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L’opération « Plomb
durci »
La guerre israélienne est financée par
l'Arabie saoudite
Thierry Meyssan
Mardi 6 janvier 2009
L’attaque israélienne contre Gaza, est une option préparée de
longue date. La décision de l’activer a été prise en réponse aux
nominations de l’administration Obama. Les changements
stratégiques à Washington sont défavorables aux visées
expansionnistes de Tel-Aviv. Israël a donc cherché à forcer la
main de la nouvelle présidence états-unienne en la plaçant
devant le fait accompli. Mais pour organiser son opération
militaire, Israël a dû s’appuyer sur de nouveaux partenaires
militaires, l’Arabie saoudite et l’Égype, qui constituent
désormais un paradoxal axe sioniste musulman. Riyad finance les
opérations, révèle Thierry Meyssan, tandis que Le Caire organise
des paramilitaires. Depuis le samedi 27 décembre 2008, à 11h30
(heure locale), les forces armées israéliennes ont lancé une
offensive contre la bande de Gaza, d’abord aérienne, puis aussi
terrestre à partir du 3 janvier 2009, 18h30 (heure locale).
Les autorités israéliennes déclarent viser exclusivement des
sites du Hamas et prendre le maximum de précautions pour
épargner les vies des civils. Dans la pratique, viser « des
sites du Hamas » signifie détruire non pas seulement les sites
de ce parti politique, mais aussi les logements de ses cadres
et, surtout, tous les bâtiments officiels. En d’autres termes,
l’opération actuelle vise à anéantir toute forme
d’administration dans la bande de Gaza. Le général Dan Harel,
chef d’état-major adjoint, a précisé : « Cette opération est
différente des précédentes. Nous avons mis la barre très haut et
nous allons dans cette direction. Nous ne frappons pas
uniquement les terroristes et les lance-roquettes, mais aussi
l’ensemble du gouvernement du Hamas. Nous visons des édifices
officiels, les forces de sécurité, et nous faisons porter la
responsabilité de tout ce qui se passe sur le Hamas et ne
faisons aucune distinction entre ses différentes
ramifications. »
Par ailleurs, « faire son possible pour épargner les vies des
civils » ressort de la pure rhétorique et n’a aucune
concrétisation possible : avec environ 3 900 habitants au
kilomètre carré [1],
la bande de Gaza est un des territoires à plus forte densité de
population au monde. Il est matériellement impossible
d’atteindre les cibles choisies sans détruire en même temps les
habitations voisines.
Les autorités israéliennes affirment agir en légitime
défense. Selon elles, des tirs de roquette ont repris contre
l’État juif depuis la rupture unilatérale du cessez-le-feu par
le Hamas, le 19 décembre 2008.
Or, le Hamas n’a pas rompu de trêve. Une trêve de six mois avait
été conclue entre Israël et le Hamas par l’intermédiaire de
l’Égypte. Israël s’était engagé à interrompre le blocus de la
bande de Gaza ; l’Égypte s’était engagée à rouvrir le point de
passage de Rafah ; et le Hamas s’était engagé à stopper les tirs
de roquette contre Israël. Cependant, Israël et l’Égypte ne
remplirent jamais leurs engagements. Le Hamas interrompit les
tirs de roquettes durant des mois. Il les reprit en novembre à
la suite d’une incursion israélienne meurtrière. Tirant le bilan
de la duplicité de ses interlocuteurs, le Hamas a jugé inutile
de renouveler un accord à sens unique.
Des tirs de roquette ont lieu depuis 2001 contre Israël. Prés de
2 500 tirs ont été recensés en 7 ans. Ils ont tué au total 14
Israéliens jusqu’au lancement de l’offensive. Ils n’ont fait
aucune victime entre la fin de la trêve et la dernière attaque
israélienne.
Or, la notion de légitime défense suppose une proportionnalité
des moyens, ce qui n’est évidemment pas le cas. Tsahal a activé
une soixantaine de bombardiers et au moins 20 000 hommes
suréquipés face à des résistants armés de roquettes
rudimentaires et d’adolescents munis de pierres.
Il est impossible d’estimer actuellement les dégâts matériels
et humains. Au dixième jour de bombardements, les hôpitaux et
services d’urgence ont dénombré 530 morts. Ce chiffre ne tient
pas compte des victimes décédées avant l’arrivée des secours,
dont les corps sont directement récupérés par les familles sans
transiter par les services de santé. Les blessés se comptent par
milliers. Faute de médicaments, ils ne pourront pas recevoir les
soins nécessaires et seront pour la plupart handicapés à vie.
