« Sous nos yeux »
Stratégie risquée
pour la Palestine
Thierry
Meyssan
Lundi 3 décembre
2012 L'Assemblée
générale des Nations Unies a accordé à
la Palestine « le statut d’État
observateur non membre » en vue de
contribuer « à la solution prévoyant
deux États, avec un État palestinien
indépendant, souverain, démocratique,
d’un seul tenant et viable vivant dans
la paix et la sécurité côte à côte avec
Israël, sur la base des frontières
d’avant 1967 ». La résolution a
été adoptée par 138 voix pour, 41
abstentions et 6 voix contre, dont les
États-Unis et Israël.
Ce vote, suivi de longs
applaudissements dans la salle, a été
célébré dans la liesse dans les
Territoires occupés, aussi bien en
Cisjordanie que dans la Bande de Gaza.
Tandis que le Premier ministre israélien
et la secrétaire d’État US ont déploré
cette décision. Tout semble donc clair
et les agences de presse peuvent évoquer
une « formidable victoire
diplomatique des Palestiniens ».
Pourtant, à y regarder de plus près,
rien n’est moins sûr. Le résultat du
vote montre que les États-Unis et Israël
se sont mis au service minimum. Ils
n’ont pas mobilisé leurs alliés pour
faire blocage, bien au contraire, ils
les ont engagés à laisser passer la
résolution. L’administration Obama a
laissé le Congrès menacer de couper les
subventions à l’Autorité palestinienne,
mais cela n’était qu’un jeu de façade
nécessaire pour obtenir l’adhésion de la
rue palestinienne.
Dans la pratique, le siège
d’observateur jusqu’ici dévolu à l’OLP
sera toujours occupé par elle, mais avec
le titre d’État non-membre. Et alors ?
Quelles avancées concrètes sur le
terrain permet cette évolution
sémantique ? Aucune !
Des éditorialistes nous expliquent
doctement que la Palestine va pouvoir
porter plainte devant la Cour pénale
internationale (CPI) contre l’occupation
israélienne de leurs Territoires qui
constitue un crime de guerre au sens de
la IVe Convention de Genève. Mais la
Palestine s’est déjà constituée devant
la Cour et a déposé des plaintes en
2009, après l’opération « Plomb durci
» ; plaintes qui dorment depuis sur le
bureau du procureur. À n’en pas douter,
le nouveau statut de la Palestine va
débloquer la situation qui butera un peu
plus tard sur un nouvel obstacle
dilatoire de procédure. Tous les
jugements de la CPI montrent qu’elle est
en elle-même une instance coloniale et
il est bien naïf de la prendre pour
autre chose.
D’autres éditorialistes nous
expliquent que le nouveau statut ouvre
la voie à l’adhésion de la Palestine aux
agences de l’ONU. Mais elle est déjà
membre de l’Unesco, de la Commission
économique et sociale pour l’Asie
occidentale, et du Groupe des États
d’Asie-Pacifique.
Alors pourquoi cette résolution ?
Simplement, comme indiqué en toutes
lettres dans le texte, pour faciliter la
« solution à deux États ».
L’Assemblée générale vient d’enterrer le
plan de partage de la Palestine adopté,
jour pour jour, 65 ans plus tôt. Il
n’est plus question de créer un État
binational, et encore moins un État
uninational, mais deux États distincts.
La seule conséquence pratique de la
résolution est que, désormais, les
Palestiniens s’interdisent de réclamer
l’application de leur droit inaliénable
au retour sur la terre qui leur a été
volés.
Ce revirement avait été annoncé par
Mahmoud Abbas, lors d’un entretien le 2
novembre à la télévision israélienne. Il
avait déclaré vouloir revoir sa ville
natale, Safed en Galilée, car c’est son
droit, « mais pas pour y vivre ».
Une fois énoncés leurs vitupérations
de circonstance, Benjamin Netanyahu et
Hillary Clinton ont pu, portes fermées,
boire le champagne : l’OLP et le Hamas,
qui réagissaient avec colère il y a
trois semaines aux propos d’Abbas,
viennent de renoncer sans aucune
contrepartie au droit pour lequel trois
générations de Palestiniens ont enduré
tant de privations et de sacrifices.
Au lendemain de ce « vote
historique », la cohorte de la
presse étant partie, l’Assemblée
générale a adopté six autres résolutions
sur la question palestinienne. De leur
lecture, nous pouvons conclure que tout
cela masque un accord entre les grandes
puissances et la classe dirigeante
palestinienne ; un accord qui,
espérons-le, est garanti par des
engagements solides, faute de quoi tout
cela ne serait qu’un jeu de dupes.
On se dirige vers la continuation de
la Conférence de Madrid (1991). D’une
part, il est admis que le problème n’est
pas israélo-palestinien, mais
israélo-arabe. D’autre part, les
États-Unis ne peuvent être les seuls
parrains de la négociation qui doit
nécessairement inclure la Russie, voire
d’autres membres permanents du Conseil
de sécurité et la Ligue arabe. C’est
dans cette perspective que l’Assemblée
générale a appelé à la tenue d’une
conférence globale pour la paix au
Proche-Orient à Moscou, tel que cela
avait été prévu il y a quatre ans
(résolution 1850) et toujours différé.
Les éléments de consensus incluent la
restitution du plateau du Golan à la
Syrie (Israël conserverait cependant les
eaux du lac de Tibériade) et la possible
création d’une fédération
jordano-palestinienne (avec ou sans la
monarchie hachémite). Or, une paix
globale ne peut être envisagée que si la
Syrie est elle même en paix et capable
de stabiliser les très nombreux groupes
ethniques de la région (ce qui implique
le maintien au pouvoir de Bachar el-Assad
dans la période de transition).
Tout cela ressemble à ce que James
Baker en 1991 et Bill Clinton en 1999
tentèrent de réaliser ; et à ce que
Barack Obama envisagea au début de son
premier mandat, en 2009, lorsqu’il
évoqua au Caire le droit des
Palestiniens à disposer d’un État. Ce
projet est bien différent de celui pour
lequel les palestiniens se sont battus
depuis 64 ans. Il permet d’envisager la
paix, à défaut d’offrir la justice. Il
restera à régler le problème de fond, la
source primaire des multiples conflits
actuels : la nature coloniale de l’État
d’Israël et le système d’apartheid qui
en découle.
Thierry
Meyssan
Intellectuel français,
président-fondateur du
Réseau Voltaire
et de la conférence
Axis for Peace.
Professeur de Relations internationales
au Centre d’études stratégiques de
Damas. Dernier ouvrage en français :
L’Effroyable imposture : Tome 2,
Manipulations et désinformations
(éd. JP Bertand, 2007).
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