran à Managua est
maintenant la plus importante mission diplomatique de la
ville » [8].
Ce qui n’est encore qu’un « scoop » journalistique ou un
« renseignement » d’expert, devient une vérité officielle
lorsque la secrétaire d’État Hillary Clinton le confirme. Lors
de la séance de questions-réponses avec le personnel du
département d’État à l’occasion de la Journée des Affaires
étrangères, le 1er mai 2009, elle déclare : « Je ne pense pas
que dans le monde d’aujourd’hui, qui est multipolaire, où nous
rivalisons [en Amérique latine] avec au moins les Russes, les
Chinois et les Iraniens, il soit de notre intérêt de tourner le
dos aux États de notre région (…) Nous cherchons à comprendre
comment traiter avec [le président] Ortega. Les Iraniens
construisent une énorme ambassade à Managua, et vous pouvez
imaginer pourquoi ». [9]
Bref, il faut trouver une solution avant que la Révolution
islamique ne soit installée aux portes des États-Unis.
Les présidents iranien et nicaraguayen, Mahmoud
Ahmadinejad et Daniel Ortega.
Aussitôt, tous
les networks US organisent des talk shows. On y disserte sur les
actions militaires secrètes que les Gardiens de la Révolution
iranienne ne manqueront pas de fomenter depuis leur imposant QG
de Managua.
Le représentant républicain de Floride, Connie Mack, commente
lors d’une télé-conférence organisée par l’Israel Project, le
1er juin 2009 [10] :
« L’influence grandissante de l’Iran en Amérique latine me
rappelle la relation entre la Russie (sic) et Cuba lorsque nous
avons dû faire face à la crise des missiles » [11].
Patatras ! Dans son édition du 13 juillet 2009, le
Washington Post révèle que le chantier de la méga-ambassade
iranienne n’a jamais existé [12].
Il ne s’agit pas d’une exagération ou d’une déformation, mais
d’une pure invention.
L’Iran a ouvert au cours dernières années 6 nouvelles ambassades
en Amérique latine, s’ajoutant aux 4 déjà existantes. Cela en
fait 10 au total pour 33 États latinos. À Managua, l’Iran est
représenté par un ambassadeur. Il vit avec son épouse dans un
appartement loué. Pas de trace de « diplomates obscurs allant et
venant », et encore moins de conseillers militaires. Il y a bien
eu un projet de construire une petite villa comme ambassade,
mais il a vite été abandonné en l’absence de financement. Les
relations politiques entre le Nicaragua et l’Iran sont
excellentes, mais les échanges économiques sont inexistants en
raison d’une dette nicaraguayenne persistante de 160 millions de
dollars.
Pressé de questions, le porte-parole du département d’État,
Ian Kelly, a dû piteusement battre en retraite. Plutôt que de
reconnaître une erreur de Mme Clinton, il s’est félicité de la
bonne nouvelle que représente l’absence de méga-ambassade
iranienne à Managua, bien que les États-Unis n’aient de conseils
à donner à personne en matière de taille de ses représentations
diplomatiques [13].
Et lorsque qu’on lui a demandé auprès de qui la secrétaire
d’État avait vérifié cette fausse information, M. Kelly s’est
efforcé de réaliser une diversion à propos d’un universitaire
états-unien détenu en Iran. Après tout, peu importe la véracité
de ce qu’on leur reproche, l’essentiel est de réaffirmer que les
Iraniens sont dangereux.
Depuis que George Bush dénonçait un imaginaire pacte
militaire anti-américain entre l’Iran, l’Irak et la Corée du
Nord, « l’Axe du Mal », les dirigeants politiques ont changés à
Washington, mais pas les méthodes.
Documents joints
Iran’s Global Ambition, par Michael Rubin (American Enterprise
Institute), mars 2008.
(PDF - 133.7 ko)
Thierry Meyssan,
analyste politique, fondateur du Réseau
Voltaire. Dernier ouvrage paru :
L’Effroyable imposture 2 (le remodelage du
Proche-Orient et la guerre israélienne contre le Liban).
[1]
« Washington
décrète un an de trêve globale », par Thierry Meyssan,
Réseau Voltaire, 3 décembre 2007.
[2]
« Comment
Reuters a participé à une campagne de propagande contre l’Iran »,
Réseau Voltaire, 14 novembre 2005.
[3]
« Iran :
le bobard de l’"élection volée" », par James Petras ; « La
CIA et le laboratoire iranien », « Pourquoi
devrais-je mépriser le choix des Iraniens ? » et La « "révolution
colorée" échoue en Iran », par Thierry Meyssan ; Réseau
Voltaire, 17, 19, 21, 24 juin 2009.
[4]
« Beware Iran in Latin America », par Andrés Oppenheimer,
Miami Herald, 30 septembre 2007.
[5]
« Les
marionnettistes de Washington », par Thierry Meyssan,
Réseau Voltaire, 13 novembre 2002.
[6]
« Iran’s presence can be felt in Nicaragua as well. Iran
recently established a huge embassy in Managua. Diplomats have
immunity coming and going and the building is protected from
espionage. There is no control over the movements of Iranian
diplomats. In mid 2007 it was discovered that Ortega permitted
21 Iranians to enter the country without visas. This clearly
shows that the Ortega regime, like Chavez, is not monitoring who
is entering their respective countries. This could have serious
implications for the security of our region » Texte
intégral.
[7]
Voir document joint.
[8]
« Iran’s embassy in Managua is now the largest diplomatic
mission in the city. »
[9]
I don’t think in today’s world, where it’s a multipolar world,
where we are competing for attention and relationships with at
least the Russians, the Chinese, the Iranians, that it’s in our
interest to turn our backs on countries in our own hemisphere
(…) We are looking to figure out how to deal with Ortega. The
Iranians are building a huge embassy in Managua, and you can
only imagine what it’s for. »
Texte intégral.
[10]
« Venezuela and Iran : The Case for Concern »,
Enregistrement intégral (format MP3).
[11]
« The growing influence of Iran in the Western Hemisphere
reminds me of the relationship between Russia and Cuba when we
dealt with the Cuban missile crisis ».
[12]
« Iran’s
Invisible Nicaragua Embassy. Feared Stronghold Never
Materialized », par Anne-Marie O’Connor et Mary Beth
Sheridan, Washington Post, 13 juillet 2009.
[13]
Texte intégral du point de presse du département d’État, 13
juillet 2009.
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