Les destructions matérielles, quand à elles, sont considérables.
L’opération a été lancée au cours de la fête d’Hanoukka, un
jour de shabbat. Elle a été dénommée « Plomb durci » par
référence à une chanson d’Haïm Nahman Bialik que l’on entonne
durant les huits jours d’Hanoukka. De la sorte, Israël, qui
s’affirme comme « l’État juif », élève cette opération au rang
de cause nationale et religieuse.
Hanoukka commémore le miracle de l’huile : pour rendre grâce à
Dieu, les juifs qui avaient repoussé les Grecs, allumèrent une
lampe à huile dans le temple sans prendre le temps de se
purifier ; mais alors que la lampe ne contenait de l’huile que
pour une journée, elle brûla durant huit jours. En liant
l’opération militaire actuelle au miracle de l’huile, les
autorités israéliennes indiquent à leur population qu’il n’est
pas impur de tuer des Palestinens.
La guerre israélienne a suscité des protestations dans le
monde entier. Les manifestations les plus importantes ont eu
lieu en Turquie, où elles ont rassemblé 700 000 personnes.
Le National Information Directorate, nouvel organe de propagande
rattaché aux services du Premier ministre, a alors appelé les
divers leaders israéliens à développer un autre argument.
L’opération « Plomb durci » serait une bataille dans la « guerre
mondiale au terrorisme » déclarée par les États-Unis et soutenue
par le monde occidental. En effet, le Hamas est considéré comme
une organisation terroriste par les États-Unis, même s’il ne
l’est pas formellement par l’Union européenne. Le gouvernement
israélien tente de relancer la thématique du « choc des
civilisations » chère à l’administration Bush, alors que
l’administration Obama qui entrera en fonction le 20 janvier a
clairement annoncé qu’il l’abandonnerait.
Ce glissement rhétorique laisse entrevoir les motivations
réelles de l’opération. Celles-ci sont à la fois à rechercher
dans la nature de l’affrontement et dans la particularité de
l’actuelle opération.
La logique du mouvement sioniste est de s’approprier cette terre
en la nettoyant ethniquement ou, à défaut, d’y imposer un
système d’apartheid. Les Palestiniens sont alors parqués dans
des réserves, sur le modèle des bantoustans sud-africains ;
actuellement la Cisjordanie d’une part, la bande de Gaza d’autre
part. Tous les 5 à 10 ans, une importante opération militaire
doit être déployée pour casser les velléités de résistance de
cette population. De ce point de vue, l’opération « Plomb
durci » n’est qu’un massacre de plus, perpétré par un État qui
jouit d’une immunité totale depuis soixante ans.
Ainsi que l’a révélé Haaretz, le ministre de la Défense
Ehud Barack n’a accepté la trêve de six mois que pour pousser
les combattants du Hamas à sortir de l’ombre. Il a mis a profit
cette période pour les cartographier dans le but de les anéantir
dés que l’occasion se présenterait [2].
Le flou de la nouvelle administration US
Reste que cette opération prend place durant la période de
transition de la présidence états-unienne. Depuis septembre
2008, les observateurs avisés prévoyaient que Barack Obama
accèderait à la Maison-Blanche grâce au soutien d’une coalition
hétéroclite comprenant le complexe écolo-financier, le mouvement
sioniste, les généraux en révolte et les partisans de la
Commission Baker-Hamilton. Pour ma part, j’avais annoncé ce
résultat dès le mois de mai.
Or, cette coalition n’a pas de position définie sur le
Proche-Orient. Les généraux en révolte et les partisans de la
Commission Baker-Hamilton considèrent avec leur maître à penser,
le général Brent Scowcroft, que les États-Unis ont surdéployé
leurs armées et doivent impérativement limiter leurs objectifs
et reconstituer leurs forces. Ils se sont opposés à une guerre
contre l’Iran et ont au contraire affirmé la nécessité d’obtenir
l’aide de Téhéran pour éviter la débâcle en Irak. Ils déplorent
les tentatives de remodelage du Grand Moyen-Orient (c’est-à-dire
de modification des frontières) et appellent à une période de
stabilité. Certains d’entre eux vont même jusqu’à préconiser de
faire basculer la Syrie et l’Iran dans le camp atlantique en
contraignant Israël à restituer le Golan et à résoudre
partiellement la question palestinienne. Ils proposent
d’indemniser les États qui naturaliseraient les déplacés
palestiniens et d’investir massivement dans les Territoires pour
les rendre économiquement viables. Cette perspective signifie la
fin du rêve d’expansion sioniste tout autant que la fin de
certains régimes arabes soutenus jusque-là à bout de bras par
Washington.
De leur côté, les sionistes états-uniens qui ont lancé Barack
Obama en politique il y a seulement douze ans, auxquels se sont
joints les Clinton, depuis qu’Hillary s’est convertie au
sionisme chrétien et a adhéré à la Fellowhip Foundation,
soutiennent la poursuite du projet d’apartheid. Dans la foulée
de la lettre de George W. Bush à Ariel Sharon et de la
conférence d’Annapolis, ils veulent achever la transformation
des Territoires en bantoustans. Un ou deux États palestiniens
seraient reconnus par les États-Unis et leurs alliés, mais ce ou
ces États ne seraient pas souverains. Ils seraient privés
d’armées, leur politique étrangère et leurs finances resteraient
sous contrôle israélien. Si l’on parvenait à y éradiquer la
Résistance, ils se fondraient à terme dans le paysage comme les
réserves indiennes aux États-Unis.
Inquiets pour leur avenir commun, des délégations égyptienne,
israélienne et saoudienne se sont réunies en Égypte en septembre
et octobre 2008. Selon une source de la Résistance, à l’issue de
ces négociations, il a été convenu qu’en cas d’évolution
défavorable à Washington, Israël lancerait une vaste opération
militaire à Gaza, financée par l’Arabie saoudite, tandis que
l’Égypte ferait entrer des paramilitaires à Gaza. Si de
nombreuses fois par le passé des gouvernements arabes ont laissé
le champ libre à Israël, c’est la première fois qu’ils
participent à la planification d’une guerre israélienne,
constituant ainsi un axe sioniste musulman.
Informés en temps réel par le chef de cabinet Rahm Emanuel
(double national israélo-US et officier de renseignement
militaire israélien) des rapports de force au sein de l’équipe
Obama, la troïka Israël-Égypte-Arabie saoudite a appris la
répartition des fonctions.
Les postes importants au secrétariat d’État seront confiés à des
protégés de Madeleine Albright et d’Hillary Clinton. Les deux
secrétaires d’État adjoints, James Steinberg et Jacob Lew sont
des sionistes convaincus. Le premier avait été un des rédacteurs
du discours d’Obama à l’AIPAC.
Le Conseil national de sécurité échoit à des atlantistes
inquiets que les provocations israéliennes débouchent sur une
perturbation de l’approvisionnement énergétique de l’Occident,
le général Jones et Tom Donilon. Jones, qui était chargé du
suivi de la conférence d’Annapolis, a plusieurs fois exprimé son
agacement face à la surenchère israélienne.
Le secrétariat à la Défense reste aux mains de Robert Gates, un
ex-adjoint de Scowcroft et un membre de la Commission Baker
Hamilton. Il s’apprête à remercier les collaborateurs dont il a
hérité de Donald Rusmfeld et qu’il n’avait pu virer plus tôt
comme il l’a déjà fait avec deux maniaques anti-Iraniens, le
secrétaire à l’Air Force Michael Wynne et son chef d’état-major
le général T. Michael Moseley. En outre, Gates a réussi à
imposer son ami Léon Panetta, comme lui membre de la Commission
Baker-Hamilton, à la tête de la CIA.
En résumé, la troïka peut toujours compter sur l’appui
diplomatique des États-Unis, mais plus sur son aide militaire
massive.
L’Égypte, l’Arabie saoudite et 10 000
paramilitaires arabes avec Israël
C’est là le point nouveau au Proche-Orient. Pour la première
fois, une guerre israélienne n’est pas financée par les
États-Unis, mais par l’Arabie saoudite. Riyad paye pour écraser
le principal mouvement politique sunnite qu’il ne contrôle pas,
le Hamas. La dynastie des Séoud sait qu’elle doit anéantir toute
alternative sunnite au Proche-Orient pour se maintenir au
pouvoir. C’est pourquoi elle a fait le choix du sionisme
musulman. L’Égypte quand à elle craint une extension via les
Frères musulmans de la révolte sociale.
La stratégie militaire reste cependant états-unienne, comme lors
de la guerre de 2006 contre le Liban. Les bombardements ne sont
pas conçus pour éliminer les combattants, ce qui je l’ai indiqué
plus haut n’a pas de sens en milieu urbain, mais de paralyser la
société palestinienne dans son ensemble. C’est l’application de
la théorie des cinq cercles de John A. Warden III.
En définive, toujours selon Haaretz, Ehud Olmert, Ehud
Barack et Tzipi Livni ont pris la décision de la guerre le 18
décembre, c’est-à-dire la veille de l’expiration de la trêve.
Le National Information Directorate a organisé une simulation,
le 22 décembre, pour mettre au point les mensonges qui
serviraient à justifier le massacre.
L’opération a débuté le 27 décembre de manière à éviter que la
papauté puisse s’en mêler. Benoît XVI a néanmoins évoqué dans
son message de Noël « un horizon qui semble redevenir sombre
pour les Israéliens et les Palestiniens ».
Revenons-en au théâtre d’opération. L’aviation israélienne a
préparé le terrain à une pénétration terrestre, laquelle ouvre
la voie à des paramilitaires arabes. Selon nos informations,
environ 10 000 hommes sont actuellement massés prés de Rafah.
Entraînés en Égypte et en Jordanie, ils sont placés sous le
commandement de l’ex-conseiller national de sécurité de Mahmoud
Abbas, le général Mohammed Dahlan (l’homme qui organisa
l’empoisonnement de Yasser Arafat pour le compte des Israéliens,
selon des documents rendus publics il y a deux ans). Ils sont
appelés à jouer le rôle qui avait été dévolu à la milice d’Elie
Hobeika à Beyrouth lorsque les troupes d’Ariel Sharon
encerclèrent les camps de réfugiés de Sabra et Chatila.
Cependant, la troïka sioniste hésite à lancer ses « chiens de
guerre » tant que la situation militaire à l’intérieur de la
bande de Gaza reste incertaine. Depuis deux ans, de nombreux
résistants palestiniens ont été formés aux techniques de
guérilla du Hezbollah. Bien qu’ils soient en théorie dépourvus
des armes nécessaires à ce type de combat, on ignore quelles
sont leurs capacités exactes. Une défaite au sol serait une
catastrophe politique pour Israël après la défaite de son armée
de terre au Liban, en 2006, et de ses instructeurs en Géorgie,
en 2008. Il est toujous possible de retirer rapidement ses
blindés de Gaza, il n’en sera pas de même pour retirer des
paramilitaires arabes.
L’Union européenne a appelé à une trêve humanitaire. Israël a
répondu que cela n’était pas nécessaire car il n’y avait pas de
crise humanitaire nouvelle depuis le début des bombardements.
Pour preuve de sa bonne foi, le soi-disant « État juif » a
laissé pénétrer quelques centaines de camions d’aide alimentaire
et médicale… pour 1 400 000 habitants.
Dans chacune des guerres qu’Israël a conduit en violation du
droit international, une avant-scène diplomatique a été
organisée pour lui permettre de gagner du temps, tandis que les
Etats-Unis bloquent toute résolution du Conseil de sécurité. En
2006, c’était Romano Prodi et la conférence de Rome. Cette fois,
c’est le président français, Nicolas Sarkozy, qui produit le
divertissement. Il a annoncé qu’il consacrerait deux jours de
son précieux temps pour régler un problème où les autres ont
échoué depuis 60 ans. Ne laissant guère de doute sur sa
partialité, M. Sarkozy a d’abord reçu à l’Élysée la ministre
israélienne des Affaires étrangères, Tzipi Livni, et le leader
sunnite saoudo-libanais Saad Hariri, et s’est entretenu par
téléphone avec le président égyptien Hosni Moubarak, le
président fantoche de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, et
le Premier ministre israélien Ehud Olmert.
Thierry Meyssan
Analyste politique, fondateur du Réseau
Voltaire. Dernier ouvrage paru :
L’Effroyable imposture 2
(le remodelage du Proche-Orient et la guerre israélienne contre
le Liban).
[1]
La densité de population était estimée par l’ONU en 2005 à 3 823
ha/km2. Elle aurait augmenté depuis de 12 à 16 pour mille.
[2]
« Disinformation,
secrecy and lies : How the Gaza offensive came about »,
par Barak Ravid, Haaretz
du 31 décembre 2008. Une
version française de cet article
est disponible sur Contreinfo.info.
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